Joué-lès-Tours, Dijon, Nantes : attention à l'amalgame
Sur les trois attaques de ces derniers jours, seule la première semble être liée au terrorisme islamiste.
Joué-lès-Tours samedi, Dijon dimanche, Nantes lundi. Trois jours, trois attaques. Sur son site web, le magazine Valeurs actuelles demande, sans craindre les amalgames, à ses internautes : "Pensez-vous qu'il s'agit d'actes isolés ou d'actes de terrorisme islamiste ?" Le Figaro, lui, cite un spécialiste pour qui "il s'agit indubitablement d'actes terroristes". "Une pensée pour les victimes des drames de Joué-lès-Tours, Dijon et Nantes : le pouvoir leur doit mieux que l'absurde thèse des 'déséquilibrés'", estime de son côté le frontiste Florian Philippot sur Twitter.
Les trois affaires sont-elles vraiment liées au terrorisme islamiste ? Et ont-elles un lien entre elles ? Le Premier ministre Manuel Valls a assuré, mardi 23 décembre, sur Europe 1 que ce n'était pas le cas. Francetv info revient sur les faits, les profils des agresseurs et leurs motivations.
A Joué-lès-Tours, la piste islamiste toujours privilégiée
Bertrand Nzohabonayo, 20 ans, a agressé trois policiers à l'arme blanche avant d'être abattu, samedi 20 décembre, au commissariat de Joué-lès-Tours (Indre-et-Loire). Pour l'heure, les enquêteurs privilégient toujours la piste de l'islamisme radical et s'appuient sur plusieurs éléments notamment sur le profil du jeune homme sur les réseaux sociaux.
Sur Facebook, Bertrand Nzohabonayo se faisait appeler Bilal et postait depuis un an des sourates du Coran et des textes liés à l'islam radical. Il avait publié le drapeau noir du groupe Etat islamique en photo de couverture, seulement deux jours avant l'agression. Les vidéos qu'il publiait sur sa chaîne YouTube relevaient, elles aussi, de l'islamisme radical.
Les enquêteurs savent aussi qu'il était "proche" de son frère cadet, connu de la Direction générale de la sécurité intérieure pour son radicalisme et arrêté samedi au Burundi. Selon le procureur de Paris François Molins, la mère des deux garçons avait déjà signalé le comportement de Brice en août 2013, soucieuse notamment de l'influence qu'il exerçait sur son frère.
Selon le procureur, les enquêteurs ont également découvert "ce qu'on pourrait qualifier de testament religieux non daté (...) dans lequel Bertrand demande à Allah de lui donner la force". Le procureur reste toutefois prudent et précise que "rien n'indique que ce testament soit en lien direct avec la commission des faits".
Originaire d'une famille catholique, le jeune homme s'était converti quatre ans plus tôt. Pourtant, si Bertrand Nzohabonayo fréquentait la mosquée de Joué-lès-Tours depuis un an environ, il n'y avait pas mis les pieds pendant de longs mois. Selon le président de l'association des Amis de la mosquée, interrogé par La Nouvelle République, Nzohabonayo était d'ailleurs peu connu parmi les fidèles.
Condamné à sept reprises pour des affaires de petite délinquance, il "n'était pas fiché" pour "des activités à caractère terroriste", selon le ministre de l'Intérieur Bernard Cazeneuve. Bertrand Nzohabonayo aurait été convoqué à plusieurs reprises au commissariat. Certains évoquent même une altercation avec des policiers, ce qui aurait pu motiver le geste du jeune homme. A-t-il crié "Allahou Akbar" lors de l'agression des policiers ? Là encore, rien n'est moins sûr. Les témoignages sont contradictoires et la sœur de l'agresseur assure que Bertrand Nzohabonayo "n'a jamais été dans l'islam radical".
A Dijon, la piste terroriste écartée
L'homme portait une djellaba et a crié "Allahou Akbar" en précipitant sa voiture sur la foule, dimanche soir, à Dijon (Côte-d'Or). De quoi alimenter la thèse d'un acte terroriste islamiste. Pourtant, il n'en est rien : "il ne s'agit absolument pas d'un acte terroriste". L'homme aurait en effet reconnu avoir agi "volontairement" et "seul".
Selon les proches de l'agresseur, interrogés par les enquêteurs, "ce n'était pas quelqu'un de très pratiquant, pas très religieux jusqu'à il y a une semaine environ". La djellaba, il ne la portait que depuis quelques jours. Si l'homme a reconnu avoir crié "Allahou Akbar" ("Dieu est le plus grand" en arabe), il s'agissait apparemment plus d'un moyen de "se donner du courage que d'une conviction religieuse", a déclaré la procureure rapportant les propos de l'agresseur.
Agé de 40 ans, l'homme était connu des services de police mais pour des faits de droit commun remontant aux années 1990. A son domicile, les enquêteurs n'ont "rien trouvé en lien avec l'Etat islamique", a expliqué la procureure ajoutant qu'il n'avait même pas internet. Elle a précisé qu'il n'avait pas agi en réaction aux événements de Joué-lès-Tours, puisqu'il n'était pas au courant de ces actes.
Son passage à l'acte serait dû à un soudain sentiment d'empathie envers le peuple tchétchène alors qu'il regardait "une émission de Noël sur les cadeaux aux enfants", selon Europe 1. Ancien toxicomane, sous traitement médical, il était atteint d'une "pathologie psychiatrique ancienne et lourde", a précisé la procureure. Il aurait ainsi séjourné 157 fois en unité psychiatrique entre 2001 et 2014.
"Il n'a pas été guidé par la religion mais politiquement il estimait qu'il fallait qu'il agisse sur le traitement réservé aux enfants" de Tchétchénie, a ajouté la procureure, précisant qu'un expertise psychiatrique était en cours mais que l'expert n'était pas encore en mesure de se prononcer sur une altération de discernement.
A Nantes, les motivations restent floues
Lundi 22 décembre, un chauffard a lancé vers 19 heures sa camionnette sur le public du marché de Noël, dans le centre-ville de Nantes (Loire-Atlantique). Bilan : un mort et dix autres personnes blessées, dont cinq grièvement, parmi lesquelles le chauffeur qui s'est poignardé à plusieurs reprises avant d'être hospitalisé.
Pour l'heure, "le suspect est toujours hospitalisé et n'a pas été entendu", a annoncé la procureure de la République de Nantes, Brigitte Lamy. On dispose donc pour l'instant de peu d'informations. Néanmoins, le parquet a affirmé qu'"aucun propos à connotation religieuse n'a été prononcé par l'individu". Selon Brigitte Lamy, il s'agirait d'"un cas isolé". "On ne peut pas parler d'acte de terrorisme", avait affirmé la procureure la veille.
L'homme, âgé de 37 ans et sans emploi, est originaire de Berneuil (Charente-Maritime) où il vit seul et apparait comme quelqu'un de renfermé. Il est connu des services de police pour vol et recel, des faits commis en 2006, et dégradation de véhicule en 2008, une affaire classée sans suite, selon une source proche du dossier citée par Le Parisien.
Selon la procureure, aucun élément n'indiquerait que l'homme avait des antécédents psychiatriques mais son état se serait détérioré ces dernières semaines. Il était également connu pour certains problèmes d'alcoolisme. Une lettre retrouvée dans le véhicule rapporte "des propos décousus à travers lesquels il fait état de sa haine de la société et du risque de se faire tuer par les services secrets", a indiqué la procureure.
Sur place, le ministre de l'Intérieur, Bernard Cazeneuve, a estimé que cette attaque au marché de Noël "n'est pas un acte qui a un fondement politique, qui résulte d'une visée terroriste ou qui aurait une inspiration de radicalité religieuse". Pour lui, cela "semble le fait d'un déséquilibré". Une enquête pour assassinat et tentative d'assassinat a été ouverte.
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