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Jacqueline Sauvage : "Heureusement, la justice a démontré qu'elle ne laisse pas influencer par l'opinion"

Le tribunal d'application des peines a refusé de libérer cette femme condamnée pour le meurtre de son mari violent, à qui François Hollande avait accordé une grâce partielle.

Article rédigé par Louis Boy - Propos recueillis par
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 6min
Des manifestants demandent la grâce présidentielle pour Jacqueline Sauvage, le 23 janvier 2016 devant l'Opéra Bastille, à Paris. (PATRICE PIERROT / AFP)

Le tribunal d'application des peines de Melun (Seine-et-Marne) a rejeté, vendredi 12 août, la demande de libération conditionnelle de Jacqueline Sauvage. Condamnée à 10 ans de réclusion pour le meurtre de son mari, qui battait et violait ses filles et son épouse, cette femme de 68 ans avait obtenu de François Hollande une "grâce partielle", lui permettant de demander sa sortie de prison.

Le refus du tribunal a provoqué des réactions indignées de la part de certains politiques, comme François Bayrou et Jean-Luc Mélenchon, mais surtout de ses nombreux soutiens et de ses deux avocates, qui ont chargé la justice en des termes très violents. "Que faut-il être en France pour être libéré ? Faut-il être un terroriste ?" s'est interrogée l'une d'elles, Nathalie Tomasini, allusion à la libération d'un des auteurs de l'attentat de Saint-Etienne-du-Rouvray.

Cette décision est-elle si inexplicable ? Y a-t-il un fossé entre les juges et l'opinion publique ? Francetv info a interrogé Céline Parisot, secrétaire générale de l'Union syndicale des magistrats.

Francetv info : Dans sa décision, le tribunal écarte le risque d'une récidive de Jacqueline Sauvage. Quel est l'intérêt de la maintenir en prison ?

Céline Parisot : Selon le Code pénal, la peine a pour fonction "de sanctionner l'auteur de l'infraction" et, d'autre part, "de favoriser son amendement, son insertion ou sa réinsertion". Dans le cas d'une demande de libération conditionnelle, la décision n'est donc pas prise uniquement en fonction du risque que représente cette libération, mais aussi de la personnalité du détenu. Une notion qui recouvre beaucoup de choses, dont la capacité à se remettre en cause, et à corriger ce qui a fait qu’on en est arrivé à commettre un crime.

Manifestement, c'est cela qui a posé problème au tribunal dans le cas de Jacqueline Sauvage : le fait qu'elle n'accepte pas qu'elle est coupable et non victime. Vu la façon dont les juges formulent leur décision, on peut imaginer que si elle avait reconnu un tort, elle serait sortie. [Dans leur décision, les juges expliquent notamment qu'elle est "encouragée à se cantonner dans un positionnement de victime, sans remettre en cause son fonctionnement psychique personnel".]

Les juges ont-ils une marge de manœuvre qui leur aurait permis de prendre une décision plus clémente envers Jacqueline Sauvage ?

La loi laisse un cadre assez large à l'interprétation des juges. Mais ils doivent tout de même se reposer sur un dossier. En l'occurrence, il n'y avait pas d'ambiguïté sur la question de la légitime défense, invoquée par les avocats de Jacqueline Sauvage, puisque celle-ci n'a pas été retenue quand elle a été condamnée, en première instance comme en appel.

De plus, le tribunal d'application des peines bénéficie toujours des résultats d'une expertise psychologique et médicale du détenu, qui évalue notamment sa capacité à ne pas se retrouver à nouveau en situation de commettre à nouveau une infraction. En l'occurrence, les experts concernés ont rendu un avis négatif sur la libération de Jacqueline Sauvage. Cet avis est consultatif : les juges auraient très bien pu s'en affranchir. On peut considérer que leur décision est sévère. Mais elle a été prise collégialement par trois juges d'application des peines, dans le cadre d'une procédure très encadrée. Et elle permet un appel.

Comment la justice peut-elle répondre aux critiques de citoyens qui l'accusent, tour à tour, d'être trop sévère ou trop laxiste ? 

Chaque cas est différent, le laxisme ou la sévérité ne peuvent s'apprécier que sur un dossier particulier. Le cas de Jacqueline Sauvage est inhabituel. En général, l'opinion publique ne prend pas le parti d'un condamné mais de sa victime. Mais dans un cas comme dans l'autre, la justice est indépendante de cette pression.

S'ils veulent mieux comprendre le fonctionnement de la justice, je conseille aux citoyens de se rendre aux audiences de la cour d'assises, qui sont publiques. Ils y recevront les mêmes informations que les jurés, et verront les éléments dont ils disposent et la complexité des dossiers. Les affaires criminelles ne sont jamais aussi simples que ce que présentent les médias, parce qu'on ne peut pas écrire des articles de 42 pages. Je peux vous assurer que tout juré qui finit une session d'assises rentre chez lui transformé. Il ne voit plus la justice de la même façon.

Que pensez-vous de l'attitude des deux avocates de Jacqueline Sauvage, qui ont fait un parallèle entre leur cliente et l'un des terroristes de Saint-Etienne-du-Rouvray, qui était en liberté conditionnelle au moment où il a assassiné le prêtre Jacques Hamel ?  

Comparer ce dossier à celui d'Adel Kermiche me paraît totalement absurde. Le fait qu'on parle d'une libération conditionnelle est le seul point commun entre les deux dossiers. Ils sont complètement différents, les deux personnalités également, heureusement pour Madame Sauvage. On parle d'un apprenti jihadiste qui a masqué sa personnalité pour tromper la justice, et qui a malheureusement réussi. Par ailleurs, il se trouve que cette personne n'avait, au moment de sa libération, tué personne.

Les avocates tentent de détourner l'attention d'une décision défavorable. Depuis le procès en appel de Jacqueline Sauvage, leur stratégie est de mobiliser l'opinion publique, et de tenter d'instrumentaliser la justice pour obtenir quelque chose sur le point de la légitime défense. Heureusement, la justice a démontré qu’elle n’était pas perméable à l’opinion.

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