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Enquête franceinfo "Il faut entrer dans son monde" : comment interroge-t-on un tueur en série comme Michel Fourniret ?

"L'ogre des Ardennes", qui a avoué récemment deux nouveaux meurtres, n'en a pas fini avec les enquêteurs et les magistrats, notamment dans l'affaire Estelle Mouzin. 

Article rédigé par Catherine Fournier
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 13min
Michel Fourniret devant le tribunal de Dinant, en Belgique, le 9 juillet 2004.  (MAXPPP)

Il ne part plus "à la chasse" mais il continue à jouer avec les nerfs des enquêteurs. Michel Fourniret, condamné à perpétuité en 2008 pour sept meurtres de jeunes filles, a reconnu deux nouveaux crimes en février dernier. A 75 ans, "l'ogre des Ardennes" a avoué, sans donner de détails, avoir tué Marie-Angèle Domece, 19 ans, et Joanna Parrish, 20 ans, dans les années 1990, dans l'Yonne. Les fouilles pour retrouver le corps de la première, réalisées sur les indications d'un témoin, n'ont pour l'instant rien donné. Lors de ses auditions devant la doyenne des juges d'instruction de Paris, le tueur en série a aussi formulé des "aveux en creux" au sujet d'Estelle Mouzin, cette fillette de 9 ans disparue à Guermantes le 9 janvier 2003. "Il n'a pas nié son implication alors que depuis des années, il se met en colère lorsqu'on lui parle d'Estelle Mouzin", souligne l'une des avocates de la famille, Corinne Herrmann, auprès de franceinfo.  

Ce n'est pas la première fois que le tueur en série s'accuse dans ces trois affaires. Dans une lettre adressée au président de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Reims en 2007, Michel Fourniret demandait "la jonction de ces trois dossiers" à son procès de mars 2008 et disait devoir "des explications" aux familles. La requête avait été rejetée pour nullité, son renvoi aux assises ayant déjà été audiencé. Fin 2007, les policiers chargés de l'enquête sur la disparition d'Estelle Mouzin s'étaient tout de même déplacés en prison pour l'entendre. Mais Michel Fourniret avait finalement nié toute implication. "Ils y sont allés sans être préparés, sans avoir fait l’effort de le connaître", fulmine Corinne Herrmann. 

"Une phrase peut en éclairer une autre"

Pour la famille de la fillette, les enquêteurs de la police judiciaire de Versailles ont trop vite abandonné la piste Michel Fourniret. Eric Mouzin, son père, a ainsi demandé leur dessaisissement. Sa demande a finalement été rejetée par la justice mardi 15 mai. "Sur les vérifications qu'on demande depuis dix ans sur Fourniret, il est certain que la section de recherches de Dijon, qui connaît très bien le dossier, serait la mieux à même de mener l'enquête", estime Corinne Herrmann.

Pour l’interroger, il faut bien connaître Michel Fourniret, entrer dans son monde, son univers.

Corinne Herrmann, avocate de la famille Mouzin

à franceinfo

Selon nos informations, les gendarmes de Dijon ont préparé pendant un an l'audition de Michel Fourniret, s'attachant autant aux faits qu'à la personnalité du tueur. Mais "c'est la magistrate, une personne exceptionnelle, qui a obtenu ses aveux", insiste une source proche du dossier.  

"Pour interroger un tueur en série, quel qu’il soit, il faut connaître toutes ses déclarations car c’est un ensemble, reprend Corinne Herrmann. Une phrase peut en éclairer une autre. Quand un homme a commis plusieurs crimes, le temps faisant son œuvre, il commet des erreurs, confond certaines victimes. Il faut pouvoir faire le lien." Et d'ajouter : "Michel Fourniret a ce côté petit artisan très précis. Il aime le travail bien fait, sinon il se braque."

"Il faut en effet connaître son parcours en détail pour relever rapidement des incohérences, et c'est ce que nous avons fait", relève une source policière proche du dossier, qui fustige les accusations portées contre la PJ de Versailles. "Nous l'avons entendu pendant sept heures à l'automne 2017 – sous le régime de la garde à vue – et je peux vous dire que c'était préparé. Fourniret, ça fait trois ans qu'on travaille dessus toutes les semaines", ajoute cette même source, qui affirme que le suspect était "impressionné" que "les policiers connaissent aussi bien son parcours".

Il vous analyse en même temps qu'il vous parle. S'il ne vous considère pas, il ne répond pas à vos questions.

Une source policière proche du dossier, qui a entendu Fourniret

à franceinfo

Les professionnels qui ont eu affaire à ce criminel hors normes, décrit par les experts comme un "pervers narcissique" incurable à la "dangerosité extrême", le confirment tous : il est nécessaire d'être armé pour se confronter à ce manipulateur hors pair. Francis Nachbar, alors procureur de Reims, raconte l'un de ses premiers échanges avec Michel Fourniret dans le livre Les Magistrats sur le divan, du journaliste Dominique Verdeilhan. Il s'entend dire : "Monsieur le procureur, je vais vous dire ce que j’ai dit aux Belges. Si vous êtes au moins aussi intelligent que moi, que vous avez des éléments, je vous les confirmerai ou pas. Mais si vous ne m’apportez rien, c’est que vous n’êtes pas assez intelligent pour que je vous aide."

Un ego surdimensionné

Luc Balleux, l'ancien avocat belge de ce prédateur sexuel, obsédé par la virginité de ses victimes, confirme : "Il doit être confronté à l’évidence pour passer à table."

C’était un joueur d’échecs. Il joue, comme un chat avec une souris.

Luc Balleux, avocat belge de Michel Fourniret

à franceinfo

"Il faut le prendre avec des pincettes, garder ses distances, ne pas se laisser manipuler et se méfier de ses propres faiblesses", confirme son confrère français Pierre Blocquaux, qui a défendu Michel Fourniret lors de son procès en 2008. "S’il pense que vous allez à la pêche aux informations, il va vous balader, ajoute Yves Charpenel, ancien procureur général près la cour d'appel de Reims. Par contre, quand vous êtes capable de lui démontrer que ce qu’il vous dit est faux, il vous félicite. Pour lui, c’est une marque de respect."

Le magistrat se souvient de son attitude lors des fouilles dans le parc du château de Sautou, le 3 juillet 2004, pour retrouver les corps de Jeanne-Marie Desramault et Elisabeth Brichet. "Il était content d’avoir un procureur général à côté de lui." Alors que les recherches ne donnent rien, Yves Charpenel lui lance : "Vous êtes précis d’habitude." "Il me regarde en disant : 'Vous devriez mieux chercher'". "Il jouait les vedettes et il se foutait de notre gueule", résume un enquêteur présent sur place, cité dans Les Magistrats sur le divan. Les dépouilles des deux jeunes filles finiront par être extraites des trous creusés sur les indications du tueur.

Michel Fourniret a un ego surdimensionné. Malgré un niveau d'études médiocre, "il a toujours un grand désir de paraître cultivé et supérieur", relève Yves Charpenel. Pour Estelle Mouzin, il avait dit "'Guermantes, Guermantes, ça me fait penser à Proust', alors qu'il n'a sûrement jamais lu À la recherche du temps perdu". Cet aspect de sa personnalité, si désagréable soit-il, peut être exploité par les enquêteurs. "Il faut qu’il ait l’impression de mener le jeu. Son narcissisme est sa force et sa faiblesse. Quand il se sent en confiance, il baisse la garde", poursuit Yves Charpenel. "Il est sensible à la flatterie", confirme une source policière, qui a assisté aux premiers interrogatoires du prédateur. "Cela permet de créer du lien." A condition de le laisser partir dans ses "digressions" et de le laisser parler. D'aucuns décrivent des auditions très longues et éprouvantes. 

Quand on lui pose une question, il ne répond pas du tac au tac, parfois il philosophe un peu, on le perd. Ça durait des heures, c’était très long.

Un enquêteur qui a participé aux auditions de Michel Fourniret

à franceinfo

Michel Fourniret a son vocabulaire bien à lui, emprunté et précieux. Il parlait par exemple de "situation impécunieuse" pour évoquer ses soucis financiers, poursuit ce gradé de la police. Il reste sur le même ton pour décrire méthodiquement ses crimes abominables. "C’est très analytique, il ne vous épargne aucun détail et a toujours le sentiment que ce qu’il a fait est légitime." 

Un "bras de fer permanent"

Le psychiatre Daniel Zagury, qui l'a longuement expertisé, ne dit pas autre chose : "Durant nos entretiens, il est resté continûment vigilant, de manière à maîtriser la situation, sans jamais baisser la garde", écrit-il dans son livre L'Enigme des tueurs en série. "Il ne connaît que la relation de force", poursuit-il. Ainsi, lorsque l'expert l'invite à s'asseoir lors de leur deuxième entretien en 2006, "il reste debout en [lui] disant, poliment mais fermement, qu'il déteste recevoir des ordres".

La magistrate Anne Devigne, qui a mené les interrogatoires de Michel Fourniret en tant que juge d'instruction, décrit également un "bras de fer permanent". "Il a eu cette tendance fâcheuse d’essayer d’avoir le dessus, de reprendre la main. Il essayait toujours d’avoir gain de cause. (…) Il ne connaissait que le rapport dominant-dominé. Il fallait constamment le remettre à sa place", raconte-t-elle dans Les Magistrats sur le divan. La juge met en place des stratégies pour garder le contrôle de la situation.

On a décidé de travailler avec Monique Olivier. Il a été agacé à l’idée qu’on faisait plus confiance à sa femme. Cela a été payant.

Anne Devigne, qui a instruit l'affaire Fourniret

dans Les Magistrats sur le divan

Si Monique Olivier avait scellé un "pacte" diabolique avec son ex-mari, elle est aussi celle qui a permis à la justice de mettre un coup d'arrêt à leur parcours criminel, en 2004. "On l’a cuisinée pendant des jours jusqu’à ce qu’elle craque et qu’elle raconte. Elle, on ne l’a pas lâchée. Lui, il aurait tenu le coup", se souvient une source judiciaire belge. Monique Olivier, actuellement détenue à Rennes (Ille-et-Vilaine), a avoué les sept meurtres pour lesquels son ancien époux a été condamné. Elle lui a aussi attribué à deux reprises les meurtres de Marie-Angèle Domece et Joanna Parrish, avant de se rétracter. "Il faudra que Monique Olivier soit à son tour entendue et éventuellement confrontée à Michel Fourniret", souligne l'avocat des deux familles, Didier Seban. Selon lui, le tueur a "fait des aveux circonstanciés et réitérés" après avoir été confronté aux éléments recueillis par les gendarmes de Dijon dans ces deux affaires.

Michel Fourniret a dit : 'Si ces deux jeunes femmes n'avaient pas croisé ma route, elles seraient encore en vie'.

Didier Seban, avocat des familles Parrish et Domece

à franceinfo

Un alibi mis en doute

Concernant Estelle Mouzin, la doyenne des juges d'instruction de Paris, non saisie de ce dossier, n'a pas pu aller très loin dans ses questions. "Michel Fourniret lui a confirmé ce qu'il avait dit dans sa lettre en 2007, à savoir qu'il voulait être jugé pour les trois dossiers en même temps. Il a dit : 'Pour moi, ça avait du sens'", explique Didier Seban. Il convient "d'observer la plus grande prudence sur la terminologie d''aveux' utilisée pour caractériser les propos tenus par Michel Fourniret", a nuancé la procureure de Meaux, Dominique Laurens, auprès de l'AFP. Elle a également tenu à défendre l'enquête de la police judiciaire de Versailles, mise en cause par la famille Mouzin : "De multiples investigations ont été réalisées, y compris récemment." Les enquêteurs de la PJ s'intéressent notamment au véhicule de Michel Fourniret, saisi par la police belge et sur lequel ils doivent procéder à de nouvelles vérifications.

En 2010, des milliers de prélèvements de cheveux, poils et autres fibres de vêtements retrouvés dans la fourgonnette de Michel Fourniret avaient été analysés. En vain. Mais des photos et un reportage sur Estelle Mouzin ont été retrouvés sur son ordinateur, et son alibi – un coup de fil passé à son fils depuis son domicile au moment de la disparition – est mis en doute, dans la mesure où l'appel n'a pas abouti. Monique Olivier avait en outre affirmé à deux de ses codétenues avoir fourni aux enquêteurs un faux alibi à son époux le soir de la disparition de l'enfant. Mais son audition en 2015 n'a pas été concluante. 

A ce stade, Michel Fourniret n'est pas mis en examen dans le dossier Mouzin, mais il pourrait de nouveau être entendu sous le régime de la garde à vue. Un nouveau rendez-vous judiciaire l'attend par ailleurs en novembre : il doit être jugé pour l'assassinat en 1988 de Farida Hammiche, l'épouse d'un ancien codétenu. Un crime crapuleux qui lui avait permis de mettre la main sur un trésor amassé par le célèbre "Gang des postiches"Grégory Vavasseur, qui le représente dans ce dossier, se montre réservé quant aux récentes déclarations de son client : "Je ne pense pas qu'il y ait une bonne stratégie pour le faire parler. Il est tellement insaisissable." 

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