Meurtre, abolition de la peine capitale, réinsertion, récidive : Patrick Henry, symbole malgré lui
Jeudi, la cour d'appel de Paris a refusé d'accorder la libération conditionnelle à cet homme qui aura tour à tour symbolisé le crime, l'abolition de la peine de mort, la réinsertion et la récidive.
Cela fait longtemps, très longtemps, que Patrick Henry ne s'appartient plus tout à fait. Depuis son arrestation en 1976 à Troyes (Aube), à l'âge de 22 ans, pour l'enlèvement et le meurtre de Philippe Bertrand, un petit garçon âgé de 7 ans, il ne cesse d'être pris pour cible ou érigé en exemple. Jeudi 31 mars, son parcours judiciaire chaotique a connu un nouvel épisode, la cour d'appel de Paris refusant la demande de libération conditionnelle de l'ex-ennemi public numéro 1.
Francetv info revient sur les causes incarnées, malgré lui, par le détenu le plus célèbre de France.
Le monstre à abattre d'une "société en péril"
La séquence est restée gravée dans l'histoire télévisuelle et judiciaire française. Le 18 février 1976, Roger Gicquel ouvre le JT de TF1 en déclarant : "La France a peur". Le présentateur relate alors "l'horreur" de la mort du petit Philippe, étranglé par son ravisseur qui réclamait une rançon à ses parents. Patrick Henry, un jeune commercial qui connaissait la famille, avoue le crime et devient l'homme le plus haï d'une France où naissent "des envies folles de justice expéditive", relate le présentateur.
A cette époque, les enlèvements de mineurs se multiplient : sept pour la seule année 1975. Aucun kidnappeur d'enfant n'a été guillotiné depuis la Seconde Guerre mondiale, note Le Parisien Libéré, et nombre de Français veulent faire de Patrick Henry un exemple.
D'autant que, comme l'explique Christian Delporte vingt-trois ans plus tard dans la revue d'histoire Vingtième Siècle, une partie de la population française est rétive aux changements sociétaux en cours, notamment la récente légalisation de l'avortement : "A ceux qui rêvent de revanche, l'affaire Patrick Henry (…) peut apparaître comme une épreuve exemplaire pour développer une campagne sur le thème de l'hémorragie des valeurs, où la justice sera présentée comme l'ultime rempart d'une société en péril, et la peine de mort comme la condition nécessaire à son autopréservation."
"J'espère que la justice passera rude et bien", commente de son côté Michel Poniatowski, le ministre de l'Intérieur de l'époque. Selon un sondage publié opportunément, 72% des Français sont pour la peine de mort en cas de prise d'otage et de crime sur un enfant. "Moi, j'estime que la condamnation à mort est la juste punition de ce qu'il a fait", déclare même son propre père. Le procès en préparation ne semble donc destiné qu'à entériner la mort annoncée de Patrick Henry.
Le procès qui mena à l'abolition de la peine de mort
Le 20 janvier 1977, la sœur de Patrick Henry tombe dans les bras de son frère. Il vient d'être condamné à la prison à perpétuité, mais il vivra. Dans L'Express, Liliane Sichler témoigne de l'atmosphère haineuse qui monte dans une assistance saisie par la stupeur : "A mort les jurés ! A mort les avocats ! Donnez-le-nous, qu'on en fasse une descente de lit !", réclame une foule hargneuse devant le tribunal de Troyes.
Cette "victoire" est celle de Patrick Henry, mais surtout de son avocat, Robert Badinter, et sa brillante plaidoirie : "La mort d'un homme de 22 ans pour répondre à la mort d'un enfant de 7 ans, ce n'est pas la justice. C'est autre chose, car la justice ne tue pas. Ou alors elle n'est plus rien, elle est vaincue." Mais cet abolitionniste convaincu préviendra, quelques jours plus tard : "Vous êtes en présence d’une décision, mais la peine de mort est toujours là."
En l'espace d'un mois à peine, deux autres hommes sont d'ailleurs guillotinés. Mais le retentissement de l'affaire Patrick Henry a provoqué le débat. En 1978, contre l'avis de l'immense majorité des parlementaires de son camp politique, le député des Vosges Philippe Seguin présente une proposition de loi impliquant l'abolition de la peine de mort.
En 1981, les Français ont beau rester opposés à ce changement à 63%, François Mitterrand en fait un argument de campagne. Fraîchement élu, le nouveau chef de l'Etat tient parole et confie la tâche au nouveau ministre de la Justice, qui n'est autre que Robert Badinter. Le 9 octobre, ce dernier obtient du Parlement la réalisation du "vœu de Victor Hugo", quatre ans après avoir sauvé la vie de Patrick Henry.
L'icône de la réinsertion
En 2000, le débat autour du projet de loi sur la présomption d'innocence pousse à nouveau Patrick Henry sous les projecteurs. Le texte prévoit de décharger le garde des Sceaux de la responsabilité d'accorder les libertés conditionnelles aux longues peines, acte difficile à assumer sur le plan politique. La décision pourrait désormais être prise par une "juridiction régionale de la libération conditionnelle" composée de trois magistrats.
Depuis son incarcération, Patrick Henry s'est vu refuser sept demandes de conditionnelle par les ministres de la Justice qui se sont succédés. C'est pourtant "un détenu exemplaire" qui a repris ses études : bac, licence de maths et DUT en informatique. Il dirige l'imprimerie de la prison de Caen, dont il a fait une "entreprise florissante". Si la nouvelle loi passe, les juges, sensibles à sa transformation, pourraient bien le faire sortir.
L'idée révulse certains des adversaires du laxisme judiciaire. Sur France 2, Jacques Toubon dénonce l'"extraordinaire capacité de saloperie" de Patrick Henry.
Finalement, comme attendu, Patrick Henry obtient sa liberté conditionnelle le 26 avril 2001, assortie d'un contrôle judiciaire très strict. Le 16 mai, il sort de sa cellule. Un logement et un emploi l'attendent. Ses soutiens l'érigent alors en icône de la rédemption, à l'image de sa prof de maths, sœur Marie-Reginald, qui "s'est attachée à lui comme à un fils".
Quelques semaines plus tard, Robert Badinter s'en réjouit dans les colonnes de L'Express : "On voit, quel que soit le crime causé, la supériorité du refus de la peine de mort. Après coup, après tout ce temps écoulé, on en prend la mesure." Le symbole de la seconde chance n'a plus qu'à prendre son envol.
L'incarnation du récidiviste
En 1977, à l'issue du procès qui lui épargne la guillotine, Patrick Henry lance aux magistrats de la cour d'assises : "Vous n'aurez pas à le regretter !" Le titre du livre qu'il devait sortir chez Calmann-Levy à l'automne 2002. Mais le 10 octobre, l'image du criminel repenti s'effondre : il est arrêté en Espagne avec dix kilos de haschich acheté au Maroc et qu'il comptait revendre en France.
Son arrestation et son extradition font scandale. Henry, interviewé par L'Express dans sa prison espagnole, tente de se justifier : "J'étais censé incarner le problème de la réinsertion, après vingt-cinq ans passés en détention. On a voulu faire de moi un surhomme, alors qu'en fait je ne suis qu'un pauvre type. (…) Je suis prêt à rendre des comptes à la justice, mais pas à être récupéré par le débat politique."
Trop tard. Nous sommes quelques mois après l'élection présidentielle, marquée par le débat sur l'insécurité. Nicolas Sarkozy prépare sa loi pour la sécurité intérieure ; le laxisme judiciaire et les récidivistes sont pointés du doigt. "Ce qui est très pénible, c'est de voir que cette rechute va évidemment porter un coup important à toutes les tentatives de réinsertion", regrette déjà, sur LCI, l'ancienne garde des Sceaux Elisabeth Guigou.
Sur France Inter, Dominique Perben, son successeur à la Chancellerie, se déclare "extrêmement choqué" et assure, trois jours seulement après son interpellation en Espagne, que "Patrick Henry va retourner en prison" et qu'"on peut penser qu'il y restera longtemps". La prémonition se vérifie le 17 avril 2003, lorsqu'il retrouve la prison de Caen, moins de deux ans après avoir recouvré la liberté.
Le livre de Patrick Henry est bien sorti, mais sous un autre titre : Avez-vous à le regretter ? Son éditeur, interrogé par Libération, dénonce l'opprobre qui s'abat sur le détenu : "Comme si le fait de ne pas avoir été condamné à mort l'obligeait à être parfait, jamais fautif… Comme si ce droit à vivre n'était pas si clair. Il y a là quelque chose qui ébrèche l'abolition de la peine de mort et qui renforce encore ma volonté de publier."
Patrick Henry a beau multiplier les demandes de libération et même entamer une grève de la faim, rien ne convainc l'administration — ni l'opinion publique — de lui accorder une nouvelle chance. En 2014, les propositions de Christiane Taubira, hostile aux longues peines, laissent espérer que François Hollande lui accordera une grâce présidentielle le 14 juillet. Mais le chef de l'Etat, qui doit déjà composer avec l'impopularité des positions de la garde des Sceaux, rejette la demande.
Ce jeudi 31 mars, jour de ses 63 ans, la cour d'appel a refusé sa libération conditionnelle et donc de mettre fin à la détention d'un homme qui aura passé près des deux tiers de son existence en prison. Il pourrait maintenant devenir le visage de l'injustice, au risque d'être à nouveau broyé par les rouages de la machine à fabriquer des symboles.
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