"J'attends la vérité" : au procès du meurtre de la policière Aurélie Fouquet, le témoignage poignant de sa famille
La mère, la sœur et le compagnon de la policière municipale tuée se sont souvenus d'elle à la barre, jeudi. Une émotion qui a poussé l'un des accusés à prendre la parole.
Sandra s'avance. Une petite silhouette frêle. Elle s'accroche à la barre. "Aurélie était…" La fin de la phrase se perd dans un souffle, qui fait grésiller le micro. Aurélie, c'était sa sœur. Son aînée de trois ans et demi. Une policière municipale, tuée dans la fusillade survenue le 20 mai 2010 à Villiers-sur-Marne (Val-de-Marne), lors d'une tentative de braquage.
Le procès des auteurs présumés se déroule depuis le 1er mars devant la cour d'assises de Paris. Trois sont jugés pour le meurtre de la jeune femme de 26 ans. Jeudi 24 mars, c'est à la famille d'Aurélie Fouquet, partie civile, de s'exprimer.
"J'attends la vérité"
"C'était quelqu'un de parfait." Avec des sanglots dans la voix, Sandra cherche les mots pour rendre hommage à sa sœur.
Elle était comme une deuxième maman pour moi.
Sandra ne peut pas parler d'Aurélie sans évoquer Alexis, son neveu. Il avait 14 mois le jour où sa mère est morte. Aujourd'hui, le garçon a 7 ans. Pour se rappeler sa mère, il n'a que des images. "Il prend les cadres des photos de sa maman et il les embrasse", explique Sandra à la barre. "Il lui faut la vérité, pour qu'il puisse se construire, pour que nous, sa famille, on puisse avancer", martèle-t-elle.
Au président de la cour d'assises qui lui demande ce qu'elle attend de ce procès, Sandra répond : "J'attends la vérité." Et d'ajouter : "Je souhaite parler de toute la souffrance qu'on vit depuis six ans bientôt. (…) La souffrance qu'on paie, et qu'on paiera jusqu'à la fin."
"Quand sa sœur est née, elle est devenue très protectrice"
A la silhouette frêle de Sandra en succède une autre. Vêtue d'une tenue noire élégante, Elisabeth Fouquet, 55 ans, est petite et mince. Mais elle ne chancelle pas. Elle commence par parler d'elle-même, de son enfance "très dorlotée" puis de sa vie d'adulte. "Et puis, le 12 juillet 1983, Aurélie est née."
Elisabeth Fouquet parle encore de sa fille au présent : "C'est une enfant curieuse. Très jeune, il faut qu'elle materne, qu'elle prenne soin des autres. Quand sa sœur est née, elle est devenue très protectrice." "Elève aux résultats moyens, très appréciée des instituteurs", Aurélie Fouquet s'oriente vers un bac professionnel horticulture, dans un lycée en internat.
Mais elle ne supporte pas d'être éloignée de sa famille. Alors elle part travailler dans une jardinerie pendant une année. Puis s'inscrit au concours d'agent de la police municipale, qu'elle réussit. En mars 2009, Aurélie Fouquet donne naissance à un fils. Elisabeth Fouquet poursuit, la voix étranglée par des sanglots.
Elle accomplit le rêve de fonder une famille. Et à moi, elle va m'offrir mon plus beau rôle : celui de mamie
"Tout s'est arrêté ce jour-là"
"Aurélie est blessée par balles." Le 20 mai 2010, Elisabeth Fouquet reçoit un appel de son mari à 10h10. "On n'a alors pas conscience de la situation, on ne sait pas ce qui s’est passé." La voix d'Elisabeth Fouquet se brise. "Je sens que c'est grave, j'ai peur."
Le couple se rend à l'hôpital Henri-Mondor de Créteil. "Je demande à un médecin : 'Avez-vous une chance de sauver ma fille ?' 'Il y a 0,01% de chance', me répond-il. A ce moment-là, je tombe dans le déni. On est sauvés, je me suis mis ça en tête." Mais Aurélie Fouquet meurt à 19h10, après une ultime tentative pour la ranimer. Elle avait 26 ans.
Son avocat, Laurent-Franck Liénard, prend la parole. "Et il y a eu un après ?", lui demande-t-il doucement.
Vous habitez dans une maison, vous connaissez des visages mais vous ne reconnaissez plus rien car tout est dévasté. La chance qu'on a eue, c'est qu'elle nous laisse Alexis. La chair de sa chair. On doit porter cet enfant, comme on la porte elle : c'est un devoir.
"Tout s'est arrêté ce jour-là", conclut-elle avant de retourner s'asseoir.
"J'étais en présence du tireur ou d'un des tireurs"
C'est alors qu'un des accusés se lève et demande à prendre la parole. C'est Jean-Claude Bisel. Il est assis dans le box, tout à droite. Quand tous les autres ont le crâne rasé, lui arbore une mèche châtain. C'est le plus vieux : il a 58 ans. Entraîneur de foot de Redoine Faïd, impliqué dans plusieurs de ses projets criminels dans les années 1990, il est surnommé "Nanou".
Jean-Claude Bisel comparaît détenu non pas pour son rôle secondaire dans cette affaire, mais pour avoir tué en mars 2015 son ex-gendre à l'arme automatique. Pour les faits du 20 mai 2010, il est renvoyé pour "soustraction d'un criminel à l'arrestation ou aux recherches" et risque trois ans de prison. En clair, on lui reproche d'avoir veillé et caché Olivier Tracoulat, un accusé qui n'a jamais été retrouvé. Touché à la tête par une balle des policiers, il est probablement mort. Il est jugé par défaut.
"Je voulais saluer le courage de madame Fouquet", commence Jean-Claude Bisel. Sa voix est faible. "J'ai un peu de mal, je suis ému." Il se râcle la gorge. "Je pense que j'étais en présence du tireur ou d'un des tireurs. Je tenais à le dire." Il essuie une larme au coin de son œil avec un mouchoir en papier plié.
Ces mots créent un effet de surprise. C'est la première fois, dans un procès où l'omerta règne, qu'un accusé en accable un autre. Si Jean-Claude Bisel ne donne pas de nom, on comprend qu'il désigne Olivier Tracoulat. L'émotion de la famille Fouquet l'aurait-il gagné ? Peut-être, mais il ne faut pas oublier que celui qu'il charge aujourd'hui n'est plus là.
"J'ai tiré sur les condés"
"La nuit où on est venu me chercher pour garder ce fameux blessé, [celui-ci] a dit : 'Ça a merdé. J'ai tiré sur les condés'", ajoute un peu plus tard Jean-Claude Bisel. Ce "fameux blessé", il l'appelle finalement Tony — le surnom d'Olivier Tracoulat, que Jean-Claude Bisel a vu allongé et blessé dans une camionnette. En garde à vue, il avait déclaré que le "blessé" avait "un trou au niveau de l'arcade sourcilière gauche dans lequel il aurait pu mettre son petit doigt".
"Il avait l'air comment ?", interroge le président de la cour d'asssises, Philippe Roux. "Il a dit 'ça va'. Il avait l'air lucide. Il a dit : 'Faut se dépêcher, faut se débarasser des voitures à Noisy'. Ou Choisy. Ou peut-être il a dit 'cramer les voitures'. Je ne sais plus, c'était il y a longtemps", répond Jean-Claude Bisel. Ses souvenirs commencent à se brouiller. Il n'en dira pas plus.
"Aurélie vit encore dans nos cœurs"
L'audience est suspendue. L'immense salle reste silencieuse. Saisie par l'émotion. Les photos d'Aurélie Fouquet en uniforme, puis avec son fils, bébé, sont encore dans toutes les têtes. Tout comme les mots prononcés par Steven, le compagnon de la policière. Il a lu une lettre du petit Alexis. "C'est une lettre d'enfant, écrite avec des mots d'enfants", explique cet homme très grand aux épaules carrées et aux cheveux coupés ras.
Moi j'ai pas pu connaître ma maman. Vous êtes des méchants, vous êtes bêtes car vous avez tiré sur ma maman. (…) Et on voudrait savoir qui a tiré sur ma maman.
Les membres de la famille de la policière se retrouvent. Ils s'enlacent, en larmes. "C'était notre moment à nous. Elle vit encore dans nos cœurs, commente Elisabeth Fouquet. C'était difficile mais nécessaire."
Nécessaire pour faire vaciller un accusé ? "C'était une grande surprise, lorsqu'il s'est levé il était très ému", commente-t-elle. C'est, pour elle, "un moment de sincérité de sa part". "J'espère que c'est un début de réponse, pour nous ce serait un moment de délivrance", ajoute la quinquagénaire.
"On est passés à côté du moment de vérité", regrette de son côté Laurent-Franck Liénard, son avocat. Mais le procès est loin d'être terminé. Il doit durer jusqu'à mi-avril.
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