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Les skinheads, anatomie d'un mouvement

La mort de Clément Méric a mis les skinheads à la une de l'actualité. Francetv info s'est penché sur les origines et les mutations de cette sous-culture.

Article rédigé par Jelena Prtoric
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 7min
Un skinhead lors d'un rassemblement de droite à Berlin (Allemagne), le 1er mai 2010. (DAVID GANNON / AFP)

"Frappé à mort par des skinheads." La mort de Clément Méric a braqué les projecteurs sur les skins. Dans l'imaginaire collectif, ces crânes rasés chaussés de Doc Martens sont souvent assimilés aux néonazis. Pourtant, le mouvement skinhead est beaucoup plus complexe. Francetv info remonte aux origines de cette sous-culture.

A l'origine, des jeunes prolétaires amateurs de ska

Les skinheads sont les descendants des mods britanniques. Début des années 1960 : les mods, des jeunes de la classe moyenne amoureux de belles sapes, de scooters et de musique noire, s'empoignent avec les rockers, portés sur les motos et le rock'n'roll, lors d'affrontements épiques qui font la une des tabloïds. Les mods jugent les blousons noirs arriérés et bas du front, les rockers trouvent les mods snobs et maniérésBeaucoup de jeunes deviennent mods, transformant un mouvement élitiste en phénomène de masse.

Vers 1966, "une fraction plus prolétarienne des mods s'est détachée progressivement du mouvement, optant pour un style vestimentaire qui reflétait leur appartenance à la classe ouvrière : Doc Martens - des chaussures de chantier -, bretelles, jean à ourlets, en plus des tee-shirts Fred Perry" déjà portés par les mods, explique à francetv info Gildas Lescop, sociologue et auteur d'une thèse consacrée aux skinheads, à paraître en 2014. Des mods, ils ont gardé le goût pour la bagarre.

Le mouvement est alors apolitique. Les skinheads fréquentent les concerts de ska, rocksteady et reggae aux côtés des immigrés jamaïcains – à l'époque, il n'est nulle question de racisme. Leur nom vient de leur crâne tondu. "On ne sait pas exactement s'ils le faisaient parce que dans le milieu ouvrier les cheveux étaient courts, parce qu'ils voulaient s'opposer au mouvement des hippies ou pour éviter que la police ne les attrape par les cheveux lors des émeutes", détaille le sociologue. La répression policière et l'orientation de la scène reggae vers le rastafarisme provoquent un essoufflement du mouvement au début des années 1970. 

Les années punk : un nouveau souffle, puis la dérive néonazie

C'est l'explosion médiatique punk de 1977 qui redonne de la vigueur aux skinheads. Ils se lient aux punks et adoptent un style de musique plus cru, la oi! (Hé toi ! en argot cockney), axée sur les préoccupations de la rue et les thématiques de la vie de la "working class". En France, les pionniers du mouvement sont "les skins des Halles" à Paris, apparus en 1979. Dans le documentaire Antifa, chasseurs de skins de Marc-Aurèle Vecchione, l'un d'eux, "Ammour", confirme la nature apolitique de leur groupe. "Ce qui importait, c’étaient la musique, les fringues et les potes."

Dans des années 1980, la crise économique frappe le Royaume-Uni et propulse le National Front, l'extrême droite anglaise, sur le devant de la scène. "C'était un parti vieillissant, alors ils avaient besoin de recruter des jeunes. Les skinheads, du milieu ouvrier et avec un appétit pour la violence, étaient une cible naturelle, précise Gildas Lescop. Le mouvement des skinheads néonazis britanniques devient alors très médiatisé et se propage en Europe, causant une droitisation des mouvements skinheads en France."

Dans les années 1980, nazi-skins contre antifa

En France, et notamment en région parisienne, plusieurs groupes de skinheads néonazis apparaissent au début des années 1980 : le Nazi Klan (créé par Serge Ayoub) dans le quartier du Luxembourg, Légion 88 à Juvisy-sur-Orge (Essonne), les Toads à Tolbiac… Serge Ayoub, surnommé Batskin, tente alors de réunir différents groupuscules, pour constituer un mouvement nationaliste avec les Jeunesses nationalistes révolutionnaires (JNR). Loin de la rue, il lie les JNR à Jean-Gilles Malliarakis, dirigeant du Mouvement nationaliste révolutionnaire, puis de Troisième Voie. "J'avais envie de m'organiser politiquement", affirme-t-il dans le documentaire Sur les pavés qu'il a présenté comme une réponse à Antifa, chasseurs de skins.

Face à la hausse des violences perpétrées par les skins néonazis (particulièrement contre les immigrés, les punks ou les SDF), plusieurs groupes antifascistes s'organisent dans la capitale. Les Ducky Boys, une bande de rockers, ou les Red Warriors, skins rouges et antifascistes, deviennent des "chasseurs de skins" avec pour objectif de contrer ce qu'ils considèrent comme une montée du fascisme dans les rues.

Les skinheads antifascistes tiennent à rester indépendants des partis. Seuls les Red Warriors se sont rapprochés d'organisations plus structurées comme le Scalp (Section carrément anti-Le Pen) et SOS-Racisme.

Entre les deux camps, les idéologies diffèrent radicalement, mais la violence est la même. Souvent, les antifa arborent le même style vestimentaire que les skinheads d'extrême droite. Dans le documentaire Antifa, chasseurs de skins, Kim, des Red Warriors, explique : "Prends-toi un coup de Doc Martens dans la tête, c'est l'équivalent d'un coup de batte de baseball. On a vu que c'était efficace, donc on a copié."

Les années 1990 : la diminution des bagarres de rue

Vers le début des années 1990, les bagarres de rue se font beaucoup plus rares. Les Red Warriors se séparent dans les années 1991-1992.

"Beaucoup de skinheads néonazis se sont retirés. Pour certains, être un néonazi, c'était un phénomène passager. D'autres ne voulaient plus subir la répression policière et risquer des bagarres au quotidien. Finalement, ceux qui avaient une idéologie fasciste inébranlable sont restés actifs, mais pas forcément dans le cadre de la rue", explique Gildas Lescop. 

A Paris, les skinheads se sont repliés dans les tribunes du Parc des Princes, parmi les supporters du PSG, dans le kop de Boulogne, "où ils recrutent parmi les hooligans", ajoute le sociologue. Les accrochages n’ont plus lieu dans la rue, sauf exception, mais autour des enceintes sportives. 

Aujourd'hui : les deux clans dispersés

"Les grandes bagarres ont profité aux skinheads apolitiques", estime Gildas Lescop, qui y voit un "retour aux origines". Aujourd'hui, "ils se concentrent sur les vêtements et la musique. S'ils ont des idées politiques, ils ne vont pas les extérioriser."

Pourtant, il y a toujours des skins des deux camps qui s'affrontent. "Il s'agit de bagarres dans la rue, moins médiatisées et, puisqu'on reste dans une logique des mouvements de rue, c'est rare qu'un clan porte plainte", explique le sociologue. Et, même si on trouve toujours des skins antifa et des skins néonazis, il ne s'agit pas de groupes importants et organisés. 

"Aujourd'hui, ils sont dispersés entre plusieurs mouvements : les Sharp (Skinheads against racial prejudice), les Rash (Red and anarchist skinheads) ou la Fédération anarchiste pour les antifascistes. Les skinheads d'extrême droite se retrouvent eux aussi dans plusieurs groupuscules. La plupart d'entre eux ont abandonné leur dégaine de skinhead, estimant que ce n'est plus une bonne façon de faire passer leur message, conclut le chercheur. L'image de skin aujourd'hui n'est pas une bonne publicité."

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