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Au procès de Francis Heaulme, la culpabilité de l'accusé divise les familles des victimes et leurs avocats

Pendant les trois semaines de débats, Francis Heaulme s'est borné à répéter qu'il n'avait pas tué Alexandre Beckrich et Cyril Beining. Les jurés devront quand même dire s'ils ont l'intime conviction qu'il est coupable.

Article rédigé par Violaine Jaussent - Envoyée spéciale à Metz
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 8min
Thierry Moser, l'avocat des parents d'Alexandre Beckrich, lors de l'ouverture du procès du double meurtre de Montigny-lès-Metz (Moselle), le 25 avril 2017. (MAXPPP)

"J'ai le cœur qui saigne." Elle a des cheveux gris, courts. Elle est à côté de son mari. Elle s'accroche à la barre. Lui, plus grand, pose une main sur son épaule. Le couple Beckrich est venu crier sa douleur à la barre, mardi 16 mai, deux jours avant le verdict du procès de Francis Heaulme, qui comparaît devant la cour d'assises de la Moselle pour le meurtre de deux enfants.

Dominique Beckrich est la première à parler. Elle souffle dans le micro, étouffe des sanglots. Elle est traversée par les émotions et, avant tout, ravagée par le chagrin. Elle veut parler d'Alexandre. Son fils dont la vie s'est arrêtée le dimanche 28 septembre 1986, sur le talus SNCF de la rue Venizélos à Montigny-lès-Metz. Il avait 8 ans, il en aurait 39 aujourd'hui. "Personne ne connaissait nos enfants, on ne parle jamais de nos enfants", regrette-t-elle.

C'était des enfants joyeux, des feux follets, ils avaient la joie de vivre, des enfants dégourdis. C'était comme des agneaux qui couraient dans tous les sens.

Dominique Beckrich

devant la cour d'assises de la Moselle

Mais la tristesse n'est pas le seul sentiment qui anime cette femme encore en deuil. Dominique Beckrich est aussi rongée par la colère. Une colère tournée avant tout contre la justice et ses errements dans ce dossier vieux de 30 ans : "Avec toutes ces péripéties qu'on nous fait subir, tous ces procès, ces mensonges, ces aberrances... C'est insupportable. (...) On dit la justice des hommes, mais il n'y a pas de justice des hommes."

"On souffre, on souffre encore jusqu'à la mort"

Et puis il y a les scellés. Ils ont été détruits en 1995. Le parquet a pris cette décision, légale, six ans après la condamnation de Patrick Dils. Sans se douter que ce premier accusé serait finalement acquitté après une requête en révision. Pour Dominique Beckrich, c'est une erreur irréparable. "J'en voudrai toujours à la justice d'avoir fait ça, je ne leur pardonnerai jamais. Si on avait ces scellés, on n'aurait pas attendu autant de temps, on saurait", lance-t-elle à la barre.

"Vous savez, ce dossier, au bout de 30 ans, on le connaît par cœur, poursuit Dominique Beckrich. Alors on souffre, on souffre, on souffre encore jusqu'à la mort." Elle aimerait juste que sa douleur cesse. Car du verdict, elle n'attend rien. Elle le dit clairement : "Ce n'est pas encore aujourd'hui qu'on va apporter des réponses." "On nous a dit tout et son contraire. Mais nous, on sait. Je sais. Je sais, c'est tout, j'ai mes convictions." Dominique Beckrich ne cite personne. Pourtant, derrière ces "convictions", on comprend qu'elle désigne Patrick Dils.

Sa dernière phrase est pour les jurés. Elle les supplie : "J'espère que ce sera la dernière fois que je viendrai dans une salle. J'aimerais ne plus revenir, plus jamais, ça suffit maintenant !" Puis retourne s'asseoir sur les bancs réservés aux parties civiles.

"Je ne sais plus trop sur quel pied danser"

Son mari, resté à ses côtés, prend le relais. "Ce dimanche 28 septembre 1986, j'ai vu mon fils avant de partir au travail. Puis je ne l'ai plus jamais revu. C'est quelque chose de terrible", commence-t-il. Sa voix se brise. Serge Beckrich marque une pause. Puis il trouve la force de continuer et de raconter cette journée, telle qu'il l'a vécue. Et ce moment indescriptible où les policiers trouvent les corps. "Ils nous ont barré la route. Mon père y est allé quand même. Et il m'a dit : 'ben c'est fini, voilà'." Serge Beckrich fond en larmes.

Cela fait trente ans qu'on nous dit tout et n'importe quoi. On ne sait plus quoi penser. Aujourd'hui, on ne sait toujours pas quoi penser.

Serge Beckrich

devant la cour d'assises de la Moselle

Sa fille, Allison, lui succède. C'est une jeune fille aux cheveux châtains, relevés sur la tête, vêtue d'un grand gilet. Elle est née après la mort d'Alexandre. "Je n'ai pas connu mon frère mais c'est tout comme. Je le porte dans mon cœur." Comme son père, elle "ne sait plus trop sur quel pied danser."

"C'est une torture pour mes clients"

Son avocat, Dominique Rondu, qui est aussi celui de sa grand-mère Ginette, 91 ans, lui, n'hésite pas. Il a son idée et l'énonce clairement. "Au terme de ce procès, nous ne sommes pas convaincus de la culpabilité de Francis Heaulme. Et nous avons le courage de vous le dire", déclare-t-il, mardi en milieu de matinée, dans sa plaidoirie, la première des avocats des parties civiles. Dominique Rondu s'adresse aux jurés : "Vous avez le devoir de livrer cette vérité et de dire : 'Nous sommes absolument certains de la culpabilité de l’accusé.'"

Trente ans plus tard, nous ne pouvons nous contenter d'une intime conviction.

Dominique Rondu

devant la cour d'assises de la Moselle

"L'intime conviction, la cour l'a donnée aux familles : elle a condamné Patrick Dils à la perpétuité [en 1989], fondée sur des aveux qui laisseront des traces dans les esprits des familles de victimes." L'avocat va même jusqu'à citer des phrases issues des aveux de Patrick Dils, pourtant acquitté en 2002. "'Quand je frappais la tête des enfants, cela faisait le bruit d'un melon qu'on écrase' : cette phrase, elle résonne encore chez la maman d'Alexandre, chez la grand-mère d'Alexandre, dit-il. Vous pouvez comprendre, même s'il y a eu un acquittement de Dils, vous pouvez comprendre que cette phrase restera dans la tête."

L'acquittement de Patrick Dils est et restera un moment difficile pour le couple Beckrich. "C'est une torture pour mes clients car, dans leur esprit, on a libéré l'assassin !" s'exclame Alexandra Vautrin, la deuxième avocate à plaider. Elle défend aussi le fils du couple, le frère d'Allison, qui n'a pas assisté au procès.

"J'ai la totale conviction de la culpabilité de Francis Heaulme"

Tandis que l'ombre de Patrick Dils continue de planer sur le procès, Thierry Moser décide de la chasser. Autre avocat du couple Beckrich, il a décidé de plaider à contre-courant, y compris de ses clients. Car lui ne croit plus à la culpabilité de Patrick Dils. Un véritable "cas de conscience" pour celui qui se définit comme "un avocat tout court", "un auxiliaire de justice".

Je suis loyal avec mes clients, mais ce que je vais dire pourra les heurter, les décevoir, mais je crois que j'ai le devoir d'être au clair avec ma conscience.

Thierry Moser

devant la cour d'assises de la Moselle

La mère et la fille Beckrich ne veulent pas entendre la suite : elles sortent. "Je ne veux pas déserter le champ de bataille, je pourrais me taire, je pourrais dissimuler mon point de vue. Mais je choisis de déplaire car j'ai l'amour de ce que je crois être la vérité. Je m'exprimerai donc avec une extrême sincérité. Mais mes propos ne pourront refléter le point de vue des époux Beckrich", poursuit Thierry Moser, qui insiste pour être bien compris. "J'ai la totale conviction de la culpabilité de Francis Heaulme", lâche-t-il.

"Un aveu implicite"

Sa plaidoirie commence alors véritablement. Il développe "six éléments troublants" qui l'ont conduit à cette conclusion : les déclarations de Francis Heaulme qui ressemblent à des aveux, sa parfaite connaissance des lieux, le mobile du crime, les déclarations de différents témoins, l'estimation raisonnable de l'heure du décès des enfants et enfin les analogies entre le double meurtre de Montigny-lès-Metz et les autres crimes avérés de l'accusé. 

Aucun autre avocat des parties civiles n'osera intégrer une telle hypothèse dans sa plaidoirie. Il n'y a que Dominique Boh-Petit, avocate de Chantal Beining, la mère de Cyril, qui glisse sa conviction dans une petite phrase. Celle-ci arrive en fin de plaidoirie, alors que l'avocate a rendu un hommage poignant à sa cliente et à son opiniâtreté – sans elle, ce procès n'aurait pas lieu. La veille encore, Dominique Boh-Petit a essayé de faire parler l'accusé. En vain. Vingt-quatre heures plus tard, l'avocate décrypte : "Francis Heaulme n'a rien dit. Parce qu'il ne peut pas le dire. J'analyse sa position d'hier comme un aveu implicite." Le verdict est attendu jeudi en fin de journée.

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