"Il m'a dit qu'il avait tué des gosses à coups de pierres" : au procès de Heaulme, le témoignage tardif d'un ancien gendarme
Jean-Pierre Virolet, qui dirigeait l'enquête sur le meurtre de Laurence Guillaume dans les années 1990, a fait cette déclaration à la barre, vendredi à Metz, à la surprise des parties.
Jean-Pierre Virolet avait prévu de faire son petit effet en allant déposer devant la cour d'assises de Metz (Moselle), vendredi 12 mai. Après une suspension d'audience, il glisse près de la machine à café : "Je savais que ça allait faire le buzz." Cet ancien gendarme de 73 ans, au costume gris un peu froissé, a lâché à la barre avoir recueilli les confidences de Francis Heaulme sur le double meurtre de Montigny-lès-Metz dès 1993. "Il m'a dit : 'J'ai tué des gosses à coups de pierres'." Stupeur dans la salle. Des révélations tardives, il y en a eu dans cette affaire. Mais celle-ci n'était encore jamais officiellement remontée aux oreilles de la justice.
En 1993, Jean-Pierre Virolet dirige les investigations sur le meurtre de Laurence Guillaume, une adolescente de 14 ans, violée et sauvagement poignardée en 1991 à Metz. Francis Heaulme, dans les radars de la gendarmerie nationale depuis son arrestation par Jean-François Abgrall en janvier 1992, est entendu dans plusieurs affaires non élucidées. La section de recherche de Metz a monté la cellule "Laurence" et utilise pour la première fois des logiciels pour recouper les déplacements de celui qui va devenir le "routard du crime" avec ces affaires. "On était trente officiers de police judiciaire", se félicite le petit homme aux cheveux blancs.
"Ah, voilà des Messins!"
A grands renforts de gestes, il raconte l'audition de "Francis", qu'il désigne familièrement d'un geste dans le box. "Il était content de nous voir, il nous a dit : 'Ah, voilà des Messins !' En off, il était détendu, on parlait vélo." Plus sérieusement, Francis Heaulme dessine un croquis puis finit par avouer le meurtre de Laurence Guillaume et désigne son coauteur (il a été condamné à la perpétuité en 1995, assortie d'une période de sûreté de 18 ans).
Pour les besoins d'une reconstitution en 1993, l'accusé revient à Metz. Jean-Pierre Virolet le reçoit dans son bureau, comme ça, de manière "informelle". C'est là que Francis Heaulme lui aurait dit, entre autres choses, avoir "tué des gosses à coups de pierres". Sans préciser ni quand, ni où. Le gendarme reconnaît pourtant, devant la cour, avoir fait le lien avec l'affaire de Montigny. Elle remonte alors à sept ans (1986) mais elle est encore dans toutes les têtes dans la région. "Je mets ça sur un bout de papier. Je vais voir mes deux adjoints qui me disent : 'Ça c'est une affaire qui a été jugée, l'auteur est en prison, ça n'a rien a voir'." L'auteur en question s'appelle Patrick Dils et il sera définitivement acquitté en 2002.
Moi, il y a l'autorité de la chose jugée, donc je ne bouge pas.
Jean-Pierre Virolet, ancien gendarmedevant la cour d'assises de Metz
Aucun PV n'est donc dressé à l'époque. Fin de l'histoire. En 2015, le gendarme se réveille et passe un coup de fil à la section de recherches de la gendarmerie de Metz pour signaler ce qu'il a entendu dans son bureau vingt-quatre ans plus tôt. "Je me suis manifesté comme témoin, je ne voudrais pas qu'il y ait un déni de justice pour les familles."
"Vous avez vécu sur une île déserte ?"
Dominique Rondu, avocat de Ginette Beckrich (la grand-mère d'un des enfants tués), bondit : "Nous trouvons particulièrement choquant ce témoignage, cette légèreté, monsieur, je vous demanderai de ne pas avoir de compassion à l’égard des victimes." Le président, Gabriel Steffanus, lui fait la morale, estomaqué : "Mais monsieur ! Quand on a ce type de renseignement, on va voir le procureur de la République."
Ça n'existe pas le off dans la justice, ça ne doit pas exister dans la police, ça ne doit pas exister dans la gendarmerie.
Gabriel Steffanus, président de la cour d'assises de Metz
La défense prend le relais, par la voix de Stéphane Giuranna. L'avocat s'interroge sur cette "libération de conscience tardive", comme celle des codétenus entendus la veille. "Qui peut le croire, monsieur, qui peut le croire ?" Et de dresser un parallèle avec Jean-François Abgrall, qui recueille le même genre de confidences en 1992 et ne fait le rapprochement sur PV qu'en 1997. Cette année-là, Patrick Virolet part à la retraite. "Vous avez vécu sur une île déserte depuis ?" ironise la défense. "Quand on est en retraite, on décroche un peu", rétorque le témoin d'un haussement d'épaules, reprochant aux avocats de vouloir "le mettre" dans le box et de faire "le procès de la gendarmerie".
Dans un éclat de voix général, régulier depuis l'ouverture de ce procès tendu, les parties demandent que soient actées les déclarations du témoin. "L'intérêt, c'est éventuellement d'être poursuivi pour faux témoignage", glisse Alexandre Bouthier, l'un des avocats de Francis Heaulme. A défaut de buzz, le gendarme retraité a semé la confusion. Et illustré, une fois de plus dans ce procès et dans toute cette affaire, les errements de l'enquête
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