Pédophilie et pédopornographie : comment l'Education nationale fait face
Les ministres de l'Education et de la Justice présentent, lundi 4 mai, les conclusions de l'enquête administrative sur les affaires de Villefontaine et d’Orgères. Elles devraient annoncer des mesures pour éviter de nouvelles "défaillances". Comment le sujet est-il traité à l'école ? Francetv info a recueilli des témoignages de professeurs.
"J'ai d'abord cru à un canular. Je me suis dit que quelqu'un lui en voulait." Un matin, un professeur apprend, dans la presse, qu'un de ses collègues est en garde à vue pour détention et diffusion d'images à caractère pédopornographique. Il tombe des nues.
"Nous étions nombreux à ne pas y croire. Puis un autre collègue a confirmé l'information, et l'a mise en ligne sur le site internet de l'établissement. Le lendemain, le chef d'établissement est venu nous voir en salle des professeurs. Il s'est adressé à toute l'équipe : il fallait avoir le même discours auprès des élèves, faire taire les rumeurs et insister sur le fait que c'était désormais à la justice de faire son travail", raconte ce professeur, sous couvert d'anonymat.
L'enseignant interpellé est suspendu. Une cellule de veille psychologique est mise en place. Elle permet à l'infirmière scolaire et à l'assistante sociale d'intervenir dans les classes sur ces sujets. "Pas mal d'élèves ont ressenti le besoin d'aller les voir", constate le professeur interrogé par francetv info.
Le chef d'établissement lui-même se rend dans toutes les classes. "Il a su comment réagir, il a bien fait son travail. Certains professeurs ne se sentaient pas capables de s'adresser aux élèves. Personnellement, c'était plus facile que ce que je pensais, mes élèves n'ont pas exprimé le besoin de m'en parler." Par la suite, une heure d'information sur les dangers du numérique, et notamment les risques de la pédophilie sur internet, a été dispensée dans chaque classe.
"On adapte par rapport aux besoins"
Récemment, le même type de dispositif a été mis en place au collège d'Orgères (Ille-et-Vilaine), près de Rennes. Le 31 mars, un professeur d'éducation physique et sportive de l'établissement a été suspendu. Condamné en 2006 pour détention d'images pédopornographiques, cet enseignant d'EPS a également été mis en examen, procédure actuellement en cours, pour "agression sexuelle sur mineur de 15 ans, dans un contexte familial". La principale a réuni les enseignants pour leur expliquer l'affaire, un texte a été lu aux élèves et un mot transmis aux parents.
Dans le Pas-de-Calais, un enseignant d'un collège a été suspendu après sa condamnation à 18 mois de prison avec sursis pour détention d'images pédopornographiques. Mais cette fois, aucune cellule psychologique n'a été mise en place. "Le besoin ne s'est pas fait ressentir. On adapte par rapport aux besoins", précise le rectorat de Lille à francetv info. Pourtant, dans La Voix du Nord, parents et élèves se disent choqués. Ceux qui ont été interrogés par les journalistes parlent de l'enseignant comme d'un homme au comportement ambigu.
Un sujet pas abordé en formation
Si les comportements pédophiles en milieu scolaire sont très médiatisés, ils restent minoritaires par rapport à la totalité de ces faits. "80% des abus sexuels sur des enfants sont commis par des proches, rappelle à francetv info Dominique Frémy, pédopsychiatre. Et de plus en plus, il y a des violences sexuelles entre mineurs, avec des adolescents qui commettent des actes sur des enfants." Chaque jour, ces enfants victimes vont à l'école.
Comment, dans ce cas, l'enseignant peut-il repérer et aider ces enfants ? Tous les professeurs interrogés par francetv info sont unanimes : le sujet n'est pas directement abordé au cours de leur formation. Certains se souviennent seulement d'une courte formation au cours de laquelle on leur parle du signalement. En effet, lorsqu'une personne a connaissance de la situation d'un enfant en danger, ou en risque de l'être, la loi lui impose d'en informer les professionnels (assistantes sociales, médecins...).
"J'ai appris sur le terrain"
A 24 ans, Marie, professeure en école maternelle depuis septembre 2014, a déjà expérimenté ce type de situations, à la fin d'un stage de trois semaines en grande section. "Un jour, un enfant est arrivé avec des traces sur le dos et surtout, il refusait catégoriquement d'aller aux toilettes avec l'assistante maternelle, alors qu'il acceptait jusqu'ici de le faire. Il a parlé d'un problème avec un ami de ses parents, qui lui aurait fait mal... On a compris qu'il parlait de sévices sexuels", raconte-t-elle.
"Son institutrice, qui exerçait dans la classe dans laquelle j'étais en stage, est allée voir la directrice de l'école le jour même, poursuit Marie. Ensemble, elles ont rempli le formulaire. J'ai donc eu sous les yeux la feuille de signalement, j'ai vu comment ma collègue avait agi. L'enfant a pu être rapidement pris en charge par la psychologue scolaire, puis par un autre professionnel extérieur. Je saurais faire si un nouveau cas se présentait à moi, car je l'ai observé sur le terrain. Mais c'est la seule façon d'apprendre."
"Un sujet délicat"
Face à ce sujet qu'ils jugent "délicat", certains professeurs ont peur de ne pas trouver les bons mots. "Si on parle de choses dont on n'a pas du tout idée, cela peut affoler, être mal interprété", soulève Véronique, professeure des écoles depuis 22 ans. "Le sujet est très compliqué à aborder. Autant on peut faire de la prévention auprès de ses enfants, autant ce n'est pas simple auprès de ses élèves, car ce doit être bien fait", renchérit Katia, 36 ans, professeure des écoles en CP.
L'âge des élèves est bien évidemment déterminant pour aborder le sujet : on ne s'adresse pas de la même manière à un enfant de 6 ou 9 ans, ou à un adolescent de 12 ou 15 ans. "J'essaye de créer une relation de confiance , pour qu'un élève, s'il le souhaite, puisse se confier", indique Laurent, professeur d'éducation physique et sportive. De par sa discipline, il est davantage sensibilisé sur le rapport à l'élève, et sur le corps. "Je suis vigilant avec mes gestes en gymnastique. Les mauvaises interprétations peuvent vite survenir, il faut avoir le bon comportement", souligne-t-il.
Des livres pour en parler
"Des collègues sont mal à l'aise par rapport à ce sujet, reconnaît Catherine, 56 ans, enseignante et directrice d'une école élémentaire. On n'a pas de formation qui permette de prendre du recul, il faut réagir avec nos tripes, et donc avec nos maladresses."
Catherine elle-même avoue qu'elle aurait du mal à aborder le sujet directement avec ses élèves de CM2, mais elle réfléchit à des façons de le faire. "Actuellement, chaque semaine, je fais choisir à mes élèves un article dans un journal pour leur âge. Si l'un d'eux choisissait un article sur ce thème, je pourrais élargir le débat."
D'autres solutions sont avancées. "On peut sensibiliser sur cette question avec des livres, comme la série des Max et Lili [notamment avec Lili a été suivie]", suggère Adrien, professeur des écoles spécialisé. Avant de souligner : "Car si on n'en parle pas, c'est comme si ça faisait peur."
Le professeur dont le collègue a été interpellé confirme : "La cellule de veille était indispensable. Des élèves avaient besoin de parler. Plusieurs mois après, certains d'entre eux étaient inquiets parce que des professeurs participaient au voyage scolaire." Les élèves ont été rassurés. L'infirmière scolaire s'est à nouveau mobilisée. "C'est important : en tant que professeur, on ne peut pas tout faire. Mais il est vrai qu'on pourrait être davantage sensibilisé à ces questions, notamment pour apprendre à agir dans l'urgence." Pour l'instant, chacun s'adapte comme il peut.
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