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"Petite martyre de l'A10" : "Cette affaire a évolué de concert avec l'évolution des techniques de police scientifique"

Le colonel de gendarmerie Jacques-Charles Fombonne, commandant du centre national de formation de la police judiciaire (CNFPJ) a salué, jeudi sur franceinfo, le travail du premier gendarme qui est intervenu sur les lieux de la découverte en 1987.

Article rédigé par franceinfo
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C'est dans ce fossé, derrière la glissière de sécurité de l'A10, au niveau de la commune de Suèvres, que le corps de la petite fille a été découvert, le 11 août 1987. (MAXPPP)

La fillette martyrisée retrouvée morte le long de l'autoroute A10 en 1987 a un nom. Inass Touloub avait quatre ans. Ses parents ont été retrouvés, grâce aux traces ADN qui avaient été conservées et qui ont pu être exploitées lors d'une affaire récente impliquant son frère. Ses parents ont été mis en examen, jeudi 14 juin. Pour le colonel de gendarmerie Jacques-Charles Fombonne, commandant du centre national de formation de la police judiciaire (CNFPJ), invité de franceinfo jeudi soir, Inass Touloub est "redevenue un être humain, elle appartient à la communauté des hommes". Le colonel salue le travail du premier gendarme qui est intervenu sur les lieux de la découverte en 1987, "qui a le réflexe de saisir les éléments probatoires" et a eu "la prescience de quelque chose dont on n'est même pas au courant dans les années 1980". Il estime que "cette affaire a évolué en marchant de concert avec l'évolution des techniques".

franceinfo : Cette petite fille existe désormais. Cela veut dire qu'il ne faut jamais laisser tomber ?

Jacques-Charles Fombonne : C'est redevenu un être humain. Ce n'est plus la petite martyre de l'A10. C'est une petite fille, elle s'appelle Inass Touloub et elle appartient à la communauté des hommes. Il y a plusieurs leçons dans cette affaire. On apprend des échecs, mais de temps en temps, il faut apprendre des réussites. Il ne faut jamais lâcher. 1987, c'est quelques mois après l'affaire Grégory où la gendarmerie s'est rendue compte que les process en matière de police technique et judiciaire n'étaient plus du tout opérants. Parce qu'il fallait à un moment donné se jeter dans la modernité. Cela a été un électrochoc qui nous a décidés à nous mettre en ordre de bataille.

1986, cela a été la création de l'école que je commande, cela a été la création du laboratoire de police scientifique de la gendarmerie.

Jacques-Charles Fombonne

à franceinfo

Ce qui est extraordinaire, c'est le point de départ. On a un gendarme d'un peloton d'autoroute - des gendarmes qui ne sont pas des enquêteurs à plein temps - qui a le réflexe de saisir les éléments probatoires, la couverture, les vêtements, de faire des saisines et des mises sous scellés d'une façon si bien faite que, 30 ans après, les éléments sont encore exploitables. Et surtout, ce gendarme a la préscience de prélever quelque chose de la potentialité duquel on n'est même pas au courant dans les années 1980. Parce que ce sont les process que l'on commence à apprendre à nos officiers de police judicaire. Le temps a joué pour nous. Cette affaire a évolué en marchant de concert avec l'évolution des techniques de police scientifique.

C'est presque de l'archéologie ?

C'est un temps archéologique. Pour les jeunes qui ont 25 ou 30 ans, je ne suis pas convaincu qu'ils arrivent à imaginer que c'est une époque où il n'y a pas de téléphone portable, pas de réseaux sociaux, pas internet. On est dans une époque qui, au quotidien, est complètement différente de la nôtre. On est vraiment au début de la police technique, des constatations de terrain. À partir du moment où on a l'identité de la victime, on a fait un très grand pas. Mais quand on n'a pas cette identité, on se heurte au vide. On ne sait pas dans quelle direction diligenter les investigations. Sans cet ADN, je pense qu'on n'aurait jamais sorti cette affaire, malgré la bonne volonté, l'acharnement des magistrats successifs.

Est-ce que cette identification est également importante pour les habitants du village où avait été retrouvé le corps d'Inass, pour que le mystère soit levé ?

C'est à cela que servent, au-delà de tout, les enquêtes criminelles. On a besoin à un moment donné, sociétalement, d'apporter une réponse à une question abominable : qui a tué cette gamine ? On est dans une infraction qui touche à la construction même de la nature humaine. Qui peut tuer un enfant ? Et, malgré la présomption d'innocence, l'enquête aboutit sur une réponse qui est encore plus inimaginable. Potentiellement, il se pourrait que ce soient les parents, qui sont mis en examen, qui ont tué leur fille.

Est-ce que cette enquête est un cas d'école ?

Oui. C'est rafraîchissant. Quand on forme, on ne sait jamais quel est le retour. On se dit que finalement ce système qui est le nôtre, celui de la gendarmerie qui consiste à n'avoir qu'un seul centre national pour la formation, fait que toutes les unités de gendarmerie de France travaillent selon les mêmes process, les mêmes méthodes. Cela finit par payer. C'est le travail qui permet de boxer le hasard et le mettre dans les cordes. À un moment donné, on a épuisé toutes les hypothèses. On a la chance du fichier génétique. Parce que le prélèvement a été bien fait, qu'il a été bien interrogé, parce que les policiers et les gendarmes ont fait leur travail comme il faut. Ce sont des process qui finissent par porter leurs fruits. Et cela fait extrêmement plaisir.

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