Gendarme tué dans les Alpes-Maritimes : comment la loi est réellement appliquée en matière de délits routiers
C'est un drame qui a provoqué l'émoi et la sidération. Eric Comyn, un gendarme de 54 ans, a été mortellement percuté lundi soir par un automobiliste tentant d'échapper à un contrôle routier à la sortie de l'autoroute A8, à Mougins (Alpes-Maritimes). Un suspect de 39 ans a été interpellé quelques heures après, et mis en examen mercredi 28 août pour "meurtre sur personne dépositaire de l'autorité publique", avant d'être placé en détention, a annoncé le parquet de Grasse.
Le suspect, "en situation régulière" et détenteur d'un permis de conduire valide, était déjà connu pour de "nombreux délits routiers et notamment des refus d'obtempérer", a déclaré le ministre de l'Intérieur démissionnaire Gérald Darmanin sur BFMTV au lendemain du drame. Le parquet a précisé qu'il comptait au total 10 condamnations à son casier judiciaire pour "des infractions à la circulation routière" (au nombre de six), mais aussi "des atteintes aux personnes" (quatre au total). Lors de son interpellation dans la nuit de lundi à mardi, l'homme présentait un taux d'alcoolémie positif.
Depuis le drame, plusieurs responsables politiques ont appelé à être plus sévère envers les auteurs de délits routiers et en particulier concernant les refus d'obtempérer. Le groupe de députés A Droite, présidé par le patron contesté des Républicains Eric Ciotti, a annoncé sur X qu'il allait déposer une proposition de loi "pour durcir les sanctions contre les refus d’obtempérer", tandis que le maire de Mougins souhaite rendre "les sanctions beaucoup plus fortes et dissuasives".
Jusqu'à cinq ans d'emprisonnement pour un refus d'obtempérer
Les délits routiers sont jugés par un tribunal correctionnel. Il s'agit principalement de l'excès de vitesse (au-dessus de 50 km/h), la conduite sans permis, sous emprise de l'alcool et/ou de stupéfiants, jusqu'aux homicides et blessures involontaires. Ils sont punis par des peines proportionnelles à la gravité des actes commis : c'est le juge qui détermine le montant de l'amende, de la durée de suspension du permis et, le cas échéant, de la peine de prison. En règle générale, un délit entraîne le retrait d'au moins six points sur le permis et les amendes s'échelonnent de 3 750 à 150 000 euros.
Concernant le refus d'obtempérer, les sanctions ont été alourdies par la loi du 24 janvier 2022, qui prévoit deux ans d'emprisonnement, 15 000 euros d'amende, et la suspension du permis de conduire, précise l’article L233-1 du Code de la route. S'il est assorti de mise en danger de la vie d'autrui, les sanctions sont aggravées : le chauffard encourt cinq ans d'emprisonnement, 75 000 euros d'amende et la suspension de son permis. Ces peines peuvent être doublées en cas de récidive.
"On va vers davantage de fermeté"
"La législation est stricte et donne au juge les moyens d'agir", estime Michel Benezra. Cet avocat spécialiste du droit routier dit d'ailleurs observer une réelle fermeté dans les tribunaux. Par exemple, en cas de récidive de conduite sous alcool ou stupéfiants, "l'annulation du permis est systématique, souligne-t-il, et ce, quel que soit le nombre de points sur le permis. Il s'agit d'une peine 'plancher', c'est-à-dire automatique".
Un constat partagé par son confrère, Franck Cohen, lui aussi spécialisé en droit routier. "J'ai vraiment le sentiment que l'on va vers davantage de fermeté, notamment quand le prévenu a déjà reçu un avertissement de l'autorité judiciaire", constate l'avocat. "Pour autant, les magistrats doivent appliquer un principe de personnalisation de la peine, en appréciant la situation personnelle, professionnelle et familiale du prévenu. Il regarde aussi son casier et prend en compte l'existence d'infractions précédentes", détaille-t-il à franceinfo.
Interrogé par France 3 Provence-Alpes Côte d'Azur, l'avocat Olivier Grebille-Romand rappelle que les délits routiers font partie de ceux qui connaissent le plus de récidive. "L'alcool par exemple, fait partie du quotidien. Deux contrôles positifs en cinq ans, et vous êtes récidiviste", souligne-t-il.
Pour désengorger les tribunaux, qui croulent sous les dossiers et notamment les délits routiers, les magistrats ont tendance à diriger les prévenus vers des alternatives pénales, comme la comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité (CRPC). Egalement appelée "plaider-coupable", elle permet de juger plus vite le prévenu, "à condition qu'il reconnaisse les faits reprochés", comme l'explique service-public.fr.
De la détention pour les cas les plus graves
Mais cette procédure ne s'applique pas aux délits les plus graves, comme les homicides involontaires, jugés lors d'une audience au tribunal, pour lesquels "il y aura systématiquement de la prison ferme", assure Michel Benezra. Par ailleurs, "un magistrat n'hésitera pas à imposer de la prison ferme s'il y a un cumul d'infractions faisant que les faits causés deviennent quasi inéluctables, rapporte Franck Cohen. Par exemple, quelqu'un conduisant sous alcool, au téléphone et en très grand excès de vitesse peut aller en détention, au moins jusqu'au procès".
Mais au global, pour les délits routiers qui ne relèvent pas de ces catégories, il y a peu d'incarcérations en France. "Les prisons sont remplies, pour des faits commis avec une intentionnalité des auteurs : c'est le cas pour des braquages, des viols, des assassinats. La justice se dit qu'elle a plutôt intérêt à enfermer ces gens-là", observe Michel Benezra. Rappelons que le nombre de personnes incarcérées dans le pays ne cesse d'augmenter, et a atteint un nouveau record au 1er juillet, avec 78 509 personnes incarcérées, selon des chiffres du ministère de la Justice.
Concernant la multiplication des refus d'obtempérer, son confrère Franck Cohen, régulièrement saisi par les auteurs de ce type de faits, reconnaît qu'il y a "une vraie problématique". "La répression s'est endurcie sur certains délits, avec des pertes de points sur le permis. De ce fait, beaucoup de conducteurs qui redoutent la suspension du permis sont prêts à prendre tous les risques... Quitte à aggraver leur cas en tentant bêtement d'échapper à un contrôle", pointe Franck Cohen. Gérald Darmanin a rappelé sur BFMTV qu'il y avait en moyenne "25 000 refus d'obtempérer par an", dont "5 000 touchent directement des policiers, des gendarmes ou des citoyens ".
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