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Le syndicat de police Alliance soupçonné de violations du secret de l'enquête

Selon les informations de France Télévisions, plusieurs membres du syndicat de police Alliance sont visés par des procédures judiciaires pour "violation du secret professionnel", à Paris et à Marseille.
Article rédigé par franceinfo - Hugo Puffeney
France Télévisions
Publié
Temps de lecture : 5min
Un drapeau du syndicat de police Alliance lors d'une manifestation de policiers à Paris le 2 mai 2022. (SAMUEL BOIVIN / NURPHOTO / AFP)

Pourquoi un policier du 13e arrondissement de Paris s'est-il suicidé à la fin du mois de juin 2022, quelques heures avant sa convocation par l'Inspection générale de la police nationale (IGPN) ? Y a-t-il un lien avec de possibles pratiques du syndicat de police Alliance ? Ces questions ont taraudé pendant de longs mois les enquêteurs de "la police des polices", en charge d'une procédure judiciaire plutôt sensible, selon les informations recueillies par France Télévisions.

Tout commence en 2022 par une dispute de couple entre policiers, qui tourne à l'échauffourée. Appelés sur place, les agents dressent un procès-verbal (PV) de constatations d'usage, et la femme dépose une main courante dans laquelle elle dénonce des violences conjugales. Comme le veut la procédure lorsqu'il s'agit de policiers, l'homme est convoqué à l'IGPN.

Lors de l'audition, les limiers de "la police des polices" tiquent : le conjoint suspecté de violences semble tout connaître des déclarations de sa femme et du contenu de la procédure. Pour les enquêteurs, pas de doute, il y a eu une fuite. Un suspect est rapidement identifié : un ami de l'homme mis en cause, Florian R., policier au commissariat du 13e arrondissement. Ce dernier reconnaît avoir consulté le PV de constatations et la main courante sans autorisation, mais il assure avoir agi à la demande du syndicat de police Alliance. À nouveau convoqué par l'IGPN le 24 juin 2022, il décide de se donner la mort le matin de son audition, avec son arme de service. Son corps est retrouvé sur un chantier parisien, comme l'avait révélé Europe 1.

Un système pyramidal pour remonter les informations

Florian R. a-t-il été poussé par le syndicat à violer le secret professionnel auquel il était astreint ? Les enquêteurs n'en ont jamais eu la preuve. Mais en creusant cette piste, l'IGPN a découvert qu'Alliance a bien eu accès à toute la procédure. Des responsables du syndicat ont incité un de leurs délégués à se renseigner sur l'affaire, en violant le secret professionnel, et en parfaite connaissance de cause.

L'IGPN a ainsi dévoilé un schéma pyramidal : un délégué Alliance du commissariat, Patrick B., avait obtenu toute la procédure, pourtant protégée dans le système informatique. Il l'avait ensuite transmise à un délégué de district, Damien V., qui lui-même l'avait envoyée à sa supérieure syndicale, Nora B. Les informations transitaient via des boucles de discussion sur l'application WhatsApp.

"J'ai eu un doute en tant qu'officier de police judiciaire", reconnaît devant les enquêteurs le policier Patrick B., qui a consulté le contenu de l'enquête. "Mais les délégués Alliance Police Nationale ont tellement insisté sur le fait qu'il fallait leur transmettre les informations en cas de risques psychosociaux, et que je ne risquais rien pénalement, que j'ai fait confiance au syndicat."

"On insiste pour avoir des informations"

Devant les "bœufs carottes", les autres membres d'Alliance mis en cause reconnaissent avoir fait pression sur leurs adhérents. "C'est vrai qu'on insiste pour avoir des informations", avoue Damien V. "Je reconnais que je n'ai pas à connaître les éléments de procédure", dit aussi Nora B. "J'ai demandé à mon délégué de secteur, Damien V., de se renseigner. C'était surtout pour vérifier les déclarations de celle qui était frappée."

Contacté par France Télévisions, le syndicat Alliance assure que ce cas "n'en fait pas une généralité". "Il n'y a aucun système Alliance qui fait de nous une machine à violer la loi. On n'incite pas nos adhérents à le faire, ça se saurait sinon. Bien sûr que l'on sollicite des délégués pour avoir des remontées d'informations, mais on s'arrête au secret de l'enquête."

Cette procédure judiciaire a été bouclée par l'IGPN et envoyée au parquet de Paris qui décidera des éventuelles suites à donner à cette affaire. La violation du secret professionnel est punie d'un an de prison et 15 000 euros d'amende.

Un rappel à l'ordre de l'IGPN

Selon les informations de France Télévisions, au moins deux autres procédures judiciaires sont en cours contre des membres d'Alliance pour violation de secret professionnel. La première concerne la diffusion d'informations après des tirs à la carabine contre plusieurs passants sur les Champs-Elysées en septembre 2021. La deuxième, révélée par le site Marsactu, concerne le sauvetage d'une fillette. Celle-ci avait été enlevée et violée, avant d'être retrouvée grâce à l'application Snapchat à Marseille, en janvier 2022, comme l'avait rapporté France 3 Provence Alpes-Côte d'Azur.

Cette accumulation de procédures ne concerne pas que le syndicat Alliance et agace jusqu'au sommet de l'IGPN. Au cours de l'été 2022, la directrice de "la police des polices", Agnès Thibault-Lecuivre, avait averti les dirigeants syndicaux lors d'une réunion. Elle leur avait rappelé ne pas inciter les policiers à se procurer des informations provenant d'enquêtes en cours, au risque de déclencher des poursuites pénales.

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