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Tirs mortels sur le Pont-Neuf à Paris : cinq questions sur la légitime défense invoquée par les policiers

Article rédigé par Violaine Jaussent
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 9min
La police sécurise le Pont-Neuf, à Paris, le 24 avril 2022. (DURSUN AYDEMIR / ANADOLU AGENCY / AFP)

Un policier a tiré, dimanche, en plein centre de Paris, sur une voiture qui aurait foncé sur lui et ses collègues. Le fonctionnaire a été mis en examen, mercredi, pour "homicide volontaire à l'égard du conducteur du véhicule", tué sur le coup.

La légitime défense n'est pas retenue à ce stade. Le policier qui a tué, le 24 avril, deux hommes en tirant sur leur voiture près du Pont-Neuf à Paris, a été mis en examen, mercredi 27 avril, notamment pour "homicide volontaire à l'égard du conducteur du véhicule", a appris franceinfo de source judiciaire.

Alors que certains syndicats de police appellent, en réaction, à un rassemblement, lundi 2 mai, franceinfo revient sur le sujet.

1Que reproche-t-on au policier auteur des tirs ?

Le policier a été mis en examen pour plusieurs motifs. Celui "d'homicide volontaire" ne concerne que la mort du conducteur du véhicule. Ce dernier a, selon un rapport de police, "foncé vers un des fonctionnaires qui s'est écarté pour l'éviter", alors que les cinq policiers de la patrouille s'apprêtaient à le contrôler. C'est à ce moment-là que le gardien de la paix de 24 ans, le seul à être armé, a ouvert le feu avec son fusil d'assaut. Il a utilisé "une dizaine de cartouches" et six impacts de balles ont été retrouvés sur le pare-brise avant, précise à France Télévisions une source proche du dossier.

Selon une source judiciaire, le policier est également mis en examen pour "violences volontaires par personne dépositaire de l'autorité publique ayant entraîné la mort sans intention de la donner" concernant l'autre passager qui était à l'avant. Enfin, il a été mis en examen pour "violences volontaires aggravées par personne dépositaire de l'autorité publique" envers le passager arrière, qui est blessé au bras droit, mais dont les jours ne sont pas en danger.

D'après le compte-rendu des policiers, un chauffeur de taxi, qui assure avoir assisté à toute la scène, a "confirmé la légitime défense évoquée par les fonctionnaires". Mais le parquet de Paris a précisé à l'Agence France Presse que de nombreuses investigations, portant sur les faits, en partie de nature criminelle, devaient encore avoir lieu, notamment sur la question de la légitime défense. A ce stade, cette circonstance n'est donc pas retenue. Néanmoins, cela peut évoluer au cours de l'instruction.

2Comment s'applique la légitime défense pour les policiers ?

La légitime défense est une des causes d'irresponsabilité pénale : elle s'applique quand une infraction a volontairement été commise, mais que les circonstances l'excusent dans un cadre défini par la loi. A l'hiver 2016, les policiers avaient organisé des manifestations, notamment pour faire évoluer les règles d'usage des armes à feu par les forces de l'ordre. Ils ont obtenu gain de cause : la loi du 28 février 2017 élargit les conditions dans lesquelles les policiers peuvent recourir à leurs armes et alignent leurs droits sur ceux des gendarmes. L'article 453-1, applicable à toutes les forces de l'ordre, précise que cet usage doit se faire "en cas d'absolue nécessité et de manière strictement proportionnée".

Cinq circonstances sont possibles. Tout d'abord, le recours à une arme est autorisé en cas "d'atteintes à la vie ou à l'intégrité physique" du policier ou d'autrui. Il l'est aussi lorsque, "après deux sommations faites à haute voix", les fonctionnaires ne peuvent "défendre autrement les lieux qu'ils occupent ou les personnes qui leur sont confiées". Ou, troisième cas de figure, s'ils ne parviennent pas à arrêter des personnes "susceptibles de perpétrer, dans leur fuite, des atteintes à leur vie ou à leur intégrité physique ou à celles d'autrui". Ils peuvent également se servir de leur arme dans "le but exclusif d'empêcher la réitération, dans un temps rapproché, d'un ou de plusieurs meurtres ou tentatives de meurtre venant d'être commis".

En outre, il est permis aux policiers d'utiliser leur arme lorsqu'ils "ne peuvent pas immobiliser autrement" des véhicules "dont les conducteurs n'obtempèrent pas à l'ordre d'arrêt", mais si, et seulement si, les occupants "sont susceptibles de perpétrer, dans leur fuite, des atteintes à leur vie ou à leur intégrité physique ou à celles d'autrui". Le policier semblait être dans ce cas lorsqu'il a ouvert le feu près du Pont-Neuf. Mais, comme le souligne BFMTV, les deux juges d'instruction ont estimé que sa riposte avait été disproportionnée. Or, pour que la légitime défense s'applique, la réponse du policier doit être égale à la gravité de l'attaque.

3Y a-t-il des précédents ?

Trois policiers ont été mis en examen, en 2018 et en 2020, dans des affaires semblables, toujours en cours d'instruction. Plus récemment, un policier de 32 ans a été mis en examen pour "violences volontaires ayant entraîné la mort sans intention de la donner". Ce brigadier de la BAC avait voulu contrôler, le 26 mars, une fourgonnette conduite par un habitant du quartier des Beaudottes à Sevran (Seine-Saint-Denis). Au moment où cet automobiliste a démarré, il a été mortellement atteint par la balle tirée par le policier.

"Une mise en examen pour 'homicide involontaire', on le voit régulièrement. En revanche, 'homicide volontaire', qui suppose que le policier a eu la volonté de tuer, c'est très rare", constate auprès de franceinfo Fabien Jobard, directeur de recherche au CNRS, coauteur de Sociologie de la police (éd. Armand Colin, 2015) avec Jacques de Maillard. "Le juge estime très vraisemblablement que le policier a fait usage de son arme sans qu'il y ait danger, qu'il l'a fait dans le but de porter atteinte à la vie de la personne sur laquelle il a tiré, c'est-à-dire que le policier était en parfaite maîtrise de ses moyens lorsqu'il a fait usage de son arme", analyse le chercheur.

4Comment ont réagi les syndicats de police ?

Le syndicat de police Alliance a aussitôt contesté une "décision inadmissible" des juges d'instruction. "Ce policier est passible des assises et de trente ans de réclusion criminelle alors qu'il a fait feu pour protéger son intégrité physique et celle de ses collègues sur le terrain", a réagi, mercredi soir, auprès de franceinfo Stanislas Gaudon, délégué général d'Alliance. De son côté, le syndicat Unité SGP Police a rappelé, à l'AFP, qu'il souhaitait la mise en place "d'une juridiction et des magistrats spécialisés aguerris aux difficultés du métier de policier".

Une requête similaire à celle d'Unsa Police, un syndicat qui "s'interroge" sur la mise en examen du gardien de la paix auteur des tirs près du Pont-Neuf. "Quelques fractions de seconde... C'est le délai imparti à un policier engagé dans une situation d'intervention pour décider de faire usage de son arme", regrette l'Unsa Police dans un communiqué consulté par franceinfo. Le syndicat annonce se joindre au rassemblement organisé par Alliance, lundi 2 mai, à midi, devant la fontaine Saint-Michel à Paris, non loin du Palais de justice. Une manifestation pour défendre "la légitime défense et la présomption de légitime défense des policiers".

5Pourquoi les syndicats parlent-ils à nouveau de "présomption de légitime défense des policiers" ?

Alliance défend avec vigueur cette mesure, qui était au cœur de son "grand oral" des candidats à la présidentielle, organisé le 2 février. Elle a été portée pendant la campagne par Marine Le Pen et Eric Zemmour. L'idée est loin d'être nouvelle : la candidate du Rassemblement national l'avait déjà intégrée à son programme en 2012 et 2017, dans le sillage de son père en 2007, rappelle Libération

Selon Olivier Cahn, chercheur au Centre de recherches sociologiques sur le droit et les institutions pénales (Cesdip), cette "présomption de légitime défense" aurait pour conséquence d'inverser la charge de la preuve. "Ce serait alors à la personne estimant être victime d'un usage abusif de la force de prouver que le policier n'était pas en état de légitime de défense", explique-t-il dans La Croix. Dans Libération, le secrétaire national du Syndicat de la magistrature estime que cette "facilité" serait "hyperproblématique". Un avis partagé par Fabien Jobard : "Il faut quand même bien décoder ce que ça veut dire en droit : cela veut dire que lorsque le policier utilise la force ou son arme à feu, on ne peut rien faire contre lui parce qu'il est présumé non responsable de son geste."

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