: Récit Grenoble : comment la mort de deux jeunes lors d'une course-poursuite avec la police a embrasé le quartier Mistral
Le procureur de Grenoble, Eric Vaillant, évoque un "accident". Des proches des victimes parlent eux de "bavure".
Des feux d'artifice percent le ciel grenoblois au-dessus du quartier Mistral, dans la nuit du lundi 4 au mardi 5 mars. Des cocktails Molotov sont jetés des toits des immeubles, des cris retentissent et des voitures sont en flamme au pied des tours. Pour la troisième nuit consécutive, plusieurs quartiers grenoblois, dont celui de Mistral, sont le théâtre d'émeutes. La colère qui se propage aussi à des communes iséroises avoisinantes, comme Echirolles, Fontaine et Saint-Martin-le-Vinoux, a été déclenchée par la mort, deux jours plus tôt, de deux jeunes hommes de 17 et 19 ans à l'issue d'une course-poursuite avec la police.
A 21h10, samedi 2 mars, une patrouille de la police municipale de Grenoble tente de contrôler un scooter qui circule sur le cours Jean-Jaurès, dans le centre de la ville. Selon le Dauphiné Libéré, les deux jeunes hommes qui se trouvent sur l'engin "dégradent des voitures stationnées sur le cours". Le conducteur du deux-roues refuse le contrôle et prend la fuite. Une heure plus tard, un équipage de la police nationale entreprend de contrôler un scooter "du même type dépourvu de plaque d'immatriculation qui circulait tous feux éteints ", toujours selon le récit du Dauphiné. Sur ce scooter, un seul homme, cette fois, et celui-ci ne porte pas de casque non plus. Mais le deux-roues brûle un feu rouge et file dans le quartier du Mistral.
Un accident avec un car
Quelques minutes plus tard, des policiers de la brigade anticriminalité (BAC), en voiture banalisée, repèrent un scooter sans plaque d'immatriculation qui sort du même quartier. Les deux hommes dessus circulent sans casque. La BAC les prend en chasse, une course-poursuite s'engage. Les deux véhicules arrivent alors sur le pont de Catane, où circule un car transportant 16 personnes d'un club de football amateur, en direction de Seyssinet-Pariset, rapporte France 3 Auvergne Rhône-Alpes.
Dans son rétroviseur, le conducteur du car voit arriver le scooter et la voiture. Il raconte avoir voulu se déporter sur la droite afin de les laisser passer mais, au même moment, le scooter tente de se faufiler pour doubler le car par la droite. Les deux passagers meurent coincés entre le flanc du véhicule et le parapet de la voie d'accès à l'A480. Adam et Fathi étaient respectivement âgés de 17 et 19 ans, détaille le procureur de Grenoble Eric Vaillant, qui évoque un "accident". Tous les deux étaient connus des services de police pour des faits de petite délinquance. Le scooter sur lequel ils circulaient, un Yamaha T-Max d'une cylindrée de 125 centimètres cubes, était volé, précise le procureur.
"Il n'y a jamais eu d'attaques aussi franches"
Aux alentours de minuit, des barricades enflammées sont installées dans les rues du quartier Mistral. Des jets de projectiles sont envoyés sur les forces de l'ordre. Les habitants sont brusquement réveillés. "A deux heures et demi du matin, j'ai vu que les voitures flambaient. J'ai pris peur", rapporte une résidente interrogée par France 3. "Cela était très angoissant. Voir des voitures brûler, ce n'est pas habituel", ajoute un autre résident.
"Je voyais les flammes qui s'élevaient... C'était tendu, il y avait plusieurs incendies. J'ai entendu beaucoup de cris, avec des invectives, des heurts... C'est vrai que le quartier est réputé pour être tendu, mais on n'a jamais eu ce niveau-là d'intensité. Des voitures qui brûlent ça arrive, mais de là à voir trois, quatre foyers différents et autant de cris... Je n'ai jamais vu ça", confie un autre habitant à France Bleu Isère. "De mémoire, il n'y a jamais eu d'attaque aussi franche de la CRS 47 [un cantonnement de CRS]", assure de son côté une source policière.
"La police est responsable de leur mort"
Pour Hassan, le père d'Adam, c'est la pression policière lors de cette course-poursuite, qui a provoqué la mort de son fils. "La police a fait une grande erreur en poursuivant à tout prix mon fils. Ils connaissent pourtant tous les jeunes du quartier. Ils auraient pu l'arrêter plus tard. Ils savent où il habite. Mais je fais confiance à la justice pour savoir ce qui s'est passé", confie-t-il au Parisien. "Il n'avait pas de casque, a brûlé des feux rouges. Il était en infraction, admet l'oncle. Mais il n'était pas armé. N'avait tué personne. Fallait-il aller jusqu'à le pourchasser avec un véhicule de la BAC ? Il a été obligé avec son ami de prendre l’autoroute dans le noir, sans éclairage sur le scooter et sans casque. On les a envoyés à la mort."
Dans le quartier Mistral, où les deux jeunes vivaient, beaucoup accusent en effet les forces de l'ordre de "bavure". "Vous pouvez écrire que la police est responsable de leur mort", a lancé à un journaliste de l'AFP une proche des victimes, les yeux rougis, en sortant du palais de justice de Grenoble. "Des jeunes du quartier ont vu ce qui s'est passé et ont le sentiment d'une bavure policière, c'est de là que vient toute cette tension", estime Hassen Bouzeghoub, directeur du centre socio-culturel du quartier.
"Que les jeunes soient bons ou mauvais, personne n'a le doit de mourir pour un simple contrôle. La police n'a pas le droit de vie ou de mort sur qui que ce soit. On se battra pour que la justice soit rétablie", explique Karim, un habitant du quartier.
« On se battera jusqu'à bout de souffle pour la justice » me dit Karim, jeune du quartier et ami d'Adam et Fatih.#Grenoble pic.twitter.com/beEIyaR7o6
— Taha Bouhafs (@T_Bouhafs) 4 mars 2019
De son côté, le maire de Grenoble, Eric Piolle, a lancé un appel au calme, pour "ne pas rajouter de la violence urbaine au drame". Une information judiciaire a été ouverte pour éclaircir les circonstances de la mort des deux jeunes hommes.
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