Mort d'un homme après son interpellation à Montfermeil : cinq questions sur l'utilisation du pistolet à impulsion électrique par les forces de l'ordre
Il est arrivé à l'hôpital en arrêt cardio-respiratoire. Un homme de 30 ans est mort, vendredi 5 janvier, à la Pitié-Salpêtrière à Paris, après avoir reçu la veille une dizaine de décharges de pistolet à impulsion électrique (PIE), à Montfermeil (Seine-Saint-Denis). Il s'était retranché dans une épicerie, dans la nuit de mercredi à jeudi. Selon le parquet de Bobigny, 18 policiers ont été mobilisés pour l'en déloger et dix d'entre eux ont utilisé leur PIE à plusieurs reprises. Une autopsie doit être pratiquée lundi. Pour le moment, il n'est pas possible d'affirmer que les tirs de Taser sont responsables de la mort du trentenaire. Mais cette affaire, pour laquelle l'Inspection générale de la police nationale (IGPN), la police des polices, est saisie, soulève plusieurs questions sur les conditions d'usage de cette arme dans les rangs des forces de l'ordre.
1 Qu'est-ce qu'un pistolet à impulsion électrique ?
Dans un arrêté du 9 novembre 2021 publié au Journal officiel (JO) pour définir la doctrine d'emploi du pistolet à impulsion électrique par les personnels de l'administration pénitentiaire, le PIE est présenté comme "une arme de force intermédiaire, non létale". Elle est classée parmi les armes de catégorie B ou D, en fonction de son emploi : en mode dissuasif, en pointant juste le laser ; en mode contact, par application directe de l'extrémité du pistolet sur une personne ; en mode tir, par la projection à courte distance de deux aiguillons métalliques qui restent reliés à l'arme par l'intermédiaire de deux fils conducteurs.
Comme l'explique l'arrêté publié au JO, "le pistolet à impulsion électrique permet la neutralisation d'un individu par l'envoi d'une impulsion électrique provoquant une sensation de douleur ou une neutralisation du système locomoteur", soit l'ensemble des organes permettant de se déplacer. Le Taser émet au départ une décharge électrique de 50 000 volts environ. Lorsque les deux ardillons touchent leur cible, le choc reçu est de moins de 2 000 volts, selon Axon, fabricant du Taser. La décharge dure environ cinq secondes et peut être interrompue ou répétée.
2 Dans quel cadre est-il utilisé par les forces de l'ordre en France ?
Comme le rappelle l'IGPN dans son dernier rapport annuel, la généralisation du pistolet à impulsion électrique à l'ensemble des services de police a commencé en 2007. Son cadre d'utilisation est défini dans une instruction du 2 août 2017, commune à la police et à la gendarmerie nationales, puis dans celle du 17 janvier 2022. "Le PIE peut être utilisé contre une personne menaçante ou dangereuse, dans le strict respect des principes de nécessité et de proportionnalité qui président à l'usage légal de la force", écrit l'IGPN. Dans l'affaire de Montfermeil, il faudra notamment déterminer si ces principes de nécessité et de proportionnalité ont été respectés.
En 2022, 45% des utilisations ont été faites "dans un milieu fermé, pour l'essentiel, au domicile, au commissariat ou aux urgences hospitalières", précise l'IGPN, soulignant que dans la majeure partie des cas, il s'agissait d'"individus souffrant de troubles psychiatriques, alcoolisés ou sous l'empire de produits stupéfiants, de tentatives de suicide ou de différends familiaux ou conjugaux violents". Lorsqu'un individu est "en proie à des troubles psychiatriques", "l'effet dissuasif est rarement efficace" et les forces de l'ordre ont recours à des tirs à bout portant ou touchant, souligne la police des polices.
La police municipale peut également être équipée de pistolets à impulsion électrique. Ainsi que le prévoit le Code de la sécurité intérieure, l'utilisation de PIE "donne lieu à un enregistrement visuel et sonore effectué soit par un dispositif à déclenchement automatique intégré ou connecté à l'arme, soit par la caméra individuelle dont l'agent porteur de l'arme est doté".
3 Son utilisation est-elle fréquente ?
L'usage du pistolet à impulsion électrique par les forces de l'ordre a augmenté sans discontinuer. "Avec 2 995 usages opérationnels recensés en 2022, le recours à cette arme est en hausse de 11% par rapport à l'année précédente", précisait le rapport de l'IGPN, relevant une augmentation constante de son usage ces cinq dernières années, à l'exception de 2020, année de la crise sanitaire liée au Covid-19.
Cette hausse est à mettre en lien avec le nombre de pistolets à impulsion électrique disponibles. Entre 2014 et fin janvier 2023, le nombre de PIE en dotation a été multiplié par 20, toujours d'après l'IGPN. Après le modèle classique dit "X26", les effectifs de police français sont progressivement équipés d'un nouveau modèle, le T7 de la société Axon. L'inspection assure que "l'étude des comptes-rendus d'interventions (...) témoigne d'une utilisation de l'arme de manière appropriée, ainsi que de son adéquation aux nécessités opérationnelles des services".
4 Quelles blessures peut-il occasionner ?
Selon l'IGPN, le pistolet à impulsion électrique est, "rapporté au nombre d'utilisations", "une arme dont l'emploi est sans conséquence physique dommageable". La projection des aiguillons reliés à l'arme par des câbles peut provoquer des lésions cutanées. "Dans la majorité des situations, les blessures constatées ne sont pas la conséquence directe de l'usage de l'arme, mais sont consécutives à des actes d'auto-agression ou à une chute", notait l'inspection dans son rapport, recommandant néanmoins de "vérifier l'état de santé de la personne à intervalles réguliers" et "d'adapter strictement la durée du cycle" de décharge aux circonstances.
"Aucune personne décédée ou blessée, au sens du recensement des personnes blessées et décédées à l'occasion d'une intervention de police et en lien avec l'utilisation du PIE, n'a été dénombrée" en 2022, précisait encore l'inspection.
Lors du salon de sécurité Milipol à Villepinte, mi-novembre, Rick Smith, le PDG et fondateur d'Axon (ex-Taser), a même assuré que son pistolet à impulsion électrique avait épargné des vies. Selon sa société, le PIE, qui totalise quelque cinq millions d'utilisations sur le terrain, aurait sauvé plus de 286 000 personnes de la mort ou de lésions corporelles graves qui, sinon, auraient été générées par des armes traditionnelles.
5 Pourquoi est-il considéré comme dangereux par des associations de défense des droits humains ?
Les associations de défense des droits humains, comme Amnesty International, mettent en avant des cas anciens de décès liés à l'usage de cette arme censée être non létale. Dans un rapport de 2008 (PDF), l'organisation avait répertorié 334 décès liés à cette arme aux Etats-Unis entre 2001 et 2008. L'ONG avait eu accès aux rapports d'autopsie de 100 victimes et observé que, dans 37 cas, "les médecins avaient mentionné l'usage d'un Taser comme cause ou facteur ayant contribué à la mort". Plus récemment, en 2021, la justice britannique a condamné un policier à huit ans de prison pour avoir tué l'ancien footballeur professionnel Dalian Atkinson, mort en 2016 après avoir subi une décharge de Taser de 33 secondes.
"L'argument utilisé pour les armes à létalité réduite est qu'elles ont été mises en service pour éviter aux agents du maintien de l'ordre d'avoir recours à des armes létales, expliquait à l'AFP au moment du salon Milipol Fanny Gallois, responsable du programme Libertés d'Amnesty international France. Mais on s'aperçoit qu'elles peuvent tuer quand elles sont mal utilisées ou par des personnes mal formées. En outre, elles peuvent être utilisées de manière abusive, pour infliger des tortures, des traitements dégradants."
Les pistolets à impulsion électrique sont d'ailleurs dans la ligne de mire de la rapporteure spéciale sur la torture et autres peines ou traitements cruels de l'ONU. Dans un rapport publié en 2020 (PDF), elle signalait que le Conseil consultatif scientifique de la défense chargé d'étudier les implications médicales des armes à létalité réduite alertait sur les risques encourus pour les personnes souffrant de maladies cardiaques ou ayant pris certains médicaments prescrits sur ordonnance ou encore certaines drogues.
La rapporteure insistait en outre sur la nécessité de former les membres des forces de l'ordre au repérage de "facteurs de vulnérabilité préexistants" chez les personnes visées par un PIE. "Certains types de comportements agressifs (...) peuvent être causés par des problèmes de santé mentale, la mauvaise compréhension d'une langue, des troubles auditifs, des déficiences visuelles, des troubles neurologiques du développement ou du comportement ou des difficultés d'apprentissage", listait-elle. A Montfermeil, le trentenaire était agressif au moment de l'intervention des forces de l'ordre, a appris franceinfo de source proche du dossier. Sa mère, présente, n'est pas parvenue à le calmer.
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