Policier écroué à Marseille : un sociologue constate une "fronde organisée à l'intérieur de l'État" après les propos du directeur de la police
Les soutiens du directeur général de la police nationale et du préfet de police de Paris à un policier mis en examen et placé en détention provisoire sont "une sorte de fronde organisée à l'intérieur de l'État", observe Sebastian Roché lundi 24 juillet sur franceinfo. Le sociologue, directeur de recherche au CNRS, affirme qu'entendre deux chefs de police souhaiter la libération d'un policier écroué est "sans précédent".
Au total depuis vendredi, quatre policiers sont mis en examen, l'un d’eux est en détention provisoire, dans le cadre d'une enquête sur des violences commises en marge des émeutes, dans la nuit du 1er au 2 juillet à Marseille.
franceinfo : Les soutiens affichés du directeur général de la police nationale Frédéric Veaux et celui de Laurent Nuñez, préfet de police de Paris, à l'un des policiers mis en examen pour une suspicion de violences policières à Marseille début juillet, sont dans le registre du soutien aux forces de l'ordre ou celui d'une pression sur la justice ?
Sebastian Roché : On a en face de nous quelque chose qui est sans précédent. C'est-à-dire qu'on a l'administration policière, parce qu'un chef de police est un administrateur, qui devient le quatrième pouvoir à côté du pouvoir exécutif, du pouvoir législatif et du pouvoir judiciaire. L'administration décide comment l'État doit fonctionner. C'est une sorte de fronde organisée à l'intérieur de l'État, dont je n'ai pas les tenants et les aboutissants, mais c'est quelque chose sans précédent.
Quand Frédéric Veaux dit "qu'avant un éventuel procès, un policier n'a pas sa place en prison", il demande un statut d'extra-légalité ?
C'est ça qui est surprenant. D'un côté, les directeurs de la police bousculent la séparation des pouvoirs et veulent dicter à la justice ce qu'elle doit faire. Et d'autre part, ils bousculent l'un des fondements de l'actuel État de droit qui est l'égalité devant la justice.
Ce qui fait l'unité politique des démocraties, c'est le rapport à la justice et le rapport aux règles. Il n'y a plus d'un côté les nobles et de l'autre côté les serfs. Il y a une collectivité de citoyens unis par la Constitution et là, ils disent : "Non, ça, c'est fini". Et donc c'est vraiment un choc, moi quand j'ai vu ça hier soir, c'est un choc incroyable. Je ne sais pas où ça nous emmène.
Le directeur général de la police nationale Frédéric Veaux et le préfet de police de Paris peuvent-ils prendre de telles positions sans que le ministre de l'Intérieur Gérald Darmanin soit informé ?
Ça semble quasiment impossible. Le préfet de police de Paris, c'est quelqu'un qui a le doigt sur la couture du pantalon. Il ne peut pas faire le moindre geste sans l'approbation du ministre. Et c'est pareil pour le directeur général de la police nationale. Ce sont des fonctionnaires ultra-politisés. Ils dépendent complètement de leur relation à l'autorité politique. C'est ce qui caractérise le système français, complètement différent dans d'autres pays. Qu'ils se prononcent ensemble, consécutivement et presque simultanément, cela démontre une planification. Je ne sais pas exactement quoi, mais il y a une tactique politique, à mon avis, qui est planifiée et qui vient de plus haut.
Cela intervient quelques heures avant la prise de parole du chef de l'État Emmanuel Macron à la télévision. Que peut-il dire ?
Normalement, le chef de l'État est le garant des institutions, de l'indépendance de l'autorité judiciaire, le garant des principes de droit qui sont inscrits dans la Constitution. Et c'est là qu'on est pris d'un doute en tant qu'analyste. Normalement, le président de la République doit remettre dans les rails les hauts fonctionnaires qui ont manqué à leurs devoirs, notamment d'impartialité et de réserve également. C'est ce qu'avait fait François Mitterrand en 1983, lorsqu'il y avait eu des manifestations de policiers qui avaient alors atteint la place Vendôme et le ministère de la Justice. Il avait révoqué le directeur général de la police nationale et le préfet de police de Paris, lui, avait accepté de démissionner.
Là, on est dans un contexte particulier avec les dernières émeutes qui ont frappé de nombreuses villes début juillet. D'une certaine manière, ce que disent ces dirigeants de la police, c'est situation exceptionnelle, réponse exceptionnelle ?
En 1983, c'est Action directe qui tue des policiers. Donc situation exceptionnelle, complètement exceptionnelle : des policiers attaqués par une organisation terroriste d'extrême gauche. Et le président de la République dit : "Oui, il y a cette attaque, mais la légalité et la loyauté des hauts fonctionnaires doivent rester au principe du fonctionnement des institutions". Donc, là, je ne sais pas ce que va dire Emmanuel Macron, mais on est une situation qui n'est pas plus exceptionnelle que celle que François Mitterrand a connue en 1983.
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