Producteur passé à tabac par des policiers : cinq questions sur le rôle de l'IGPN
L'inspection générale de la police nationale (IGPN) a été saisie à la suite des deux interventions très polémiques de la place de la République et contre un producteur de musique à Paris. Mais comment fonctionne cette institution ? Eléments de réponse.
On la surnomme "la police des polices". L'Inspection générale de la police nationale (IGPN) a été saisie dans deux affaires très médiatisées en seulement quelques jours : celle du démantèlement du camp de migrants place de la République, dans la nuit du lundi 23 au mardi 24 novembre, et celle du passage à tabac d'un producteur de musique noir par des policiers, révélée jeudi 26 novembre. Mais comment fonctionne cette institution régulièrement critiquée ?
1Dans quels cas l'IGPN peut-elle être saisie ?
• Par les autorités administratives. Ce service peut être saisi administrativement par le ministre de l'Intérieur, le directeur général de la police nationale, le préfet de police de Paris et le directeur général de la sécurité intérieure, explique le site de la police nationale. L'IGPN peut également s'autosaisir, à condition qu'une enquête judiciaire soit déjà ouverte pour les mêmes faits. "L'enquête administrative (…) va chercher une faute professionnelle ou un non-respect de la procédure interne", précisait en 2019 Katia Dubreuil, présidente du Syndicat de la magistrature, auprès de La Croix (article abonnés).
Depuis 2013 a été créée une plate-forme en ligne "ouverte à toute personne victime ou témoin d'un comportement susceptible de mettre en cause un agent de la police nationale". En revanche, précise le site du ministère de l'Intérieur, "cette plate-forme ne constitue ni un service de plainte, ni un service d'enquête, ni un service d'urgence".
• Par l'autorité judiciaire. D'un point de vue pénal, l'IGPN peut être saisie par l'autorité judiciaire, c'est-à-dire un procureur de la République ou un juge d'instruction. Une telle enquête peut être ouverte pour des violences envers un citoyen, une violation du secret professionnel ou des injures discriminatoires ou racistes, par exemple.
2Qui compose l'IGPN ?
En 2019, l'IGPN comptait 285 agents, dont 72% de policiers, 19% de personnels administratifs et techniques, et 9% d'autres personnels (magistrats de l'ordre administratif, adjoints de sécurité, apprentis…), selon son rapport annuel (PDF). Parmi eux, une centaine d'enquêteurs surnommés les "bœufs-carottes" pour leur tendance à cuisiner à petit feu leurs collègues en auditions. Et "ils ne font pas de cadeaux", assurait Yannick Landurain, major de police à la BAC de Livry-Gargan (Seine-Saint-Denis) et délégué syndical Unité-SGP, dans une enquête de franceinfo publiée en juin dernier.
Cependant, malgré cette réputation, le recrutement de l'IGPN en interne pose question. "Il y aura toujours des soupçons de partialité : ce sont des policiers qui enquêtent sur des policiers", résumait, dans le même article, Jean-Michel Schlosser, devenu sociologue après une longue carrière dans la police. D'autant plus que "tous les gens qui travaillent à l'IGPN savent qu'ils retourneront ensuite dans les services actifs auprès de leurs collègues", pointait Sebastian Roché, politologue spécialiste des questions de sécurité, dans un entretien à Télérama.
3Quels sont ses moyens d'action ?
Dans le cadre d'une enquête judiciaire, l'IGPN peut procéder à des interpellations, des gardes à vue ou encore des auditions. Elle transmet ensuite ses conclusions à un juge d'instruction, qui est libre de les suivre ou non. Devant la justice, un policier encourt les mêmes sanctions que les autres citoyens – amendes et peines de prison. En 2019, l'IGPN a été saisie de 1 460 enquêtes judiciaires.
Dans le cadre d'une enquête administrative, l'IGPN n'a aucun pouvoir de sanction. Elle peut néanmoins en proposer une (avertissement, blâme, renvoi en conseil de discipline), mais il revient à la hiérarchie du policier mis en cause de l'appliquer, comme l'explique L'Express.
4Pourquoi l'IGPN a-t-elle été saisie dans les deux dernières affaires médiatisées ?
Dans le cas du producteur de musique passé à tabac dans le 17e arrondissement de Paris, l'IGPN a été saisie à la fois sur le plan administratif et sur le plan judiciaire. Quatre policiers ont été suspendus dans cette affaire. Trois l'ont été à la suite d'une demande du préfet de police de Paris. La quatrième suspension résulte d'une requête du ministère de l'Intérieur, a appris franceinfo jeudi 26 novembre. De son côté, le parquet de Paris a ouvert une enquête pour "violences par personnes dépositaires de l'autorité publique" et "faux en écriture publique".
C'est également le cas dans l'affaire de l'évacuation du camp de migrants le 23 novembre, place de la République à Paris : l'IGPN a été saisie de deux enquêtes pénales et administratives, après des faits de violences sur un migrant, victime d'une chute après un croche-pied d'un commissaire divisionnaire, et sur le journaliste de Brut Rémy Buisine, jeté et maintenu violemment au sol par un autre agent. Dans le premier cas, l'IGPN a conclu dans son rapport, rendu public jeudi, que le commissaire divisionnaire avait commis un "manquement par un usage disproportionné de la force". S'agissant de l'enquête sur les coups qu'aurait reçus Rémy Buisine, le rapport n'apporte pas de conclusion, les investigations n'étant pas terminées.
5Dans quel contexte interviennent ces affaires ?
Le ministre de l'Intérieur s'est exprimé, jeudi 26 novembre, sur le plateau de France 2. Gérald Darmanin a assuré que les policiers mis en cause dans le tabassage du producteur seraient révoqués "si la justice conclut à une faute (…), [car] ils ont sali l'image de la République". Emmanuel Macron, lui, s'est dit "plus que choqué" par les images de cet homme roué de coups, a confié son entourage à franceinfo.
Ces affaires interviennent alors que la proposition de loi sur la "sécurité globale" a été adoptée en première lecture à l'Assemblée, mardi 24 novembre, et qu'elle doit être examinée par le Sénat. L'article 24 cristallise particulièrement les critiques. Il prévoit de pénaliser la diffusion de "l'image du visage ou tout autre élément d'identification" d'un policier ou d'un gendarme en intervention, lorsque celle-ci a pour but de porter "atteinte à son intégrité physique ou psychique". Cette disposition inquiète les défenseurs des libertés publiques. Journalistes, cinéastes, ONG, Défenseure des droits et même experts de l'ONU redoutent "des atteintes importantes" aux "libertés fondamentales". Face à ces critiques, le Premier ministre, Jean Castex, a annoncé jeudi qu'il allait instaurer "une commission indépendante chargée de proposer une nouvelle écriture de l'article 24".
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