: Témoignage "J'ai reçu des coups à répétition au visage, je crachais du sang" raconte Mahedine Tazamoucht, qui dit avoir été frappé au commissariat de Juvisy-sur-Orge
Une enquête préliminaire a été ouverte après des accusations de violences policières sur un jeune de 19 ans, dans la nuit du 9 au 10 mai, au commissariat de Juvisy-sur-Orge. Mahedine Tazamoucht, un électricien sans casier judiciaire, s'est confié sur cette nuit auprès de franceinfo.
Mahedine a encore un air enfantin sur le visage. Ce jeune homme de 19 ans est électricien à Athis-Mons, dans l'Essonne, et vit toujours chez ses parents. Nous le rencontrons chez son avocat Me Arié Alimi, effaré à l'écoute des détails de son témoignage. Le jeune homme dit avoir subi des violences policières dans la nuit du 9 au 10 mai à Juvisy-sur-Orge (Essonne).
Mahedine qui, une semaine après les faits, a encore le visage marqué, raconte comment le 9 mai au soir, il a passé la soirée calmement avec deux copains dans la voiture de l'un d'eux, à écouter de la musique, boire des verres de whisky-coca. La voiture était garée sur un petit parking situé à trois minutes de son immeuble.
Vers 3h du matin, Mahedine rentre mais ne trouve pas ses clefs. Il rebrousse alors chemin et revient à la voiture. Entre temps, trois policiers sont arrivés et ont contrôlé ses amis. Mahedine cherche son trousseau sous le siège arrière quand intervient, selon lui, la première salve de violences : "Un des trois fonctionnaires m'a attrapé par le col, mis au sol, menotté et m'a enlevé mes chaussures. Alors, il m'a pulvérisé du gaz lacrymogène directement dans le visage, sans qu'aucun des trois ne m'ait signifié le moindre contrôle", se souvient-il.
"J'avais tellement de difficulté à respirer qu'ils m'ont emmené à l'hôpital de Juvisy mais arrivés là-bas, j'ai dénoncé sans attendre aux personnes qui étaient là la violence de mon interpellation sans raison". Ça n'aurait pas plu aux policiers qui ont finalement décidé d'aller directement au commissariat. C'est là, dans un couloir sans caméra, que le jeune homme raconte avoir vécu le pire, toujours menotté, assis sur une chaise avec son caleçon pour seul vêtement.
"Ils me mettaient des coups de taser au bras, dans le cou. Je pleurais de douleur."
Mahedine Tazamouchtà franceinfo
"Ça a été des coups à répétitions au visage, des coups de pieds dans les tibias. Je crachais beaucoup de sang. Ces policiers m'ont marché sur les pieds avec leurs bottes. J'avais tellement mal aux mains à cause des menottes serrées jusqu'au sang. Je les suppliais de me les desserrer car je ne sentais plus mes mains" confie-t-il.
Inconscient
"C'était de la torture, des coups gratuits. Trois hommes me frappaient, trois autres rigolaient. Il y a aussi eu les coups de taser au bras et dans le cou. Un collègue a dit à celui qui avait cette arme de me taser – si vous me pardonnez le langage – les 'couilles'. J'ai senti dans son regard qu'il allait le faire. Je me suis protégé en mettant une jambe sur l'autre", détaille Mahedine qui explique qu'il a fini, au bout d'environ 30 minutes, par tomber inconscient quelques secondes au sol.
"À ce moment-là, tout de même, un des trois policiers s'est inquiété et est venu me prendre le pouls. J'ai rouvert les yeux. Pour eux, c'est que tout allait bien. Ils ont fini par me jeter en cellule", explique le jeune électricien qui, une semaine plus tard, a encore des traces noires de sang séché autour des poignets, le visage tuméfié et des traces de coups sur de nombreux endroits du corps.
Mahedine est sorti de garde à vue vers 20 heures le 10 mai, sans que lui soit signifiées de poursuites concrètes. Il avait été vu par un médecin, entendu par un officier de police judiciaire à qui il a précisé avoir été victimes de nombreux coups en garde à vue la nuit précédente. C'est là qu'il a compris que les policiers, dans leur procès-verbal avaient expliqué avoir été appelés dans leur secteur d'Athis-Mons pour une rixe, et avoir interpellé Mahedine et ses deux copains pour "outrage et rébellion".
"Je n'arrive plus à trouver le sommeil"
"On n'était que trois sur ce parking et nous sommes amis. De quelle rixe parlent-ils ? Quant à la rébellion, je n'étais revenu sur le parking que depuis quelques secondes et je ne demandais rien, je cherchais juste mes clefs dans la voiture d'un ami. De quel outrage parlent-ils ?" s'interroge Mahedine.
Le garçon confie être encore sous le choc de cette nuit-là, ne pas se sentir bien, craindre de sortir même pour une simple course à l'épicerie. "Je n'arrive plus à dormir profondément et je ne m'endors qu'une fois le jour levé. Je pense voir un psychologue pour gérer cet état" raconte-t-il.
Sa maman, Linda Lemaini, 46 ans, elle aussi, peine à dissimuler son émotion teintée d'incompréhension. Au matin du 10 mai, quand, à force de chercher des informations sur son fils qui avait découché, elle a fini par apprendre qu'il était au commissariat, elle avait une inquiétude naturelle mais était aussi soulagée finalement, sachant son fils "en sécurité" avec des fonctionnaires de police. Elle explique avoir déchanté terriblement.
"J'étais à des kilomètres d'imaginer qu'on puisse faire ça à une personne dans un commissariat de police."
Linda Lemaini, mère de Mahedineà franceinfo
"J'ai retrouvé mon fils blessé, choqué. Et depuis, c'est un peu comme si notre vie s'était arrêtée. Je suis maman de trois enfants et je suis meurtrie de ce qu'a pu subir mon fils. Moi non plus, je ne dors plus bien. J'ai le cœur serré dès que Mahedine raconte ce qui est arrivé. J'ai peur qu'il ressorte dehors. Il n'est plus en sécurité. Je suis abasourdie par la situation. On est très mal", dit-elle très émue.
Mahedine, dès la fin de la semaine dernière, s'est rendu avec sa mère dans les locaux de l'Inspection générale de la police nationale (IGPN), la police des polices, pour déposer plainte. Désormais défendu par Arié Alimi, avocat du barreau de Paris, il va porter plainte avec cette fois constitution de partie civile pour actes de tortures et de barbarie.
Le parquet d'Evry, sans attendre, a ouvert lundi 16 mai une enquête préliminaire confiée aux enquêteurs de l'IGPN, qui débutent donc leurs investigations et devraient entendre prochainement les fonctionnaires mis en cause.
"Il est urgent que ces policiers soient suspendus"
"On parle beaucoup de Malik Oussekine ces derniers jours avec la série sortie sur la mort de cet étudiant. Il aurait pu arriver la même chose à Mahedine, estime Arié Alimi. J'aimerais dire que c'est un abus, une dérive isolée mais je crains qu'en réalité, l'attitude des forces de police n'ait pas changé depuis 1986. On entend très souvent des récits de violences de la part des policiers. Parce qu'il est arabe et vient d'un quartier populaire, des forces de l'ordre se permettent de le traiter comme un animal. Il faut que cela cesse. On attend une réaction forte du pouvoir politique et pour Mahedine, que l'enquête soit prise au sérieux pour que justice soit faite."
"Pour qu'ils ne recommencent pas sur quelqu'un d'autre un tel déchaînement de violences, je pense qu'il est urgent que ces policiers soient suspendus. Franchement, si c'est leur conception du métier, il faut absolument qu'ils arrêtent de l'exercer", commente de son côté Mahedine décidé à faire reconnaître ce dont il a été victime.
Le service médico-judiciaire a, pour le moment, évalué ses blessures à quatre jours d'incapacité de travail. En proie à ce qui ressemble à un stress post-traumatique et entendant très mal de l'oreille gauche sur laquelle il a reçu le plus de coups, il a obtenu un rendez-vous pour réaliser de nouveaux examens.
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