Violences policières : il faut "reconstruire cette relation passablement abîmée" entre la police et la population, selon un sociologue
Le sociologue Christian Mouhanna plaide sur franceinfo pour une police chargée de rebâtir le lien avec les citoyens. Il faut aussi selon lui réformer l'IGPN pour ne plus "fonctionner en vase clos".
"Il y a un fossé qui se creuse davantage entre la police et la population", a affirmé samedi 20 juin sur franceinfo Christian Mouhanna, sociologue, chercheur au Centre de recherches sociologiques sur le droit et les institutions pénales (CESDIP), après les tensions et polémiques récentes autour des violences policières et alors qu'un rassemblement a lieu samedi à Paris en hommage à Lamine Dieng, un Franco-Sénégalais de 25 ans décédé le 17 juin 2007 après une arrestation à Paris. Il faut "reconstruire cette relation passablement abîmée", estime Christian Mouhanna, notamment avec "ce qu'on a appelé à un moment la police de proximité" pour avoir "des contacts directs sur le terrain". Le sociologue plaide également pour une réforme de l'IGPN en l'ouvrant 'à d'autres corporations', pour ne plus "fonctionner en vase clos".
franceinfo : est-ce que le lien entre citoyens et police est définitivement rompu ?
Christian Mouhanna : il n'est pas définitivement rompu. Mais on peut constater que ça fait quand même une vingtaine d'années à peu près que les chercheurs, que des associations, que des groupes de jeunes, voire même certains policiers, signalent qu'il y a un fossé qui se creuse davantage entre la police et la population. Et je pense qu'il serait temps de réagir positivement, d'essayer de reconstruire cette relation passablement abîmée. Cela pose la question de ce qu'on a appelé à un moment la police de proximité : avoir des policiers qui sont chargés d'abord de rebâtir ce lien avec la population, de connaître les gens de manière à apaiser des relations qui sont devenus extrêmement tendues dans certains secteurs.
Pour vous, justement, faut-il rétablir cette police de proximité ?
Il y a une police d'intervention. Celle-là, elle fonctionne, elle a toujours lieu, elle n'a jamais cessé. Peut-être qu'il faut l'améliorer. Peut-être qu'il y a eu des erreurs. Il y a une police de réaction, une police d'intervention. Il n'est pas question de la supprimer, bien entendu.
Mais à côté de ça, il faut des policiers qui soient dédiés à rebâtir ce lien avec la population.
Christian Mouhanna, sociologueà franceinfo
Ce qui permettra, on a pu le montrer il y a quelques années, de faire des enquêtes judiciaires, d'avoir des informations. Parce que le renseignement ne se fait pas seulement à travers des services spécialisés, des écoutes. Il se fait aussi à partir de ce qu'on appelle le renseignement humain, c'est à dire des contacts directs sur le terrain, avec des gens qui ne sont pas forcément des délinquants, mais qui voient des choses qui sont au courant, qui observent. Et ça, il y a beaucoup de gens qui sont prêts à participer à ça.
Est-ce que la police a réussi à faire son autocritique ?
Je pense qu'on n'en est pas encore là. Il y a eu quelques timides ouvertures. On voit des rapports de l'IGPN ou de l'Inspection générale de la gendarmerie nationale qui sortent, alors qu'avant, il y avait un certain secret par rapport à leurs activités. Mais on est loin d'une police qui va se mettre au contact des citoyens et qui va mettre à plat un certain nombre de problèmes et notamment évoquer cette relation très compliquée avec les jeunes. Il y a une tendance dans une partie de la police à dire de toute façon, c'est de leur faute. Peut-être. Mais la question est, comment on peut rebâtir du lien. Et donc ça ne peut pas se faire sans les policiers de terrain. Ça ne peut pas se faire non plus sans la population.
Est-ce qu'il faut réformer l'IGPN ? Est ce qu'elle doit être plus transparente ? Est ce qu'il faudrait une police de la police des polices ?
On le voit dans d'autres pays. Est-ce que, si on a uniquement des policiers qui enquêtent sur des policiers et des gendarmes qui enquêtent sur les gendarmes, puisqu'on a l'équivalent du côté de la gendarmerie, est-ce que ça paraît une garantie suffisante aux yeux des gens qui sont, qui ont été victimes, qui se disent victimes de la police ? À chaque fois, il y a une impression de parti pris, même si ce n'est pas vrai. On voit bien que dans d'autres pays, dans la police des polices, il y a des magistrats, il y a des citoyens qui sont désignés, élus ou tirés au sort. Bref, on n'est pas dans l'entre-soi policier. Parce que c'est ça qui est problématique, c'est qu'on est trop dans l'entre-soi policier, avec des analyses uniquement en interne et relativement peu d'ouverture sur l'extérieur et sur les attentes de la population. Il faut certainement faire qu'elle soit un corps qui s'ouvre à d'autres corporations, à d'autres personnes, des magistrats, éventuellement peut-être des élus, des représentants de la société civile. On ne peut plus fonctionner en vase clos comme ça. Ce n'est plus possible dans une société où, de toute façon, l'information circule. Et on le voit bien, avec toutes les actions policières qui sont filmées en permanence, non pas par les caméras de vidéosurveillance, mais par tout un chacun avec son smartphone.
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