Au premier jour de son procès, Dominique Cottrez peine à livrer ses secrets
Cette aide-soignante de 51 ans est jugée pour un octuple infanticide, la plus importante affaire de ce type en France. La complexité de sa personnalité est au cœur du procès.
Dominique Cottrez a sa propre image en horreur. Pourtant, au premier jour de son procès, jeudi 25 juin, elle s'est laissée photographier et filmer, subissant les crépitements des flashs sans un mot. Elle savait qu'elle serait l'attraction du jour. Alors, enroulée dans un grand gilet gris, elle s'est assise sur la chaise au revêtement bleu qui lui était destinée, et elle a attendu. Jugée pour avoir tué huit de ses bébés à la naissance, elle comparaît libre. Elle n'a donc pas besoin de s'installer dans le box des accusés. Elle n'a eu qu'un regard pour son mari et ses filles, assis sur les bancs des parties civiles. Un regard empli de larmes.
Qui se cache réellement derrière cette femme ordinaire qui a commis des actes extraordinaires ? Saisir la complexité d'une telle individualité n'est pas chose aisée. Même l'enquêteur de personnalité s'y perd. "J'ai eu du mal à la cerner", reconnaît-il. C'est pourtant son rôle. La présidente de la cour d'assises n'est pas satisfaite de son rapport, et le lui dit sans ambages. Les avocats de Dominique Cottrez enfoncent le clou. "Vous n'avez même pas dit son âge !" s'indigne Frank Berton. Dominique Cottrez a 51 ans, elle est aide-soignante. Elle porte des cheveux courts et bruns, des petites lunettes. Et elle n'aime pas parler d'elle-même.
"Avant, pour moi, c'était normal"
Pourtant, devant la cour d'assises du Nord, Dominique Cottrez n'a pas le choix. Elle doit détailler son enfance, et son obésité. "J'ai eu une vache. Et un mouton, que mon père m'a offert à l'âge de 8 ans", commence-t-elle. Elle parle de la ferme familiale. De ses sœurs. De son statut dans la famille. Elle était la petite dernière, la chouchoute. Et pourtant, elle et sa sœur la plus jeune n'étaient pas désirées par leur mère. Cette dernière a fini par se faire une raison et par accepter Dominique. Elle parle aussi de son père, cet homme qui travaillait beaucoup et qu'elle aimait plus que tout.
Le mot n'est pas prononcé, mais tout le monde a en tête l'inceste. Dominique Cottrez l'a abordé la première fois le 2 février 2011, devant la juge d'instruction. On pense au viol. A-t-il eu lieu à 8 ans, comme elle l'a dit ? Il est trop tôt pour avoir une réponse, le procès ne fait que commencer. Mais on comprend déjà que la première partie de sa vie n'a pas été aussi banale qu'elle le laisse entendre.
"Vous parlez d'une enfance normale. Mais pouvez-vous, vraiment, continuer à utiliser ce mot, aujourd'hui ?", interroge Yves Crespin, avocat de l'association Enfant bleu-Enfance maltraitée. "Non, plus maintenant. Mais avant, pour moi, c'était normal", répond Dominique Cottrez, d'une voix étranglée. Ses fins de phrases sont peu audibles. Elle est debout. Dans son poing gauche, elle tient un mouchoir pour sécher ses larmes et le triture par moments. "Avant quoi ?", continue Yves Crespin. "Avant ça, avant que j'en parle."
Briser le tabou de l'obésité
La présidente demande ensuite à Dominique Cottrez combien elle pèse. Elle s'exprime avec douceur quand elle s'adresse à l'accusée, mais ne s'interdit pas les questions directes. Après tout, elle suit les conseils de Frank Berton. Le matin même, l'avocat de Dominique Cottrez avait reproché à l'enquêteur de personnalité de ne pas avoir posé la question : "Jamais, jamais vous ne lui parlez de son poids, vous faites comme tout le monde finalement." Justement, tout le monde se la pose, cette question. "160 kilos", lâche Dominique Cottrez. Elle mesure 1,55 m.
Cette obésité constitue le cœur du problème, estime Dominique Cottrez. Sans ses kilos en trop, elle pense que sa vie aurait été différente. Mais elle se dit impuissante. "J'ai essayé de manger moins gras, mais je n'ai pas réussi. J'avais faim", explique-t-elle. Elle a quand même suivi un régime sérieux en 2006. Elle a perdu 35 kilos. "Ça a duré six mois." Puis elle grossit, à nouveau. "Vous dites que vous ne perdez pas de poids, mais en faisant un effort, vous y arrivez", observe la présidente. Dominique Cottrez se réfugie derrière sa forte corpulence pour justifier sa vie et son comportement. Elle s'enferme dans ce problème. La présidente, au contraire, cherche à briser ce tabou pour comprendre sa personnalité.
"Elle a figé certaines choses, en décalage avec la réalité"
Comment Dominique Cottrez a-t-elle pu conserver les sacs qui contenaient les cadavres de ses nouveau-nés à côté d'elle, pendant des années ? Ils étaient dans un coin de la chambre à coucher, coincés entre un mur et une armoire, derrière un vélo d'appartement. Pas très loin du lit conjugal. "A quelques centimètres de votre tête", souligne la présidente. Pourtant, quand il faut regarder les photos de ces sacs-poubelle, Dominique Cottrez ne dit rien. Elle est comme claquemurée en elle-même. Elle baisse la tête, et ne la relève que lorsqu'elle y est invitée par la présidente. Puis elle confirme. D'un petit oui.
"Elle était soulagée de voir que c'était découvert", répète le lieutenant de gendarmerie qui l'a auditionnée. "Elle a pris conscience de la gravité des faits", ajoute-t-il. Pendant la garde à vue, Dominique Cottrez se sentait à l'aise avec lui. Elle était d'abord enfermée dans un mutisme. Puis elle a réussi à se soulager de ce poids. Mais cela n'a pas été si simple. Lui-même a encore des questions et soulève des incohérences dans les déclarations de Dominique Cottrez. "Elle a figé certaines choses qui sont en décalage avec la réalité", reconnaît-il.
C'est aussi le constat de l'avocat général. "Vous changez souvent de version. Vous répondez oui, mais après vous dites autre chose. Pourquoi ? Vous en avez conscience ?" Il n'attend pas vraiment de réponse à cette question. Il tient surtout à la formuler en regardant Dominique Cottrez dans les yeux. Il se lève, et descend les marches qui le séparent de l'accusée. C'est un premier pas pour lui signifier qu'il veut des réponses, qu'il souhaite comprendre. Il va devoir attendre. Pour ce premier jour de procès, Dominique Cottrez s'est laissée submerger par l'émotion. Elle a fondu en larmes à plusieurs reprises, comme si elle était encore incapable de se débarrasser de ce qu'elle porte en elle.
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