Quand des juges antiterroristes français s'épanchent... à l'ambassade américaine
Les révélations du site WikiLeaks jettent une surprenante lumière sur les habitudes des juges antiterroristes français. Les dépêches diplomatiques américaines relatent en effet les visites de deux d'entre eux, Jean-Louis Bruguière et Jean-François Ricard, à l'ambassade américaine à Paris dans les années 2.000.
Ces documents, analysés dans le journal Le Monde daté de mercredi, montrent que la coopération judiciaire et policière entre la France et les Etats-Unis se porte à merveille, en dépit des brouilles politiques qui jalonnent les relations diplomatiques entre les deux pays... quitte à piétiner quelque-peu le secret auquel sont normalement tenus les magistrats, et sur la séparation des pouvoirs, principe sacro-saint des deux côtés de l'Atlantique.
Ainsi, Jean-Louis Bruguière et Jean-François Ricard se sont-ils rendus à plusieurs reprises à l'ambassade américaine à Paris pour évoquer leurs dossiers, notamment sur les filières de recrutement françaises des candidats au djihad en Irak. Normalement, ce genre de confidence est illégal, mais la pratique est courante. En janvier 2005, Jean-Louis Bruguière révèle l'arrestation de plusieurs suspects le matin même. En mars de la même année, Jean-François Ricard fera un exposé complet sur une filière sur laquelle il travaille.
Lors de ces visites régulières, les juges évoquent aussi leur carrière, celle de Jean-Louis Bruguière, du moins, qui a quitté depuis la magistrature. En 2007, il confie aux Américains qu'il vise le poste de ministre de la Justice. Mais sa défaite aux législatives, où il se présentait sous l'étiquette UMP, a mis un terme à ses ambitions. Les Etats-Unis ne l'en ont pas moins désigné “éminente personnalité européenne”, fin 2007, rappelle Le Monde.
La lecture de ces dépêches révèle aussi une certaine admiration des Américains pour le système antiterroriste français. Les magistrats spécialisés “opèrent dans un autre monde que celui du reste de la justice”. Ils soulignent surtout que “les critères de preuves pour conspiration terroriste sont bien plus faibles que ceux dans les autres affaires criminelles”. Et en mai 2005, le juge Ricard admet que la condamnation de Djamel Beghal, intervenue quelques semaines plus tôt pour un projet d'attentat contre l'ambassade américaine, justement, n'aurait pas été possible dans le cadre normal.
Mais l'admiration n'empêche pas la critique, et les Américains s'agacent aussi de l'attitude à géométrie variable de la France par rapport au fondamentalisme islamique : très ferme à l'intérieur des frontières, mais beaucoup plus souple à l'extérieur. Comme à l'égard du Hezbollah libanais par exemple, que Paris refuse de considérer comme une organisation terroriste, de peur de déstabiliser le Liban.
Grégoire Lecalot, avec agences
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