Suicides de policiers : "la parole se libère", selon le journaliste spécialiste de la police Jean-Marie Godard
"C’est très important parce que ça veut dire qu’il est possible de faire quelque chose", estime Jean-Marie Godard.
“Le fait qu’il y ait des policiers qui parlent à leurs collègues du suicide c’est très important. Que ce soit verbalisé, c’est vraiment une alerte”, explique ce lundi 7 juin sur franceinfo Jean-Marie Godard, journaliste, rédacteur en chef à l’agence AEF Sécurité globale et auteur du livre “Paroles de flics” sorti en 2018 (ed. Fayard).
Il réagissait à la publication en exclusivité par franceinfo et Le Monde de ce baromètre de la Mutuelle des forces de sécurité (MGP), qui révèle qu’un quart des policiers sont confrontés à des pensées suicidaires.
franceinfo : Est-ce que les conclusions de cette enquête vous surprennent ?
Jean-Marie Godard : Malheureusement non. Je noterai tout de même une chose, c’est que 24% des policiers ont eu des pensées suicidaires ou y ont été confrontés en entendant parler par leurs collègues. Ce deuxième point est très important et peut paradoxalement paraître positif parce que ça veut dire que ces pensées suicidaires ont été verbalisées, que des policiers en ont parlé à leurs collègues, ça veut dire que la parole se libère. C’est très important parce que ça veut dire qu’il est possible de faire quelque chose, qu’il y ait une prise en charge. Que ce soit verbalisé, c’est vraiment une alerte.
Ça veut dire que c’était tabou ?
Quand j’ai fait mon livre, j’ai notamment passé du temps dans un centre de remise en forme, de retape on va dire, pour des policiers qui ont été complètement brisés, ils passent généralement des séjours de deux mois là-bas. J’ai rencontré une jeune policière qui avait fait une grave dépression, elle avait fait un passage en hôpital psychiatrique pour cette raison-là. À une semaine de la sortie, elle allait beaucoup mieux et ce qui l’angoissait c’était de retrouver les collègues. Parce que l’image qu’on doit avoir, y compris en interne dans la police, c’est que les policiers ça doit être fort. Il y avait cette idée qu’un collègue qui passait par une dépression, ça devenait le maillon faible, qui risquait de mettre en danger le reste de l’équipe. Cette jeune femme avait plus peur du regard des collègues en rentrant que de l’état dans lequel elle était plusieurs mois avant.
C'est quelque chose qui à mon avis est en train de changer, parce que la parole se libère, parce que des actions mises en place. Le fait qu’il y ait des policiers qui parlent à leurs collègues du suicide c’est très important, parce qu’un suicide dans la police c’est quelqu’un qui garde tout en lui, en elle, qui va souffrir pendant des mois, voire des années et qui un jour va quitter le domicile familial pour aller prendre son service de nuit, va descendre dans un vestiaire et mettre fin à ses jours avec son arme de service. La réalité du suicide c’est cette brutalité, qui se passe généralement de manière silencieuse.
Est-ce qu’il y a des solutions pour essayer d’améliorer le bien-être au travail des policiers ? Même si c’est un métier où cette notion de “bien-être” semble difficile à appréhender.
Il y a déjà la véritable gymnastique psychologique à laquelle sont confrontés les policiers. Un agent peut en une heure passer d’une simple contravention pour délit routier, à la découverte d’un cadavre dans un appartement. Et la question générationnelle dans cette enquête est aussi très intéressante. Parce que les plus anciens m’ont raconté que quand eux ont commencé dans la police, la hiérarchie était plus proche. Et beaucoup m’ont raconté que, par exemple, le commissaire le soir quand il savait que telle ou telle équipe avait eu une opération difficile, les gardait un petit peu pour discuter de manière informelle, leur demander comment ça va, comment ils se sentaient. Et je pense qu’il faut retrouver ce temps-là dans la police.
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