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Terrorisme : la "task force" de Macron "ne doit pas créer une nouvelle couche dans le renseignement"

Emmanuel Macron a annoncé la création d'une cellule de renseignement dépendante du président. Au lendemain des attentats de Manchester, il souhaite accélérer sa mise en place. Franceinfo a recueilli l'analyse d'Isabelle Dufour, spécialiste des questions de défense.

Article rédigé par franceinfo - Propos recueillis par Yacha Hajzler
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Emmanuel Macron accompagné de la ministre des Armées, Sylvie Goulard, au Mali, le 19 mai 2017.  (CHRISTOPHE PETIT TESSON / AFP)

Le projet figurait dans le programme d'Emmanuel Macron quand il était candidat. L'attentat de Manchester, qui a fait au moins 22 morts dans une salle de concert, lundi 22 mai, l'a remis en pleine lumière. Le président français veut créer une "task force", une "force opérationnelle" en français, une sorte de super-cellule de renseignements pour lutter contre le terrorisme. 

Lors d'un conseil de défense, mercredi, le président a décidé que l'organisation de ce nouveau centre de coordination antiterroriste serait fixée "d'ici le 7 juin", a annoncé l'Elysée. Jusqu'ici est déjà rattaché à la présidence le Conseil national du renseignement, mais son coordonnateur "n'a pas la puissance qu'aura demain le responsable de la task force", a précisé Christophe Castaner. Son objectif : que "des décisions puissent être prises dans la demi-heure".

Franceinfo a demandé à Isabelle Dufour, consultante chez Eurocrise, spécialiste des questions de défense et coauteure du livre Stratégies et décisions : la crise du 11 septembre, de livrer son analyse sur cette structure. 

Franceinfo : Quel est le rôle exact d'une "task force" ?

Isabelle Dufour : La "task force" est une notion qui vient du monde militaire [le terme a été créé dans la marine américaine, dans les années 1940]. Cela consiste à réunir les compétences de différents services pour parvenir à un objectif bien particulier, remplir une mission. Une fois la mission terminée, la "task force" est normalement dissoute, et les agents mobilisés retournent dans leurs services respectifs.

Mais ici, dans le cadre de la lutte contre le terrorisme, et contre les actions menées par le groupe Etat islamique (EI) en particulier, il ne faut pas espérer une structure provisoire. Emmanuel Macron l'a dit lui-même, cet effort se fera dans le temps.

A quoi va ressembler la structure souhaitée par Emmanuel Macron ?

Du peu qu'on en sait, il s'agit d'une structure permanente, disponible 24 heures sur 24, au plus haut niveau. Elle sera visiblement assez petite [au total, 50 à 60 personnes seront concernées, a indiqué mercredi le porte-parole du gouvernement]. Ses membres auront un rôle de conseil, de coordination et trancheront sur des questions précises. 

Là, il s'agirait de faire remonter des informations très rapidement depuis tous les services, pour que le président soit mieux informé des dossiers brûlants, de la coopération avec les services étrangers, etc.

Sur les objectifs de cette "task force", en revanche, on en sait assez peu. A priori, ce sera une structure anti-EI, mais cela pose question. Les jihadistes du groupe Etat islamique ne sont pas les seuls ennemis de la France : on est engagés au Sahel contre Aqmi [Al-Qaïda au Maghreb islamique], les attentats de Charlie Hebdo ont été commis par des terroristes en lien avec Aqpa [Al-Qaïda dans la péninsule arabique]...

Cette structure sera-t-elle plus efficace que celles qui sont actuellement en place ?

Tout dépend de son champ d'action. Si on parle du territoire national, je ne vois pas bien l'intérêt d'une action personnelle du président. Pour ce qui est d'enquêter, de constituer des dossiers sur des accusés, les procédures fonctionnent très bien. En revanche, dans le cas de la menace à l'extérieur, la rapidité du processus décisionnel français est déjà un atout reconnu. Le président pourrait se sentir mieux informé et relier renseignement intérieur et extérieur.

Sur un autre plan, la nécessité d'un pouvoir politique qui puisse organiser les différents services de renseignement est réelle. En 2015 [l'année des attentats contre Charlie Hebdo, de l'Hyper Cacher et du 13 novembre], il y avait eu des failles, quoi qu'on en dise. Par exemple, les frères Kouachi, en quittant la région parisienne, avaient cessé d'être suivis par la préfecture de police de Paris pour être suivis par la DGSI. Cette rupture entre les zones avait conduit à une rupture de leur suivi. La "task force" est une excellente idée si elle centralise les informations, mais elle ne doit pas créer une nouvelle couche au sein des services de renseignement. Ça doit déboucher sur des fusions ou des suppressions de structures qui sont, pour certaines, des coquilles vides.

Quelles peuvent être les limites de ce dispositif ?

Deux grandes questions restent en suspens. Premièrement, de quels moyens disposera cette "task force" ? Si elle n'a aucun pouvoir de nomination ou d'arbitrage budgétaire, les services de renseignement continueront de fonctionner de la même façon .

Deuxièmement, qui sera à sa tête ? Si on y place un politique qui n'est pas un spécialiste du renseignement, qui connaît peu ou mal ce milieu, la tonalité donnée sera celle d'un affichage politique, pas celle d'un état-major. Le nom de la personne choisie nous en dira beaucoup sur l'efficacité de cette "task force".

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