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Cavale de Salah Abdeslam : y a-t-il eu des failles dans l'enquête ?

Les enquêteurs ont mis quatre mois pour retrouver le suspect-clé des attentats de Paris. Comment peut-on l'expliquer ? Les explications de Claude Moniquet, ancien de la DGSE. 

Article rédigé par Hervé Brusini
France Télévisions
Publié
Temps de lecture : 5min
Un policier bloque la rue des Quatre-vents, à Molenbeek, où Salah Abdeslam a été arrêté le 18 mars 2016.  (NICOLAS MAETERLINCK / BELGA MAG / AFP)

Les interrogations ne manquent pas après l’arrestation de Salah Abdeslam. Est-ce que les conditions dans lesquelles cette opération s'est montée ne met pas au grand jour les faiblesses de la lutte antiterroriste ? Il a fallu attendre quatre mois pour mettre la main sur le suspect-clé des attentats de Paris, qui, visiblement, s'est terré dans sa ville d'origine. Comment est-ce possible ? 

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Pour francetv info, Claude Moniquet, ancien membre de la DGSE (Direction générale de la sécurité extérieure) qui vit désormais en Belgique, répond aux questions que soulève cette arrestation. 

Francetv info : Des critiques se font entendre sur l'efficacité des services belges, sur la durée de la traque de Salah Abdeslam, sur le côté plus ou moins hasardeux des perquisitions… Y a-t-il eu des failles de la part des enquêteurs belges ?

Claude Moniquet : Comparaison n’est pas raison mais le célèbre criminel de guerre allemand Josef Mengele, qui a sans doute été un des hommes les plus recherchés au monde, est mort quarante ans après la Seconde guerre mondiale, sur une plage au Brésil. Des chefs mafieux, des patrons narcotrafiquants qui échappent à l’arrestation, il y en a hélas des milliers et cela pendant des dizaines d’années.

Dans le cas de Salah Abdeslam, la pression franco-belge n’a jamais été relâchée. Et à partir de mardi, quand les policiers ont compris que le suspect numéro un des attentats de Paris se trouvait à Molenbeek (grâce notamment à des images tournées par un voisin qui a filmé l’évasion de deux hommes après la fusillade de Forest), ils ont mis le paquet en se disant : "c’est maintenant ou jamais, Salah est aux abois, il va faire une erreur".

Les enquêteurs ont fait de la triangulation téléphonique, du bornage. Ils ont suivi les téléphones qui avaient quitté la zone de Forest après l’intervention, ils ont resserré la surveillance sur les gens de Molenbeek susceptibles de porter assistance à Abdeslam. Ils ont également mis la pression sur quelques personnes le jeudi de l’enterrement du frère de Salah, Brahim, l’un des kamikazes du 13 novembre. Et là, semble-t-il, un informateur a lâché le bon renseignement.

Mais vous l’aurez compris, on est plus ici dans le registre de l’enquête policière classique que dans une problématique concernant les services de renseignement, au vrai sens du terme. 

Il n'y a donc pas un souci particulier concernant la coopération internationale, de ce point de vue là ? 

La coopération marche beaucoup mieux qu’on ne le dit. Le problème vient souvent d’un manque de rapidité, de réticences entre pays, de difficultés légales. Il y a une semaine, j’étais en réunion avec des professionnels du National intelligence council, la structure qui apporte son soutien en expertise aux agences de renseignements américaines. Nous étions tous d’accord pour reconnaître que les Américains demandent toujours beaucoup mais donnent peu. On a par exemple évoqué les questions de classification légale comme le "for American eyes only" ("uniquement pour les yeux américains"), qui impose de ne pas pouvoir transmettre certains renseignements à des étrangers.

D’autres pays ont des renseignements utiles mais là, c'est nous, les Français, qui ne collaborons que très peu avec eux. Je pense qu’avec les Russes par exemple, nous avons intérêt à échanger des informations, car les partisans de l’émirat du Caucase, qui marchent la main dans la main avec les jihadistes de l'Etat islamique, peuvent être dangereux. Y compris à l’égard d’intérêts français. 

Le renseignement est la seule arme efficace pour lutter contre des groupes tels que ceux qui ont frappé Paris en novembre dernier. On peut faire autant de protection que l’on veut, ce n’est pas de cette façon qu’on gagne la bataille, car on ne peut pas tout protéger. N'oublions pas non plus que la menace jihadiste est multinationale. Il y a des Français, mais aussi des Algériens, des Marocains, des Tunisiens… De fait, l’échange de renseignements entre pays européens, mais aussi extra-européens, est la seule arme qui nous permet de limiter les dégâts.

Et quelle est la situation entre la France et la Belgique ? Est-ce que le morcellement politique et du pouvoir dans la structure étatique belges constitue un handicap ?

Non. La coopération avec les services français est ancienne, très structurée, et très efficace. Depuis des années, les services belges et français font ensemble des choses que réalisent peu de services au monde, à savoir par exemple l'organisation commune du travail d’agents sur le terrain.

Il peut y avoir parfois des tensions entre les deux pays, les Belges pouvant avoir des complexes par rapport à la France ou nous trouver arrogants, les Français trouvant les Belges trop lents, le système légal belge pratiquant parfois ce que j’appellerais du "juridisme". Mais c’est un couple qui ne marche pas si mal que ça.

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