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Récit De Forest à Molenbeek, les trois jours où l'étau s'est resserré autour de Salah Abdeslam

Francetv info refait le film des derniers jours de cavale de l'homme le plus recherché d'Europe, quatre mois après les attentats du 13 novembre. 

Article rédigé par Julie Rasplus
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 9min
Des policiers bloquent une rue de Molenbeek, le 18 mars 2016, près de Bruxelles (Belgique), le jour de l'arrestation de Salah Abdeslam.  (FRANCOIS LENOIR / REUTERS)

Capuche blanche sur la tête, Salah Abdeslam est poussé dans une voiture noire, soutenu par deux policiers armés. Direction l'hôpital où il va être soigné d'une blessure au genou, avant d’être interrogé par les enquêteurs. Il est 16h40, vendredi 18 mars. L'homme le plus recherché d'Europe, le seul membre des commandos des attentats du 13 novembre à être encore en vie, vient d’être arrêté, au terme d'un assaut de dix minutes des forces d'intervention belges dans un appartement de Molenbeek (Belgique).

Si certains médias ont cru un temps qu'il était reparti en Syrie, la cavale du jeune Français de 26 ans, recherché depuis le 15 novembre, a finalement pris fin dans le quartier de son enfance. Son interpellation est survenue quatre mois après les attaques terroristes qui ont fait 130 morts, mais seulement trois jours après la découverte d'une planque à Forest (Belgique). 

Le 15 mars, vers 14h15, une équipe de six enquêteurs franco-belges arrive rue du Dries, dans cette commune voisine de Bruxelles. Si, pour le procureur fédéral belge, cette opération "ne devait rien au hasard", rien ne laissait penser qu'elle mènerait tout droit à Salah Abdeslam.

Une fusillade et deux fugitifs

Les quatre membres de la section antiterroriste de la police fédérale belge et les deux officiers de liaison français se préparent à une "perquisition de routine" dans un appartement considéré comme "froid". Le logement, rapporte Le Monde, paraît inoccupé : l'eau et l'électricité sont coupées depuis quelques semaines. Pour les policiers, il ne s'agit que de vérifications techniques, voire d'identité.

Pourtant, alors qu'ils ouvrent la porte de l'appartement, les six agents sont accueillis par des tirs d'armes automatiques. Quatre enquêteurs sont blessés, dont un grièvement, dans un échange de coups de feu. Les tirs proviennent de l'habitation, où trois hommes sont retranchés. Le quartier est immédiatement bouclé, une opération antiterroriste lancée. "Il y a un hélicoptère qui tourne, on voit des policiers avec des boucliers, d'autres sont en civil avec des armes", décrit une habitante du quartier, inquiète des événements. 

Tout l'après-midi, des coups de feu résonnent dans le quartier. En début de soirée, un des hommes retranchés est abattu par un tireur d'élite. Entre-temps, les deux autres occupants ont réussi à prendre la fuite en passant par les toits, abandonnant leurs armes derrière eux. Les policiers ne le savent pas encore, mais Salah Abdeslam est l'un d'eux.

Un des logisticiens des attentats tué

A l'intérieur de l'appartement de Forest, le cadavre de l'homme abattu est retrouvé aux côtés d'une kalachnikov et d'un livre sur le salafisme. Un drapeau de l'Etat islamique et de très nombreuses munitions sont également découverts par les policiers. 

L'homme s'appelle Mohamed Belkaïd, un Algérien de 35 ans entré illégalement en Belgique et jusque-là connu de la justice belge pour simple vol. Mais les enquêteurs réalisent rapidement que l'homme est un proche de Salah Abdeslam, recherché depuis décembre sous le nom de Samir Bouzid. En septembre, il avait d'ailleurs été contrôlé en sa compagnie à la frontière entre la Hongrie et l'Autriche. 

Mohamed Belkaïd est soupçonné d'être l'un des logisticiens des attentats du 13 novembre. Selon les enquêteurs, c'est lui qui a reçu le dernier texto envoyé par les kamikazes du Bataclan alors qu'ils s'apprêtaient à entrer dans la salle de spectacle et commettre leur carnage : "On est parti, on commence." L'homme a aussi aidé Salah Abdeslam dans sa cavale. Ce dernier vient à nouveau de leur échapper.

Des coups de téléphone surveillés

C'est un appel téléphonique qui permet aux enquêteurs belges de confirmer la présence du fugitif dans les alentours de Bruxelles. Le jour de l'opération de Forest, une personne se présentant comme un ami de Salah Abdeslam explique aux policiers que celui-ci l'a contacté pour trouver une planque, raconte L'Express (accès abonnés). 

Hors de question de prendre l'information à la légère : les policiers analysent le numéro présumé de Salah Abdeslam et le placent sur écoute. Ils tentent aussi de localiser les appels pour "établir quel pourrait être son point de chute", explique une source policière à l'hebdomadaire. Peu à peu, l'étau se resserre. D'autant que Salah Abdeslam aurait aussi appelé un autre individu surveillé par les autorités belges, Abid Aberkan, radicalisé depuis quelque temps. Celui-ci lui propose de l'héberger dans la cave du 79, rue des Quatre-Vents. 

Caché chez la mère d'un proche

Les versions divergent sur le lien entre les deux hommes : pour RTL.be, il s'agit du cousin des frères Abdeslam ; pour La Libre, il n'est qu'un ami. Quoiqu'il en soit, Abid Aberkan se rend, jeudi, aux obsèques de Brahim Abdeslam, le frère de Salah, organisées dans le cimetière multiconfessionnel d'Evere. Sur des photos publiées par les médias belges, on le voit transporter le cercueil de celui qui s'est fait exploser au Comptoir Voltaire, dans le 11e arrondissement de Paris, le soir du 13 novembre. Son visage est découvert.

Des proches et des amis, dont Abid Aberkan (à gauche), participent aux obsèques de Brahim Abdeslam, le 17 mars 2016 à Evere, près de Bruxelles (Belgique). (BELGA / AFP)

L'événement n'a rien d'un rendez-vous secret et des policiers le surveillent de près. Si Salah Abdeslam n'y est pas, les enquêteurs profitent de ce hasard du calendrier pour "repérer des suspects et des indicateurs". Selon le site RTL.be, ils contrôlent chacune des personnes présentes, dont Abid Aberkan, glanant de nombreuses "informations utiles".

Pour La Libre, c'est grâce à lui que les policiers réussissent à remonter jusqu'à la dernière planque de Salah Abdeslam. Et pour cause : le 79, rue des Quatre-Vents n'est autre que… le domicile de la mère d'Abid Aberkan. Cette dernière était-elle au courant ? Elle a en tout cas été mise en examen, vendredi, pour "recel de criminels", puis laissée libre. 

Traces papillaires et commande de pizzas

Et si la gourmandise avait fini de trahir Salah Abdeslam ? C'est l'hypothèse du site Politico (en anglais) et de certains médias belges. Alors que les enquêteurs surveillent le domicile de la mère d'Aberkan, ils remarquent une étonnante commande de pizzas "en fin de semaine". Selon les sources, celle-ci est passée par une femme depuis une autre adresse, arrive pourtant rue des Quatre-Vents, est livrée par un voisin et paraît bien trop conséquente pour une personne censée vivre seule.

Entre-temps, les autorités belges apprennent que des empreintes digitales de Salah Abdeslam ont été retrouvées sur un verre de l'appartement de Forest, où a eu lieu la fusillade mardi. L'information, qui ne doit pas être divulguée par la presse, est finalement révélée vendredi matin dans L'Obs, provoquant "la fureur du parquet fédéral belge". Il semble désormais acquis que Salah Abdeslam est dans les alentours de Bruxelles. 

"Je suis Salah Abdeslam"

Tous les regards convergent vers l'habitation située rue des Quatre-Vents. Vendredi, en fin d'après-midi, une vaste opération antiterroriste est lancée. Les policiers belges envahissent et bouclent la rue. L'assaut est donné à 16h30 dans l'appartement où se trouve le fugitif et un de ses complices, nommé Amine Choukri. Ce dernier fait partie des quatre autres personnes interpellées vendredi, comme trois membres de la famille Aberkan.

Acculé et à court d'armes, le dernier membre vivant du commando du 13 novembre décline lui-même son identité, alors qu'il est mis en joue par les policiers : "Je suis Salah Abdeslam." Des relevés génétiques le confirment quelques heures plus tard. Le fugitif des attentats du 13 novembre est immédiatement embarqué, à 700 mètres seulement de son domicile familial et non loin du café Les Béguines qu'il gérait avec son frère Brahim. 

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