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De Toulouse à Raqqa, le parcours de Fabien Clain, la voix française de l'Etat islamique, tué en Syrie

Le jihadiste toulousain a été tué mercredi à Baghouz, le dernier bastion de l'EI en Syrie, a appris franceinfo jeudi. Dans le documentaire "Jihad : les recruteurs", "Complément d’enquête" racontait l'étonnant parcours de ce Français. Et notamment son retour, en janvier 2015, à Toulouse, alors qu'il y est interdit de séjour.

Article rédigé par franceinfo - Romain Boutilly
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Publié Mis à jour
Temps de lecture : 9min
Fabien Clain, le Français soupçonné d'avoir enregistré le message du groupe Etat islamique qui revendique les attentats du 13 novembre. (FRANCE 2)

Il était l'un des jihadistes les plus recherchés par la France. Fabien Clain, la voix française du groupe Etat islamique, a été tué mercredi 20 février en Syrie par une frappe de la coalition internationale, révèle jeudi franceinfo. Le frère du terroriste de 40 ans, Jean-Michel, a lui été gravement blessé. 

Le parcours de Fabien Clain a longtemps occupé les services des renseignements français. Car l'itinéraire du jiahdiste, qui avait revendiqué les attentats du 13-Novembre, est marqué par plusieurs zones d'ombre. Comme son passage à Toulouse en 2015, sur lequel a enquêté "Complément d'enquête".

Du matériel pour "enregistrer des chants religieux"

Longue djellaba, épaisse barbe et carrure de rugbyman... C’est un client peu ordinaire qui débarque ce jour-là dans la boutique Music Action, à Toulouse.
Quelques jours à peine après les attentats de Charlie Hebdo et de l'Hyper Cacher à Paris, le jihadiste Fabien Clain est dans la ville rose ce 21 janvier 2015 pour un après-midi shopping.

Sur sa liste de course, un logiciel pour transformer les voix, un micro dernier cri à 1 400 euros, une carte son, des enceintes puissantes...  En tout près de 3 600 euros de "matériel professionnel de très haute qualité", de quoi recréer un home studio d’enregistrement. Sans se douter à qui il a affaire, un jeune vendeur conseille ce client "peu bavard, mais correct". "Il voulait ce qui faisait de mieux, et semblait peu préoccupé par le prix", nous confirmera l’un des vendeurs, à qui Fabien Clain confie vouloir "quelque chose de facilement transportable" pour "enregistrer des chants religieux".

Trois visites à Toulouse... alors qu'il y est interdit de séjour

A cet instant, le vendeur est loin d’imaginer à quoi servira plus tard tout ce matériel audio ultraperformant. Fabien Clain, pourtant interdit de séjour à Toulouse (et dans 23 départements), va même se payer le luxe de venir à trois reprises dans le magasin hi-fi, le 21 et le 30 janvier, ainsi que le 7 février. Il est d’abord seul, puis accompagné de sa mère, qui a souscrit pour lui un crédit Sofinco, avant que sa sœur ne vienne récupérer le micro qui, "fin février, tarde a arriver".

Dix mois plus tard, après les attentats du 13 novembre, le gérant du magasin reconnaît formellement ce client exigeant de 38 ans d’origine réunionnaise, dont le portrait passe en boucle dans les médias. C’est sans doute avec ce matériel qu’il a enregistré de sa voix la revendication des attentats, sur fond de nasheed (chant religieux) chantée par son frère, Jean-Michel.

Un départ pour la Syrie le 9 mars 2015

Fabien Clain a-t-il fait un aller-retour depuis Raqqa pour venir faire ses achats a Toulouse ? Clairement non, contrairement à ce qu’affirmait hier le Journal du dimanche. Et pour cause, il était déjà en France, et n’avait pas encore rejoint les rangs de l'Etat islamique. Selon les informations de "Complément d’enquête", Fabien Clain aurait quitté le sol français le 9 mars 2015, en famille. Un départ qu’il a pu tranquillement organiser pas à pas, durant plusieurs semaines.

Cinq mois plus tôt, alors qu’il est sous contrôle judiciaire à Alençon (Orne), un étrange balai de voitures intrigue son voisinage. "Des jeunes barbus en djellaba, dont beaucoup de convertis", défilent dans un des deux appartements que Fabien Clain loue au nom de sa femme.

Les disciples d'Alençon

Suivi par un juge d’application des peines, interdit de séjour dans 23 départements, Fabien Clain a purgé sa peine de cinq ans de prison dans la filière "d’Artigat". Il se sait sans doute surveillé, mais cela ne l’empêche pas de poursuivre ses séances d’apprentissage religieux,comme il l’a longtemps fait à Toulouse au début des années 2000.

Ses nouveaux disciples ? Quelques jeunes d’Alençon, mais surtout deux recrues originaires de Seine-Saint-Denis : Macreme Abrougui et Thomas Mayet. Pour ces derniers, "Fabien Clain apparaît clairement comme le mentor, celui qui va les radicaliser", nous ont confié plusieurs sources proches de l’enquête. Subitement, fin novembre 2014, il vide ses domiciles, confie les clés à un ami, "oublie" de payer ses loyers et disparaît d’Alençon.

Des réunions dans des garages

Début janvier 2015, Fabien Clain navigue entre Toulouse et la Seine-Saint-Denis, bravant ainsi son contrôle judiciaire. On retrouve sa trace à Dugny, Pierrefitte-sur-Seine, où il rejoint ses nouveaux acolytes Thomas et Macreme, gérants de garages et de plusieurs boutiques de pièces détachées de Seine-Saint-Denis soupçonnés d’être des "nids à djihadistes".

Selon les informations de "Complément d’enquête", plusieurs réunions y seront discrètement observées par les services de renseignements. Séances d’endoctrinement ? Préparation du départ en Syrie ? Difficile d’en savoir plus. Les enquêteurs n’excluent pas que "c’est peut-être depuis ces garages qu’auraient pu être donné les instructions à Sid Ahmed Ghlam d’attaquer une église a Villejuif". Un attentat raté dont Fabien Clain est suspecté d’être le commanditaire.

La route des Balkans

Début mars, le mentor et ses nouveaux disciples, tous fichés S, vont décider de rejoindre les rangs de l’Etat islamique, par voie terrestre. Avec femmes et enfants, ils partent pour la Syrie via l’Allemagne, l’Autriche puis la route des Balkans. Prudence oblige, plusieurs convois de trois ou quatre voitures prennent la route, à plusieurs jours d’intervalles. Un périple de 4 000 km semé d’embûches. La quinzaine de candidats au jihad fait l'objet de plusieurs contrôles, et même "une course-poursuite à 250 km/h avec la police grecque", racontera Thomas Mayet à sa mère.

Fabien Clain parvient à passer entre les gouttes, et rejoint le califat vraisemblablement en mai 2015. Mais un imprévu semble avoir perturbé ses plans : sa mère, qu’il a convertie et convaincu d’émigrer vers le califat, décède d’une cirrhose au foie mal soignée. Et sa femme, Mylène F. est, quant à elle, "bloquée prés de deux mois en Grèce" avec leurs trois enfants, entre avril et mai 2015.

La mystérieuse visite de sa femme près de Toulouse

Seule certitude, plusieurs sources ont raconté à "Complément d’enquête" un étrange épisode qui s’est produit début juin 2015. Après le décès de la mère de Fabien et Jean-Michel Clain, une cérémonie religieuse est organisée par la famille, dans une maison louée par Diana Clain, une cousine, à Ambax, petit hameau perdu en Haute-Garonne, à une heure de Toulouse.

A la surprise de plusieurs participants, Mylène F., la femme de Fabien Clain, est là, avec ses enfants, "comme si de rien n’était". Faute d’avoir pu entrer en Syrie, elle a donc rebroussé chemin et la voilà de retour en France. Elle explique aux cousins et cousines "qu’après avoir pris du bon temps en vacances en Grèce, elle compte s’installer à Ambax, et inscrire les enfants aux cours par correspondance". Dans la famille, personne ne croit à cette version. Tous ont compris qu’après avoir longuement hésité, Fabien a rejoint son frère Jean-Michel en Syrie, parti il y a un an presque jour pour jour en Syrie.

Sa femme part le rejoindre en Syrie, sans être inquiétée

Quelques minutes plus tard, deux gendarmes du village d’à côté frappent à la porte, alertés par les services de renseignements. Ils sont venus confisquer le passeport de Mylène F., "pour l’empêcher de rejoindre son mari, suspecté d’avoir rejoint la Syrie le 9 mars 2015". Quelques jours plus tard, Mylène F. aurait été, selon nos informations, auditionnée comme il se doit par la Direction générale de la sécurité intérieure (DGSI). Peine perdue. Le 1er juillet 2015, Mylène décide de reprendre le chemin du califat avec ses enfants. Elle s’en va retrouver Fabien alias Abou Omar, son mari, désormais en bonne place dans l'organigramme de Daech à Raqqa.

Selon Libération, les deux frères étaient depuis longtemps parmi les cibles de la coalition qui bombarde le groupe terroriste. La dernière preuve de vie de Fabien Clain remontait au 28 décembre 2018. Il s'exprimait sur une radio de propagande de l'Etat islamique, et appelait les Français partisans du jihad à se rebeller contre le gouvernement "qui dépense ton argent sans compter à tort et à travers". 

Article rédigé par Romain Boutilly

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