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Jawad Bendaoud, le "logeur de Daech", devant la justice pour le premier procès du 13-Novembre

Le trentenaire, qui se décrit comme un "bouc émissaire", est jugé pour "recel de malfaiteurs" devant le tribunal correctionnel de Paris à partir de jeudi.

Article rédigé par Catherine Fournier
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 11min
Jawad Bendaoud lors de son passage sur BFMTV le 18 novembre 2015.  (BFMTV)

Son nom est à jamais associé aux attentats du 13-Novembre. Jawad Bendaoud, le "logeur de Daech", va devoir s'expliquer devant la justice pour avoir hébergé deux des auteurs des attaques parisiennes, le jihadiste Abdelhamid Abaaoud et son complice Chakib Akrouh, dans la nuit du 17 au 18 novembre 2015 à Saint-Denis (Seine-Saint-Denis). Le trentenaire, devenu la risée de la France entière après ses justifications abracadabrantes devant une caméra de BFMTV, comparaît avec deux autres prévenus devant la 16e chambre du tribunal correctionnel de Paris, à partir du mercredi 24 janvier. 

"J'ai rendu service, monsieur"

Si le souvenir de son quart d'heure warholien peut encore faire sourire, l'enjeu est lourd. Presque trop, semble-t-il, pour les charges qui pèsent sur le prévenu : Jawad Bendaoud est poursuivi pour simple "recel de malfaiteurs", l'enquête ayant établi qu'il ignorait les intentions terroristes de ses locataires, qui projetaient de repasser à l'acte à la Défense.

Ce 18 novembre 2015, la France découvre au petit matin ce personnage à mi-chemin entre un Richard Virenque pris en faute – "à l'insu de son plein gré" – et un guignol cathartique. Alors qu'un assaut est en cours dans un immeuble de la rue du Corbillon, à Saint-Denis, le jeune homme aux cheveux noirs gominés, lunettes sur le nez et doudoune sur le dos, reconnaît benoîtement que l'appartement visé n'est autre que le sien (il s'agit en réalité d'un squat qu'il s'est approprié). "Un pote m'a demandé de loger des potes à lui. J'ai dit qu'il n'y avait pas de matelas, ils m'ont dit : 'C'est pas grave', ils voulaient juste de l'eau et un endroit où faire la prière", raconte-t-il à une journaliste de l'AFP, médusée, avant de confirmer ses propos en direct sur BFMTV : "On m'a demandé de rendre service, j'ai rendu service, monsieur. Je ne savais pas que c'étaient des terroristes." 

"Même moi, j'ai trouvé ça suspect"

Les policiers viennent le cueillir devant la caméra. S'ensuivent six jours de garde à vue – le maximum pour les affaires de terrorisme –, un placement en détention provisoire à l'isolement et des détournements en pagaille sur les réseaux sociaux, jusqu'à l'organisation d'une "pyjama party chez Jawad" sur Facebook et la création d'un compte Twitter "Jawad le logeur". Les internautes se défoulent, après trois jours de terreur :

Ils m'ont demandé si je savais faire des cocktails Molotov, je leur ai dit que j'en savais rien. Je suis pas barman.

Un internaute

sur Twitter

La réalité est à peine déformée. Les écoutes téléphoniques ont démontré que Jawad Bendaoud avait fermé les yeux sur l'identité des deux hommes qu'il logeait, par appât du gain : "Les mecs, ils viennent de Belgique, ils me demandent de quel côté on fait la prière, ils me disent 'on est fatigués, on veut dormir, on a passé trois jours de fils de pute, 150 euros pour trois jours'. (...) Vas-y, même moi j'ai trouvé ça suspect les mecs… Y a pas de toilettes… Y a pas d'eau… Ils payent 150 euros… Ils veulent que de l'eau et dormir", raconte-t-il à sa concubine le matin de l'assaut. 

Les jours suivants, les médias découvrent le pedigree du logeur, un délinquant multirécidiviste au casier judiciaire long comme le bras. Il a notamment écopé en 2008 de huit ans de prison pour avoir poignardé malencontreusement son "meilleur ami". La scène se déroule au lendemain de Noël, le 26 décembre 2006, rue du Corbillon, carrefour de ses ennuis. Jawad Bendaoud, alors âgé de 22 ans, poursuit, avec un hachoir volé dans une boucherie, un autre jeune pour une histoire de téléphone portable volé. Son ami David s'interpose et reçoit un violent coup de tranchoir dans le thorax. Il meurt quelques minutes plus tard. 

"Une boule de nerfs"

Au procès de cette affaire en 2008, Jawad Bendaoud est décrit par un chroniqueur comme "une boule de nerfs", qui "bouillonne" dans le box. L'avocat général dépeint une personnalité "impulsive et très nerveuse". Ce marchand de sommeil à la petite semaine, "celui dont on a ri après avoir trop pleuré", comme l'a joliment résumé son avocat, Xavier Nogueras, s'est montré tout aussi explosif lors des trois comparutions devant la justice qui ont suivi son arrestation en novembre 2015.

Jugé pour trafic de cocaïne en janvier 2017, Jawad Bendaoud est arrivé dans le box en hurlant depuis la salle du dépôt du tribunal de Bobigny. "Tu crois que je suis un terro, moi ? Ils m'ont mis des coups de matraque dans les parties ! Toi, je vais te niquer ! Dehors, quand tu veux, où tu veux ! Attends que je sorte, fils de pute ! Je suis pas Salah Abdeslam, moi !" lance-t-il, au bord des larmes, aux policiers qui l'escortent. Cheveux noués en catogan, la carrure épaissie, Jawad Bendaoud les accuse de l'avoir violenté et insulté. Il est exclu de la salle et condamné en son absence à huit mois de prison ferme.

Jawad Bendaoud devant le tribunal correctionnel de Bobigny (Seine-Saint-Denis), le 26 janvier 2017. (BENOIT PEYRUCQ / AFP)

Jugé en juin 2017 pour cet incident d'audience, il s'explique, plus posément : "Il m'a dit : 'Century 21, ferme ta gueule et colle-toi au mur'. Ensuite, il m'a mis la matraque entre les jambes, a mis une main de chaque côté et m'a soulevé, mes pieds ne touchaient plus par terre. Puis il m'a enfoncé la matraque dans le ventre en me disant : 'Tu manges bien en prison espèce de gros kebab'. J'ai pété les plombs, je les ai insultés et j'ai montré le poing." Jawad Bendaoud s'était vu prescrire cinq jours d'incapacité totale de travail. Cette fois-ci, il n'écope que de six mois de mise à l'épreuve à sa sortie de détention, avec une obligation de soins. "Une décision d'apaisement" pour cet homme "broyé" par l'isolement et "piétiné par la France", selon Xavier Nogueras.

A l'isolement 

Si son client se montre aussi ingérable aux audiences, c'est en partie à cause de ses conditions de détention, assène son conseil. Jawad Bendaoud a d'abord été incarcéré à la maison d'arrêt de Villepinte (Seine-Saint-Denis). "Là-bas, raconte son avocat, on crie encore à ses fenêtres 'Century 21' ou 'Stéphane Plaza'", du nom d'un agent immobilier et animateur vedette de M6. En septembre 2016, il a incendié sa cellule et menacé un surveillant. Jugé pour ces faits en mai 2017, Jawad Bendaoud raconte qu'il a "pété les plombs" en apprenant que d'autres détenus du quartier disciplinaire de Villepinte avaient obtenu leur transfert alors que lui, qui est "en prison pour rien du tout", est maintenu à l'isolement depuis "bientôt dix-huit mois".

Il y a des vrais terroristes qui ont égorgé des gens en Syrie et qui ne sont pas à l'isolement.

Jawad Bendaoud

devant le tribunal correctionnel de Bobigny

Quant au téléphone portable saisi dans sa cellule, ce père de deux enfants assure que c'était avant tout pour appeler son fils, qui entrait en CP. Et, accessoirement, pour badiner avec une fille "rencontrée sur un chat". La justice le condamne cette fois à six mois de prison ferme.  

Pendant ses premiers mois de détention, Jawad Bendaoud a écrit d'interminables lettres aux juges d'instruction pour clamer son innocence dans les attentats du 13-Novembre. "Vous êtes juge d'instruction, on aurait dit vous êtes scénariste (...) vous attendez quoi, que je pète une durite ? écrit-il. Est-ce que vous allez imprimer ça dans vos cervelles ? Depuis ma sortie de prison, je n'ai même pas préparé un repas et vous me parlez de préparer des attentats. Je n'ai rien à voir avec tout ça. (…) Je vais péter les plombs."

"La poisse me colle à la peau"

Jawad Bendaoud, qui refuse d'être le "bouquet missaire" (sic) dans ce dossier et regrette faire "l'objet de parodies, de blagues" depuis son apparition télévisée, se radoucit au fil de l'un de ses courriers, de 18 pages manuscrites : "Plus jamais de ma vie je referai quoi que ce soit d'illégal, quitte à manger des conserves aux Restos du cœur, la poisse me colle à la peau."  

Transféré au centre pénitentiaire de Beauvais (Oise) il y a six mois, Jawad Bendaoud ne fait plus parler de lui en détention. "Il est toujours instable psychologiquement mais il n'occasionne pas de difficultés particulières", indique un surveillant à franceinfo. "Sur la gestion quotidienne, il ne pose pas de problème. Il joue à la console, il dort, il fait un peu de sport", confirme une autre source pénitentiaire. Il est, en revanche, toujours à l'isolement. "Ce genre de prévenu est tellement médiatique qu'il est inconcevable de le mettre avec d'autres détenus en promenade, explique cette même source. Je crois qu'on va se souvenir de lui longtemps, malheureusement." 

Pourtant, Jawad Bendaoud aimerait bien se faire oublier. A sa sortie de prison, il voudrait "créer une association pour aider les jeunes", comme il l'avait dit à la juge lors de son procès pour outrages et injures aux policiers. Il n'est pas dupe, pour autant, sur sa capacité de réinsertion.

Je vais sortir, je vais faire quoi? Je peux plus rien faire en France. Hier j'ai regardé le Jamel Comedy Club à la télé et ils se foutaient de ma gueule. Tout le monde se fout de ma gueule.

Jawad Bendaoud

devant le tribunal correctionnel de Bobigny

Près de 300 parties civiles

En attendant, Jawad Bendaoud a été transféré temporairement dans une prison francilienne, le temps d'affronter de nouveau la justice. Il risque, cette fois, six ans de prison, puisqu'il a agi en état de récidive. Un de ses proches, Mohamed Soumah, lui aussi en détention provisoire, et Youssef Aïtboulahcen - un frère d'Hasna Aïtboulahcen, morte lors de l'assaut policier du 18 novembre 2015 contre l'appartement -, sous contrôle judiciaire, seront jugés à ses côtés.

A quoi va ressembler ce nouveau procès, le énième pour lui mais le premier en France en lien avec les attentats qui ont fait 130 morts ? L'audience doit durer trois semaines. Objectif : entendre des dizaines de parties civiles. Pour l'instant, près de 300 se sont déjà constituées et d'autres pourraient s'ajouter. "Les victimes se disent qu'après les attentats du 13-Novembre, alors que des photos et des noms de suspects avaient été diffusés, des personnes ont aidé" les terroristes, a expliqué l'avocate Héléna Christidis lors d'une audience de procédure, le 21 décembre.

Il y a une volonté [des parties civiles] d'assister à cette audience même si les faits jugés ne sont pas ceux du 13-Novembre.

Héléna Christidis, avocate des parties civiles

Les avocats de Jawad Bendaoud, de nouveau expulsé de la salle lors de cette audience de procédure, ont échoué à obtenir le huis clos. Les débats s'annoncent très suivis, avec de nombreux journalistes accrédités. Les attentes des parties civiles peuvent-elles être satisfaites par des prévenus comme Jawad Bendaoud et ses complices ? Lors de la comparution de Fettah Malki, un délinquant de droit commun jugé aux côtés d'Abdelkader Merah pour avoir fourni une arme et un gilet pare-balles à Mohamed Merah, un avocat d'une partie civile avait décrit ainsi, dans Libération, les futurs procès des attentats dont les principaux auteurs sont morts : "Un défilé de lampistes se faisant broyer."

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