Etat d'urgence, déchéance de nationalité : l'article à lire si vous avez perdu le fil des débats
Le projet de révision constitutionnelle présenté par le gouvernement est débattu, à partir de vendredi, à l'Assemblée nationale.
Un peu moins de trois mois après les sanglants attentats de Paris, la révision de la Constitution voulue par François Hollande arrive, vendredi 5 février, en débat au Parlement. Après des semaines de polémiques, de déchirures et de volte-face, la question de la déchéance de la nationalité sera au cœur de la discussion parlementaire. Francetv info fait le point sur ce dossier complexe, qui n'en finit plus de donner des sueurs froides aux états-majors politiques.
Pourquoi cette réforme constitutionnelle ?
Dès le lendemain des attentats du 13 novembre, François Hollande annonce son intention de faire usage de l'article 18 de la Constitution, qui lui donne le pouvoir de s'exprimer devant le Parlement réuni en Congrès à Versailles. Le président profite de cette tribune solennelle, le lundi 16, pour proposer une modification de la Constitution. "Cette guerre d’un autre type face à un adversaire nouveau appelle un régime constitutionnel permettant de gérer l’état de crise", explique-t-il pour justifier l'inscription de l'état d'urgence dans le texte fondateur de la Ve République. Une précaution d'abord juridique.
Mais cette révision de la Constitution "doit s’accompagner d’autres mesures", prévient aussitôt le chef de l'Etat, qui cite une mesure plus symbolique, empruntée à la droite : la déchéance de nationalité. Dès ce discours, François Hollande pose un cadre. La déchéance de nationalité "ne doit pas avoir pour résultat de rendre quelqu’un apatride, mais nous devons pouvoir déchoir de sa nationalité française un individu condamné pour une atteinte aux intérêts fondamentaux de la Nation ou un acte de terrorisme, même s’il est né français, je dis bien même s’il est né français, dès lors qu’il bénéficie d’une autre nationalité".
La prestation du chef de l'Etat, qui a su trouver des mots fédérateurs au cours de ce discours de près d'une heure, est chaleureusement applaudie par les parlementaires de tous bords, debout dans l'hémicycle. Après coup, quelques-uns, à gauche, s'émeuvent de ces annonces sécuritaires, mais rien ne laisse alors présager que le président va se trouver pris à son propre piège.
Comment le consensus a-t-il volé en éclats ?
En étendant la déchéance de nationalité aux binationaux, y compris ceux qui sont nés français (actuellement, elle ne peut être prononcée que pour ceux ayant obtenu la nationalité française par naturalisation), François Hollande pense coincer la droite, qui réclamait cette mesure, et la pousser ainsi à voter la révision constitutionnelle.
Mais le chef de l'Etat a peut-être sous-estimé la réaction de la gauche. Pas seulement celle des communistes, des Verts et des frondeurs. L'extension de la déchéance de nationalité, et surtout son inscription dans la Constitution, gêne bon nombre de socialistes. Chaque jour, l'hostilité monte d'un cran et l'exécutif hésite. Le 22 décembre, la ministre de la Justice, Christiane Taubira, annonce depuis Alger que le projet de loi constitutionnelle, qui doit être présenté le lendemain, "ne retient pas" cette mesure polémique. La droite n'a même pas le temps de protester : le 23 décembre, le gouvernement déjoue tous les pronostics en maintenant l'extension de la déchéance de nationalité dans son texte.
Le projet prévoit donc que l'article 34 de la Constitution évoque la nationalité, "y compris les conditions dans lesquelles une personne née française qui détient une autre nationalité peut être déchue de la nationalité française lorsqu’elle est condamnée pour un crime constituant une atteinte grave à la vie de la Nation".
La gauche, qui pensait avoir fait plier l'exécutif, tombe des nues. Le fait que seuls les Français binationaux puissent être déchus de leur nationalité, créant une inégalité de fait avec les Français mononationaux, ne passe pas. Les tentatives pour aboutir à un compromis se multiplient. Début janvier, le premier secrétaire du PS, Jean-Christophe Cambadélis, suggère que la déchéance de nationalité puisse toucher tout Français, binational ou non. Une solution balayée quelques jours plus tard par Manuel Valls, pour qui "la France ne peut pas créer d'apatrides". C'est-à-dire des personnes qui n'auraient aucune nationalité, après avoir été déchues de la leur.
Finalement, que prévoit le texte ?
A la recherche d'un compromis, Manuel Valls annonce, le 28 janvier, devant la commission des lois à l'Assemblée nationale, que le texte constitutionnel soumis au vote des parlementaires ne comportera finalement plus de référence à la binationalité. Désormais, le gouvernement propose que l'article 34 de la Constitution évoque la nationalité, "y compris les conditions dans lesquelles une personne peut être déchue de la nationalité française ou des droits attachés à celle-ci lorsqu’elle est condamnée pour un crime ou un délit constituant une atteinte grave à la vie de la Nation". Cette concession pourrait convaincre certains élus de gauche, jusqu'à présent réticents.
Outre l'abandon de la référence à la binationalité, cette nouvelle mouture évoque la possible déchéance "des droits attachés" à la nationalité. Une sanction plus acceptable pour les socialistes. En revanche, le texte ne mentionne plus seulement les crimes, mais aussi les délits. Une revendication de la droite qui devrait déplaire à gauche.
Alors, les binationaux ne seront pas les seuls concernés par la déchéance de nationalité ?
Cette annonce de Manuel Valls, le 28 janvier, ne dissipe pas tous les malentendus. Pour certains, la suppression de la référence à la binationalité signifie que les mononationaux (c'est-à-dire les Français ne disposant pas d'une autre nationalité) pourront aussi être concernés. D'autres y voient un simple tour de passe-passe sémantique, certains que seuls les binationaux resteront, in fine, concernés.
Le 2 février, seulement trois jours avant l'examen du texte constitutionnel, les députés socialistes reçoivent l'avant-projet de la loi d'application qui encadrera la déchéance de nationalité. Ils y lisent, outrés, qu'une déchéance de nationalité ne pourra pas être prononcée si elle a pour effet de rendre la personne apatride.
A ce moment-là, seuls les binationaux sont donc, de fait, concernés. Le groupe socialiste demande alors au gouvernement de revoir sa copie. Ce dernier s'exécute, supprime l'interdiction de l'apatridie et annonce que Paris va ratifier la convention des Nations unies de 1961 sur la réduction des cas d'apatridie. Un texte qui – ouf ! – prévoit dans certains cas la possibilité de rendre des individus apatrides. Après le psychodrame, exécutif et parlementaires PS sont désormais sur la même longueur d'onde. En attendant un prochain rebondissement ?
Concrètement, qui pourra être déchu de sa nationalité ?
Après la révision constitutionnelle, le Parlement va être amené à voter une loi précisant les contours de la déchéance de nationalité. Ce texte n'est, pour l'instant, qu'un avant-projet de loi. Il doit être examiné par le Conseil d'Etat avant d'être formellement adopté en conseil des ministres, puis voté à l'Assemblée et au Sénat.
Ce texte précise, par exemple, que la déchéance de nationalité ne sera plus une décision administrative, mais "une peine complémentaire" qui devra être prononcée par un juge judiciaire à l'encontre d'une personne condamnée.
Les infractions susceptibles de déboucher sur une déchéance de nationalité sont également listées : il s'agit des "crimes d'atteintes aux intérêts fondamentaux de la Nation", des "crimes constituant des actes de terrorisme", des "délits constituant des actes de terrorisme punis d'au moins dix ans d'emprisonnement" ainsi que des "délits d'atteintes aux intérêts fondamentaux de la Nation punis d'au moins dix ans d'emprisonnement". Plutôt que de prononcer la déchéance de nationalité, le juge pourra aussi décider – et ce pour tous les Français, y compris mononationaux – de déchoir la personne condamnée de tout ou partie des droits attachés à la nationalité : les droits de vote, d'éligibilité, d'exercer une fonction juridictionnelle, et d'exercer une fonction publique.
Et l'état d'urgence dans tout ça ?
L'article sur l'inscription de l'état d'urgence dans la Constitution devrait poser moins de problèmes, car il fait l'objet d'un consensus plus large au Parlement. Les opposants à ce régime d'exception critiquent moins son inscription dans la Constitution que sa prorogation au-delà d'une certaine durée. L'état d'urgence va également faire l'objet d'une loi ordinaire, dont l'avant-projet a été présenté le 3 février en conseil des ministres.
Quelles sont les étapes à venir ? Est-ce que la révision de la Constitution risque d'être retoquée ?
L'examen du texte constitutionnel à l'Assemblée nationale doit se poursuivre jusqu'au mercredi 10 février, date à laquelle le vote solennel est prévu. S'il récolte une majorité de oui, le projet sera transmis au Sénat, qui devrait à son tour l'examiner début mars. Les deux hémicycles doivent impérativement voter le texte dans les mêmes termes, sans quoi la navette parlementaire peut durer indéfiniment. Une fois le projet voté dans les deux chambres, il doit être approuvé par l'ensemble des députés et des sénateurs réunis en Congrès à Versailles, à la majorité des 3/5es.
Pour que la révision constitutionnelle soit adoptée, le texte doit donc, lors de cette dernière étape, recueillir 555 voix sur 925. Pas gagné, mais pas impossible pour autant. A gauche comme à droite, les parlementaires sont divisés sur l'opportunité de voter cette modification de la Constitution.
J'ai lu un peu trop vite, vous pouvez me faire un petit résumé ;) ?
L'Assemblée nationale se saisit à partir de vendredi 5 février du projet de loi constitutionnelle de protection de la Nation, destiné à inscrire dans la Constitution le mécanisme de l'état d'urgence et la déchéance de nationalité. Il s'agit de la concrétisation des annonces faites par François Hollande lors de son discours devant le Congrès après les attentats du 13 novembre.
Le vote est incertain : la gauche de la gauche, une partie des élus PS et même certains parlementaires de droite sont, en effet, opposés à l'inscription dans la Constitution de la déchéance de nationalité. Or, pour être adopté, le texte devra obtenir une majorité de 3/5es des députés et sénateurs réunis. La référence à la binationalité et la question de l'apatridie devraient être au cœur de la discussion parlementaire. Pour le gouvernement, qui doit amadouer la gauche sans s'aliéner le soutien de la droite, la partie s'annonce serrée.
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