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"JeSuisFrancais" : le site créé après les attentats qui rapporte gros à son créateur

Article rédigé par Vincent Matalon
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 6min
Capture d'écran de la une du site Je Suis Francais créé après les attentats de novembre 2015, le jeudi 14 janvier 2016. (JESUISFRANCAIS)

Ce site, promu sur les réseaux sociaux par des comptes initialement consacrés aux hommages aux victimes, engrange plusieurs milliers d'euros de recettes publicitaires chaque mois.

"Les événements de cette nuit nous dépassent et nous attristent énormément. #JeSuisParis" "Soutenez les victimes, Mobilisez-vous face à ces attaques !" Au lendemain des attentats du 13 novembre, qui ont fait 130 morts à Paris et à Saint-Denis, des centaines d'internautes bouleversés relaient sur Twitter les messages de solidarité publiés par le compte JeSuisFrancais3. Une page Facebook homonyme, créée le même jour, publie des messages du même acabit.

Soyons unis pour dire NON à l'horreur et nous considérer en guerre face aux ennemis de la République ! Une pensée pour...

Posté par Je suis français sur samedi 14 novembre 2015

Deux mois après, le succès est incontestable : le compte Twitter a rassemblé 128 000 abonnés et la page Facebook compte 736 000 fans. Mais la teneur des publications a bien changé. A la place des hommages aux victimes ou aux forces de l'ordre, les internautes sont désormais invités à se rendre sur le site JeSuisFrancais.net pour y consulter des "Photos de croisements de chiens qui donnent le vertige", le "Top 10 des prénoms d'emmerdeuses" ou "La taille des pénis par pays". Chaque article est divisé en plusieurs pages pour multiplier les pages vues, toutes copieusement garnies en publicité.

"Je ne pouvais pas tenir avec seulement des hommages"

Derrière ce site (et derrière les comptes Twitter initiaux et la page Facebook) se trouve Daniel*. Avant JeSuisFrancais.net, celui qui se présente comme un "travailleur du web" administrait d'autres sites de clickbait, ce terme qui désigne des contenus divertissants et souvent racoleurs, destinés à générer du trafic et des revenus publicitaires. Mais devant le "carton total" de son dernier bébé, il souhaite désormais se concentrer sur le développement de JeSuisFrancais.net. "Au moment où je vous parle, 800 personnes consultent le site, et ce trafic ne provient que des réseaux sociaux !" s'enthousiasme-t-il au téléphone, contacté par francetv info.

Et Daniel ne voit pas de problème au fait que la promotion de ses articles soit assurée par des comptes initialement créés à la mémoire des victimes des attentats. "Le problème, c'était le devenir de ces pages : soit je les gardais actives, soit elles mouraient. (...) Au bout de quatre semaines, je me suis dit que je ne pouvais pas tenir avec seulement des drapeaux tricolores et des hommages aux victimes du Bataclan. Du coup, je me suis dit que j'allais mettre des proverbes, des vidéos, pour que cela reste ludique", explique-t-il avec franchise.

Après s'être entretenu avec francetv info, Daniel a tout de même modifié la présentation des pages Twitter et Facebook, pour en retirer la mention explicite aux victimes des attentats.

Présentation du compte Twitter "JeSuisFrancais_", avant et après notre appel à son responsable. (TWITTER / FRANCETV INFO)

Résultat : 8 000 euros "générés" par mois

S'il promet que la visée de JeSuisFrancais.net "n'est pas que financière", Daniel assume sans complexe avoir "volontairement divisé les articles en plusieurs pages pour générer davantage de clics". Mais il assure avoir une vision responsable de la présence de publicité sur son site. "Certains mettent des pubs qui occupent tout l'écran lorsqu'on se connecte. Pas moi : je n'utilise qu'AdSense [la régie de Google], et je place les publicités dans les articles, pour que cela reste rentable", explique-t-il. L'objectif est visiblement rempli, puisque Daniel assure que JeSuisFrancais.net "génère" 8 000 euros par mois.

Pour atteindre un tel revenu, le créateur du site a mis toutes les chances de son côté. Notamment en rebaptisant un ancien compte Twitter, qui comptait déjà un certain nombre d'abonnés, pour donner naissance à JeSuisFrancais3 afin de publier ses premiers messages au lendemain des attaques. "Je l'ai renommé, et ai supprimé tous les précédents messages après les attentats. Concernant la page Facebook, j'ai demandé à fusionner des précédentes pages qui m'appartenaient déjà, puis j'ai acheté un peu de publicité sur le réseau jusqu'à ce qu'on atteigne 150 000 fans", récapitule Daniel.

Plusieurs cas d'articles plagiés

JeSuisFrancais.net joue également avec la loi portant sur le droit d'auteur et la propriété intellectuelle. Car si Daniel assure alimenter son site "à partir d'articles existants [qu'il] retravaille intégralement, parfois avec l'aide d'un collègue", une bonne partie de ce qui est mis en ligne relève du simple copier-coller de contenus extérieurs, effectué d'ailleurs sans mention du site d'origine car, selon lui, "ce n'est pas bon pour le référencement"

Le "Top 10 des prénoms d'emmerdeuses", mis en ligne le 13 décembre sur JeSuisFrancais.net, est ainsi une simple reprise d'un article publié trois jours auparavant sur un autre site de divertissement. Le texte des "Cinq astuces pour manier son mascara comme une princesse" est également, à quelques mots près, le même que celui publié deux semaines plus tôt par le site féminin RougeFramboise.

Interrogé à ce sujet, Daniel assure ne jamais avoir été contacté par un éditeur pour une question de plagiat. Mais lorsqu'on lui fait remarquer qu'un journaliste de Metronews l'a interpellé début décembre au sujet d'une reprise intégrale d'un des articles du site d'information, il se ravise : "C'était il y a longtemps ! Je pensais avoir enlevé l'article du site, vous faites bien de me le rappeler." Quelques instants plus tard, le contenu en question était retiré.

Lorsque, en évoquant les questions de plagiat, on lit à Daniel l'article L335 du code de la propriété intellectuelle, sa réponse est une nouvelle fois désarmante : "C'est bon à savoir, sincèrement, je l'ignorais." Le texte punit les délits de contrefaçon de trois ans d'emprisonnement et de 300 000 euros d'amende.

* L'identité du créateur du site a été modifiée à sa demande.

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