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Procès des attentats du 13-Novembre : avec les témoignages des victimes, la cour gravit "une montagne de douleur physique et psychique"

L'audition des parties civiles a débuté le 28 septembre avec les rescapés et les proches endeuillés des attaques du Stade de France et des terrasses. Une séquence difficile qui doit durer cinq semaines.

Article rédigé par Catherine Fournier
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 9min
Des parties civiles au procès du 13-Novembre, devant la cour d'assises spéciale de Paris, le 17 septembre 2021. (ELISABETH DE POURQUERY / FRANCEINFO)

Depuis une semaine, une soixantaine de victimes ont commencé à dérouler le "film de cette nuit noire" et les six ans de traumatisme qui ont suivis. Ces parties civiles au procès des attentats du 13-Novembre ont déposé à la barre depuis le 28 septembre pour raconter les attaques terroristes du Stade de France et des terrasses. Suivront, à partir de mercredi, les récits des victimes du Bataclan et de leurs proches. Dans un mois, elles seront plus de 300 à avoir emprunté la longue allée de la salle d'audience qui mène jusqu'au pupitre.

Avec cette première séquence, la cour d'assises spéciale de Paris a commencé à gravir "une montagne de douleur physique et psychique", comme l'a décrit Aristide Barraud, un ancien rugbyman professionnel de 32 ans grièvement blessé dans la fusillade au Petit Cambodge. Une ascension difficile et nécessaire, pouvant suturer comme rouvrir les plaies de ceux qui témoignent et de ceux qui les écoutent, dans la salle ou derrière la webradio – plusieurs centaines chaque jour, sur les 2 200 parties civiles constituées.

Une scène qui prend corps

Au fil des jours, un récit polyphonique prend forme, obéissant à la même trame : "l'avant", "le pendant" et "l'après". "L'avant" tient dans le résumé d'une vie ou des quelques minutes qui ont précédé les explosions et les fusillades : la douceur de vivre d'un vendredi soir aux températures clémentes, une banale patrouille de la Garde républicaine aux abords du Stade de France un soir de match, des retrouvailles de copains de toujours au Carillon, un dîner entre amis au Petit Cambodge, une jeunesse de l'est parisien qui fête un premier CDI ou un anniversaire à La Belle équipe, un premier rendez-vous galant en terrasse... On sabre le champagne, on sort fumer une cigarette, on hésite entre une table en intérieur ou à l'extérieur. Les mots virevoltent à la barre, à l'image de ceux d'Alice, voltigeuse de métier et sœur d'Aristide Barraud.

"Il faisait doux ce soir-là dans Paris, c'était la joie."

Alice, rescapée du Petit Cambodge

devant la cour d'assises spéciale de Paris

Le "pendant" dure quelques secondes, une "éternité" pour toutes ces personnes précipitées dans la terreur collective. Alors que les images de la tuerie avaient été épargnées jusque-là aux parties civiles, elles prennent corps devant la cour à travers leur propre récit et défilent au ralenti. Il faut imaginer le bruit assourdissant qui les accompagne, celui des explosions au Stade de France, des tirs sur les terrasses. Crescendo, la réalité s'impose : les "pétards" deviennent les "balles perdues" d'un "règlement de compte" puis d'une "fusillade" visant bel et bien les gens déjà à terre.

"Quand les tirs ont recommencé, j'ai compris que les assaillants nous visaient tous et toutes car ils voulaient nous tuer."

Camille, rescapée de La Belle équipe

devant la cour d'assises spéciale de Paris

"Le temps de recharge m'a paru une éternité, ils visaient mieux, j'ai bien senti les balles dans mon genou et ma cuisse gauche", dit Jessica, grièvement blessée dans le même café, alors qu'elle fêtait ses 24 ans ce soir-là. "Boum, boum, boum, boum, boum, boum, boum", crie dans le micro Olivier, touché par une balle au Carillon.

Un récit collectif qui se forme

A chaque nouveau témoignage, la cour revoit la même scène, d'un point de vue différent, symbolisé par des petits numéros sur les plans des terrasses projetés à l'écran : la lumière qui s'éteint sous les rafales, les chaises qui s'envolent, les vitres qui volent en éclats. Et puis le silence, "glaçant", "mortuaire". Le "silence des âmes qui s'envolent", écrit Myriam, dans un texte lu par son avocat Jean Reinhart. Cette femme résidant en Suisse, blessée au bras à La Belle équipe, n'a pas souhaité venir témoigner aux côtés de son compagnon Maurice, sorti indemne physiquement mais "projeté dans un autre monde" psychiquement. Mais ses mots viennent eux aussi nourrir le récit collectif.

"J'ai laissé un bout de ma vie sur ce trottoir parisien."

Myriam, rescapée de La Belle équipe

dans un texte lu à l'audience

"L'après" commence là, sur l'asphalte recouvert de sang, où sont enchevêtrés les corps blessés et agonisants, où ceux qui vont survivre partagent les derniers instants d'un proche ou d'un inconnu. "Ce soir-là, j'étais avec un garçon que je ne connaissais pas, dans un quartier que je ne connaissais pas, dans un café que je ne connaissais pas", pleure Juliette. La jeune femme a vu mourir sous ses yeux Cédric, rencontré quelques jours plus tôt sur une application. "Je n'ai jamais donné une poignée de main à quelqu'un que je ne connaissais pas aussi remplie d'empathie, d'espoir." Les mots pèsent des tonnes à la barre, lestés de ces vies envolées, que les rescapés continuent à porter avec eux.

"J'ai cherché à retrouver un sens à ma vie, qui est multiple car je dois vivre pour Hodda, Hyacinthe, Romain", résume Ambre, comédienne et serveuse à La Belle équipe, qui a perdu trois de ses amis ce soir-là. A ce poids des survivants, s'ajoutent tous les maux du stress post-traumatique, liés à ce face-à-face avec la mort. 

"J'ai senti au fond de mes os quelle gueule avait la mort, je pourrai la reconnaître si je la recroise."

Nathan, rescapé de La Belle équipe

devant la cour d'assises spéciale de Paris

Perte de "l'insouciance", "hypervigilance", "cauchemars" ou "nuits sans rêves", "insomnies", "dépression anxieuse", "sentiment de solitude", "fatigue abyssale"... Ces troubles décrits avec constance sont parfois retardés par la présence de blessures physiques. "Ce qui m'a fait tenir, c'était mes jambes, elles m'obligeaient à me mettre debout", illustre Maya, gravement blessée aux deux jambes au Carillon, dont le témoignage a bouleversé la cour. Jessica a elle aussi dû d'abord se concentrer sur ses deux ans de rééducation et ses "12 opérations". Sur ses radios diffusées à l'écran, on voit les balles de Kalachnikov se balader dans son corps. Aujourd'hui, elle déjoue les pronostics des médecins en remarchant et tient à terminer sa déposition debout. Elle, son amoureux Roman et sa bande de copains, les "Charonniards" comme ils se surnomment pour avoir grandi dans le quartier de Charonne, n'oublient pas de "rire" – et la salle d'audience avec eux – une "arme qui les a sauvés jusque-là".

Des mots qui se complètent

L'ascension de la montagne ne fait que commencer mais elle n'offre pas qu'un spectacle de désolation : la résilience de certaines victimes est un message d'encouragement pour d'autres. Les mots des premiers de cordée complètent l'histoire des suivants. "Je remercie tous ces gens qui sont ici, d'avoir participé à ma renaissance", souligne du haut de ses 21 ans Mélissa, qui a perdu six ans plus tôt sa maman Véronique de Bourgies, tuée à La Belle équipe. Avant de venir au procès, "je n'avais jamais eu le courage d'entendre quelqu'un parler de ces évènements ailleurs que dans ma famille". Des propos en écho à ceux d'autres parties civiles.

"On a une histoire commune avec les survivants, comme une connexion de racines d'arbre."

Choé, rescapée de La Belle équipe

devant la cour d'assises spéciales de Paris

"La cour d'assises devient un des lieux de circulation du récit entre les parties civiles, qui n'avaient pas témoigné tant que ça de leur vécu des attentats", observe Sylvain Antichan, maître de conférences en science politique à l'université de Rouen, qui participe à un projet de recherche sur le rôle des victimes dans les procès des attentats de 2015. Ces témoignages à la barre, "c'est le moment ou jamais d'écrire cette histoire collective".

"Pour certains, c'est le point de départ d'une nouvelle élaboration, d'un nouveau travail autour du traumatisme", complète Carole Damiani, présidente de l'association Paris -Aide aux victimes, dont les psychologues se sont faits plus discrets depuis le début des témoignages, après avoir arpenté les allées de la salle d'audience "pour être bien identifiés". Voir ce procès comme un point de départ et non comme une fin, c'est ce que souhaitent certains comme Nathan : "Ces histoires, ces 130 morts, ces radios de balles, tous ces sanglots, il faut qu'ils servent à quelque chose."

D'autres s'inquiètent malgré tout de la ligne d'arrivée. Dans quel état seront les parties civiles mais aussi l'ensemble des acteurs du procès à l'issue de ces cinq semaines de témoignages ? "Pour l'instant, l'exercice est globalement réussi et la bienveillance est de mise", commente l'avocat Frédéric Bibal, dont le cabinet représente un grand nombre de parties civiles. Mais le pénaliste met en garde : "Il va falloir redoubler d'efforts pour ne pas dépasser les limites de chacun dans cette plongée très éprouvante de ce qu'ont vécu les victimes."

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