Procès des attentats du 13-Novembre : le stress post-traumatique, "blessure invisible" des victimes des attentats
De nombreuses victimes des attentats du 13 novembre 2015 ont développé ce syndrome dont les effets pèsent toujours sur leur quotidien près de six ans plus tard.
Catherine Bertrand vit avec un "boulet". Un état de stress-post-traumatique lié aux attentats du 13 novembre 2015, dont elle "traîne le poids au quotidien". Sortie "physiquement indemne" du Bataclan ce soir-là, la trentenaire garde les stigmates de cette "blessure invisible". Dans Chroniques d'une survivante, elle raconte et dessine les conséquences de ce syndrome psychique sur sa vie personnelle et professionnelle. Des tensions "réactivées" depuis que s'est ouvert le procès du 13-Novembre, dont Catherine Bertrand est l'une des plus de 2 200 parties civiles.
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— Catherine Bertrand \o/ (@cathbertrand5) September 17, 2021
Comme elle, de nombreuses autres victimes des attentats souffrent de ce même stress post-traumatique. Cet état peut survenir après avoir vécu ou été témoin d'une "menace de mort sur soi ou sur autrui, d'une blessure grave ou d'une violence sexuelle", explique Bruno Boniface, psychiatre qui accompagne plusieurs victimes du 13-Novembre et responsable de la prise en charge des psychotraumatismes au CHU de Bicêtre (Val-de-Marne).
Réminiscences et hypervigilance
Troubles de l'humeur, du sommeil, irritabilité, difficultés de concentration… Le stress post-traumatique se manifeste par des signes très divers dont le plus caractéristique est la réminiscence. "C'est le fait de revivre des émotions comparables à celle du traumatisme dans des circonstances qui n'ont pourtant rien à voir, si ce n'est qu'un détail rappelle cet événement", résume Bruno Boniface. Une odeur, un son ou une image peut ainsi déclencher des flash-backs qui replongent l'individu dans la scène traumatisante.
Chez Catherine Bertrand, c'est le bruit de marteaux-piqueurs dans la rue qui a provoqué la première réminiscence, quelques jours après les attentats. Les machines lui ont rappelé "les coups de kalachnikov" et ont provoqué "une crise d'angoisse".
"Je ne comprenais même pas pourquoi je réagissais comme ça. C'était comme si j'avais perdu le contrôle sur moi-même."
Catherine Bertrandà franceinfo
Pour comprendre ce phénomène, le projet "Remember", porté par l'Inserm, s'est intéressé aux réseaux cérébraux impliqués dans le stress post-traumatique. Grâce à l'imagerie médicale, les chercheurs ont observé, chez des personnes exposées aux attentats du 13-Novembre, les mécanismes de contrôle de la mémoire situés dans le cortex préfrontal. "Chez ceux qui ont développé un stress post-traumatique, ces mécanismes sont déficitaires et ne permettent pas de contrôler la survenue de ces intrusions", analyse le neuropsychologue Francis Eustache, coresponsable du "Programme 13-Novembre" dont fait partie l'étude "Remember".
Les personnes qui souffrent de ce syndrome éprouvent aussi une forme d'hypervigilance. Les patients de Bruno Boniface se décrivent comme "toujours sur le qui-vive", "dans l'incapacité de se relâcher". "Quand il y a du monde, je fais constamment des balayages visuels, j'essaye de jauger si je peux avoir confiance dans les gens autour de moi", illustre Catherine Bertrand.
"Je ne pouvais plus prendre le métro"
Alors pour esquiver la confrontation avec des éléments pouvant évoquer le traumatisme, les victimes développent des mécanismes d'évitement. Catherine Bertrand a "rayé de la carte" certains quartiers animés de Paris et fait une croix sur les rendez-vous pendant les heures de pointe. Elle a aussi bouleversé ses habitudes de déplacement dans la capitale. "A une époque, je ne pouvais plus prendre le métro", se souvient-elle. Désormais, elle garde dans son téléphone "une tonne d'applications" pour réserver une course en VTC, "une solution de secours" au cas où elle se sentirait incapable d'emprunter les transports en commun.
A force de multiplier ces comportements, la Parisienne n'a pas toujours conscience qu'il s'agit de stratégies d'évitement : "C'est devenu mon nouveau mode de fonctionnement, c'est comme si je ne pouvais plus revenir en arrière." Comme elle, Edith Seurat, rescapée du Bataclan, a renoncé à la "vie sociale intense" qu'elle menait auparavant. "Je ne participe plus aux manifestations, je ne suis pas retournée dans un cinéma", énumère cette mère de 43 ans. En 2018, son déménagement de Paris vers la Bretagne a été "salvateur", car il lui a permis de se couper de nombreuses situations propices aux réminiscences, "comme le brouhaha dans les rues, les sirènes des voitures ou la foule dans les transports".
Déménagement et reconversion
"Le départ a aussi été en partie subi", admet-elle. Après plus de deux ans en mi-temps thérapeutique, Edith Seurat a été licenciée de son poste de responsable marketing pour inaptitude. "C'est un constat d'échec assez énorme", souffle-t-elle. Avec un salaire en moins, son mari et elle n'avaient "plus les moyens" de vivre à Paris. Pour les personnes atteintes de stress post-traumatique, le retour à la vie professionnelle est semé d'embûches. "Certains ont été placés en arrêt maladie, en raison de leur incapacité à se concentrer, à prendre les transports, ou de leurs troubles du caractère", constate Eric Caillon, psychiatre des hôpitaux et médecin-conseil de victimes des attentats du 13-Novembre.
"A cause de ces troubles, il y a des vies qui partent dans des aiguillages totalement différents."
Bruno Bonifaceà franceinfo
Les rescapés évoquent aussi une perte de sens quant à leur vie professionnelle. "Une conséquence de leur confrontation à la mort", selon Eric Caillon, qui pousse certains à se reconvertir. Pour accompagner les victimes dans ce processus, l'association "Life for Paris" propose, en partenariat avec le Conservatoire national des arts et métiers (Cnam), des bilans de compétences spécifiques. "On a eu beaucoup de projets de reconversion vers des métiers du secteur du bien-être comme la sophrologie, le tai-chi ou encore la physiothérapie", rapporte Cécile Baubil, chargée de ce dossier au sein de l'association.
Cette sensation d'être "passées si proche de la mort" a conduit d'autres victimes à transformer une passion en activité professionnelle, poursuit-elle. C'est ainsi que Catherine Bertrand a quitté son travail dans une agence photo pour se lancer comme illustratrice professionnelle.
"Après les attentats, j'ai eu un besoin extrême et vital de dessiner pour exprimer ce que je ne réussissais pas à dire avec des mots."
Catherine Bertrandà franceinfo
Le dessin agit comme une "thérapie". Un complément aux prises aux suivis entamés avec une psychologue et une psychiatre. Face à l'état de stress post-traumatique, plusieurs prises en charge peuvent se compléter. Les thérapies comportementales et cognitives aident par exemple "le patient à ne pas rentrer dans des cercles vicieux infernaux pour essayer de donner un sens" à chaque moment de l'événement traumatique, explique Bruno Boniface. Des séances d'EMDR, une méthode basée sur le mouvement des yeux, consistent à faire revivre le souvenir traumatique, sous le contrôle d'un thérapeute, pour en réduire l'effet émotionnel. Un traitement médicamenteux, à base d'antidépresseurs ou d'anxiolytiques, peut parfois être nécessaire, complètent les spécialistes interrogés par franceinfo.
"Trois pas en avant, un pas en arrière"
Même avec une prise en charge adaptée, "pour un patient sur cinq environ, il existe un risque significatif de voir le malade rechuter", estime l'Inserm. Plusieurs années après les attentats, "la prévalence du stress post-traumatique semble rester élevée", avance prudemment Philippe Pirard, médecin épidémiologiste et coordinateur d'une enquête de Santé publique France sur l'évolution de l'impact psychotraumatique de ces événements (fichier PDF). Un premier volet de l'étude, mené huit à onze mois après les attentats, avait déjà fait état d'un stress post-traumatique chez 54% des participants de l'étude directement menacés ou blessés lors du 13-Novembre.
Ainsi, le stress post-traumatique d'Edith Seurat évolue en "dents de scie", avec "des périodes plus faciles" qui succèdent à "des phases plus compliquées, parfois sans raison identifiable".
"Outre les réminiscences ou l'hypervigilance, il y a aussi le pendant de la dépression et de la culpabilité du survivant dont il est difficile de se défaire."
Edith Seuratà franceinfo
"On fait trois pas en avant, un pas en arrière, mais on avance quand même", confie de son côté Catherine Bertrand. Si elle a fait le choix de ne pas témoigner au procès, elle assiste toutefois aux audiences. Elle veut "soutenir" les autres victimes mais aussi "essayer d'être actrice" du procès. Sur son blog, elle publie ainsi régulièrement des dessins et croquis d'audience. "J'ai besoin d'agir pour reprendre du contrôle", estime-t-elle.
Les victimes peuvent également compter sur les accueillants et psychologues de l'association "Paris Aide aux Victimes", repérables dans le tribunal par leurs chasubles bleues. "C'est primordial qu'on soit accompagnés en plus de nos suivis individuels", juge Catherine Bertrand.
'Il faut être extrêmement prudent avec ces personnes lors du procès pour ne pas réactiver la mémoire traumatique."
Eric Caillon, psychiatreà franceinfo
Depuis l'ouverture du procès, Edith Seurat a elle aussi assisté à certaines journées d'audience en tant que partie civile. Elle souhaite ainsi "comprendre le plus précisément ce qu'il s'est passé" et espère que cela lui permettra de "construire [son] récit" face à une mémoire qui lui "a souvent joué des tours". En témoignant à la barre début octobre, elle entend également "mettre en lumière que la vie de milliers de personnes a changé ce soir-là", au Bataclan, au Stade de France ou sur les terrasses visées. "Le monde oublie, mais nous on n'oublie pas, alors laissez-nous dire une dernière fois comment on vit maintenant."
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