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Procès des attentats du 13-Novembre : dès la première audience, les provocations de Salah Abdeslam face à "la dignité" de la justice

Le principal suspect, accusé d'avoir fait partie des commandos qui ont fait 130 morts et plus de 350 blessés le 13 novembre 2015, s'est lancé dans des diatribes islamistes, comme lors de son procès à Bruxelles.

Article rédigé par Catherine Fournier
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 7min
Salah Abdeslam devant la cour d'assises spéciale de Paris, au premier jour du procès des attentats du 13 novembre 2015, le 8 septembre 2021.  (ELISABETH DE POURQUERY / FRANCE TELEVISIONS)

Sa présence dans le box, mercredi 8 septembre, était l'une des questions clés de cette première journée d'audience. Peu après 12h30, l'heure prévue pour l'ouverture du procès historique des attentats du 13 novembre 2015 devant la cour d'assises spéciale de Paris, Salah Abdeslam prend bien place aux côtés de ses co-accusés détenus. Il s'entretient longuement avec ses avocats, Olivia Ronen et Martin Vettes, avant que la sonnerie qui annonce l'arrivée de la cour ne retentisse.

L'accusé, dont les enquêteurs ont établi qu'il était le seul survivant des commandos qui ont semé la mort à Saint-Denis et dans Paris voici six ans, est tout de noir vêtu, masque compris. Son visage est familier depuis la diffusion de sa photo, juste après les attaques qui ont fait 130 morts et plus de 350 blessés, alors qu'il était encore l'ennemi public numéro 1. Mais ses cheveux ébène ont poussé et le bout de tissu qu'il porte sur le nez, épidémie de Covid-19 oblige, laisse entrevoir une barbe.

"Je n'ai plus d'adresse"

Ce Franco-Marocain est quasi mutique depuis son arrestation en Belgique en mars 2016 après plus de quatre mois de cavale. Lors de son apparition au procès pour les attentats de Bruxelles, en 2018, le trentenaire s'était fendu d'une diatribe islamiste, suivie d'un refus de comparaître. Alors quand il se lève pour décliner son identité, une certaine fébrilité saisit la cour. Ses premiers mots douchent aussitôt les espoirs : "Avant tout, je tiens à témoigner qu'il n'y a point de divinité en dehors d'Allah", souffle dans le micro l'ancien petit délinquant du quartier bruxellois de Molenbeek.

"Oui, bien, nous verrons ça pendant les débats", élude le président de la cour, Jean-Louis Péries, magistrat chevronné de 65 ans, qui dirige l'ultime procès de sa carrière. Un échange court mais surréaliste s'ensuit : "Pouvez-vous nous confirmer les noms de vos parents ?" "Les noms de mon père et de ma mère n'ont rien à faire ici." "Quelle était votre profession avant votre arrestation ?" "J'ai délaissé toute profession pour devenir un combattant de l'Etat islamique." "J'avais noté 'intérimaire'", rétorque Jean-Louis Péries, imperturbable. "Quelle est votre adresse ? Avant l'arrestation, je veux dire." "Je n'ai plus d'adresse", répond Salah Abdeslam, détenu sous haute surveillance depuis le 27 avril 2016 à la prison de Fleury-Mérogis.

L'immensité de l'enjeu

L'attitude des treize autres accusés présents – six cadres de l'Etat islamique sont jugés par défaut car donnés pour morts – tranche avec celle de celui qui vient de se rasseoir : ils déclinent leur identité sans faire de difficultés, parfois avec l'aide d'un interprète. Parmi eux figure Mohamed Abrini, connu comme "l'homme au chapeau" des attentats de Bruxelles. Avant de déclarer les débats ouverts, le président s'autorise un propos introductif très rare, justifié par l'immensité de l'enjeu. Évoquant un "procès hors normes", Jean-Louis Péries rappelle néanmoins l'importance du "respect de la norme", "en clair l'application de la procédure pénale et des droits de chacun, à commencer par les droits de la défense".

"Notre cour d‘assises a pour fonction d'examiner les charges qui pèsent sur chacun des accusés et d'en tirer toutes les conséquences sur le plan pénal, après avoir entendu la parole de chacun. (...) Nous devons tous garder à l'esprit cette finalité et conserver ce cap, de façon à maintenir la justice dans sa dignité."

Jean-Louis-Péries, président de la cour d'assises spéciale

lors de l'ouverture du procès

Quelle parole livrera le principal accusé pendant les neufs mois que doit durer le procès ? "Au moins, il s'est exprimé", réagit Catherine Orsenne dans la file des contrôles après la première suspension d'audience à la mi-journée. Cette dentiste à la retraite, blessée au Stade de France, est l'une des rares parties civiles présentes à porter un badge avec un tour de cou vert. Les codes couleurs précèdent les personnes qui les arborent au sein du palais de justice de l'île de la cité : vert pour les parties civiles qui acceptent de parler à la presse, rouge pour celles qui ne le souhaitent pas, orange pour les journalistes accrédités, jaune pour les gendarmes qui assurent la sécurité et orientent les égarés dans le dédale des sens interdits.

Le long appel des parties civiles

Cette petite femme aux cheveux gris, qui s'est remise d'"une triple fracture à l'épaule et d'un gros traumatisme au genou" après un mouvement de foule à la sortie du match France-Allemagne ce 13 novembre 2015, viendra au procès "pour tout ce qui concerne le Stade de France" et l'audition de l'ex-président François Hollande, le 10 novembre. Quant à Salah Abdeslam, dont les cinq ans d'enquête n'ont pas permis d'établir s'il a renoncé à se faire exploser ce soir-là ou si sa ceinture était défectueuse, elle n'en attend pas grand-chose. "Je suis sûre que maintenant, il va se réfugier dans son mutisme."

Peu de temps après la reprise de l'audience, l'accusé prend pourtant la parole pour dénoncer ses conditions de détention et celle de ses coaccusés, après le bref malaise de l'un d'entre eux, Farid Kharkhach. "C'est beau ici, il y a des écrans plats, de l'air conditionné et tout, mais là-bas derrière, personne ne voit, on est traités comme des chiens", s'exclame-t-il. Avant de se lancer à nouveau sur un terrain religieux : "Ça fait plus de six ans que je suis traité comme un chien. Je ne me suis jamais plaint car je sais qu'après la mort, je serai ressuscité et vous devrez rendre des comptes", menace-t-il. "On n'est pas dans un tribunal ecclésiastique, on est dans un tribunal démocratique", coupe le président.

Dans une ambiance tendue, la cour d'assises spéciale poursuit avec l'appel des parties civiles, prévu sur deux jours, tant elles sont nombreuses. Près de 1 800 personnes s'étaient constituées à l'issue de l'instruction. D'autres pourront le faire tout au long du procès, jusqu'au réquisitoire du Parquet national antiterroriste, prévu début mai.

Tour à tour, leurs avocats se lèvent pour égrener les noms des victimes et de leurs proches dans l'enceinte de cette salle d'audience construite ad hoc. Bientôt, certains de ces noms auront un visage et une histoire, déposée à la barre comme on dépose un fardeau. Près de 300 parties civiles devraient venir témoigner à partir de la fin septembre. Avant cela, la cour va replonger dans cette nuit d'horreur dès vendredi, avec la lecture du rapport d'accusation par le président. 

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