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Procès des attentats du 13-Novembre : quand Sonia s’est pris "une bombe en pleine tête" au Comptoir Voltaire

La jeune femme était attablée au restaurant avec un ami, lui aussi blessé. Elle est revenue sur cette soirée d'horreur et les six années qui ont suivi. 

Article rédigé par Catherine Fournier
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 5min
Le Comptoir Voltaire près de la place de la Nation, à Paris, le 16 décembre 2015.  (BERTRAND GUAY / AFP)

"La décision de ce témoignage a été très difficile à prendre, j’ai dû la prendre il y a cinq minutes." Sonia se tient debout devant la barre, cuir rouge et cheveux noirs relevés. Des blessures de cette jolie jeune femme, grièvement blessée au Comptoir Voltaire le vendredi 13 novembre 2015, rien d'apparent ne semble subsister. Mais avant de poursuivre devant la cour d'assises spéciale de Paris, mardi 5 octobre, elle prévient : "J’ai dit adieu à la jeune fille insouciante que j’étais."

Ce soir-là, Sonia a rendez-vous avec Théo pour dîner. Attablée, elle "commande un steak tartare, un plat que je ne commande jamais. Inconsciemment je devais savoir que c’était une soirée inhabituelle." Les plats arrivent et quelques minutes plus tard, "le terroriste entre". Brahim Abdeslam, le frère de l'un des 20 accusés du procès, vient de franchir le seuil du Comptoir Voltaire, après avoir participé à la tuerie des terrasses quelques minutes plus tôt.

"Il ouvre très violemment les portes, les conversations s'arrêtent, tout le monde le regarde. Si je ne me trompe pas, il nous sourit un peu. Je le fixe, je le trouve louche, mon instinct me dit que c’est mauvais."

Sonia, rescapée du Comptoir Voltaire

devant la cour d'assises spéciale de Paris

Sonia pique la première bouchée de son steak tartare. "La suite, tout le monde la connaît. Il est 21h41 et le kamikaze se fait exploser."  Juste à côté d'elle. La jeune femme peine à décrire "le moment où on se prend une bombe en pleine tête alors qu’on n’a jamais fait de mal à une mouche". Son débit est rapide. "J’ai le souffle complètement coupé, je m'accroche à la table, c'est le trou noir quelques secondes, accompagnées d’un silence de mort." Sonia sent que son oeil est touché, remarque que ses mains "sont pleines de sang", sent un liquide couler de sa tête. Les boulons de la ceinture explosive du terroriste ont criblé son corps.

"Une image que je n’oublierai jamais"

Elle trouve la force de se lever et de s'enfuir du restaurant. "Je traverse la rue, je m’accroupis devant un magasin et là j'aperçois mon visage dans la vitre. Autant vous dire que c'est une image que je n’oublierai jamais, un choc. Je suis totalement défigurée." Sonia est persuadée qu'elle va mourir. "Je pense à mes parents, mes soeurs, mon chien et mes amis, ma maman m'a toujours dit que c’était plus facile pour les personnes qui partent que pour celles qui restent." Prise en charge par un couple puis par les pompiers, elle repense brutalement à Théo. "Je me souviens que je l’ai laissé dans le bar, je supplie les pompiers de l’aider et de le sauver."

Reconduite par les secours à l'intérieur du Comptoir Voltaire, elle n'a "pas le réflexe de fermer les yeux" en passant par la terrasse chauffée. "La scène est apocalyptique, tout est renversé, cassé, il y a du sang partout, une mare de sang, une odeur de poudre." Bien qu'une partie de la ceinture de Brahim Abdeslam n'ait pas explosé, "le terroriste est mort éventré". Sonia aperçoit "Théo face contre terre dans une mare de sang, je suis persuadée qu’il est mort." Elle le retrouve un peu plus tard "sur un brancard" et "réalise qu’il respire toujours". Les douleurs sont insoutenables, elle se sent partir. "J’ai une perte d'ouïe, des visions toutes blanches, un rythme cardiaque qui ralentit."

A l'hôpital, le défilé des brancards 

Hospitalisée, Sonia découvre que l'explosion au Comptoir Voltaire n'est pas isolée et qu'elle n'est qu'une victime parmi d'autres. Elle assiste avec "horreur" au défilé des brancards à la chaîne qui transportent les premiers blessés des terrasses. "Pour vous donner une idée, avec sept huit impacts dans le corps, j’étais la mieux lotie." La jeune fille entend les "gémissements, les souffles courts, les moniteurs qui sonnent, les 'c’est fini' des médecins et les paroles d’un monsieur avant de mourir". "Et moi attendant, attendant et ne comprenant pas comment mon coeur battait toujours."

Prise en charge en urgence en neurochirurgie, elle est miraculée, un "impact dans ma boite crânienne s’étant arrêté à quelques millimètres de mon cerveau, et un autre de mes poumons". Elle ne revoit Théo qu’une semaine plus tard, "semaine pendant laquelle j’ai cru qu’il était mort". Le jeune homme, également grièvement blessé, témoignera juste après elle à la barre. A la vitesse de la lumière, Sonia raconte l'après. Les "douches interminables de bétadine me brûlant la peau", les médecins qui lui annoncent qu'elle ne retrouvera jamais son oeil. "Depuis, se sont passées six années, c'est trop long de vous les décrire, alors je vous fais un résumé en quelques lignes médiocres", lâche-t-elle en tenant ses papiers devant elle.

"Depuis, c'est 35 opérations à ce jour, des cicatrices, un oeil en moins coulant quotidiennement, de l’ouïe perdue et des acouphènes quotidiens, 10 kg de médicaments ingérés, une hospitalisation en psychiatrie, une dépression, des envies de suicide, des insomnies, des rendez-vous médicaux tous les jours, des couloirs d'hôpitaux connus par coeur, un statut d’handicapé et des expertises affreuses face à un fonds de garantie inhumain."

Sonia, rescapée du Comptoir Voltaire

devant la cour d'assises spéciale de Paris

Sonia n'est plus la "jeune fille insouciante" qu'elle était mais elle n'a pas perdu de son humour. "Sachez, monsieur le président, que je n’ai pas recommandé de steak tartare depuis ce jour, et je n’en recommanderai plus, cette idée était absurde." L'audition des parties civiles doit se poursuivre mercredi avec les rescapés et les proches des victimes du Bataclan.

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