Procès du 13-Novembre : le journal de bord d'un ex-otage du Bataclan, semaine 14
David Fritz-Goeppinger fait partie de la douzaine de personnes prises en otage par les terroristes au Bataclan. Photographe, il tient son journal de bord pendant toute la durée du procès des attentats du 13-Novembre.
Depuis le 8 septembre 2021 le procès des attentats du 13-Novembre se tient à Paris. David Fritz Goeppinger, victime de ces attentats est aujourd’hui photographe et auteur. Il a accepté de partager via ce journal de bord son ressenti, en image et à l'écrit, durant les longs mois que va durer ce procès fleuve. Voici son récit de la quatorzième semaine de procès, à cheval entre la fin 2021 et le début de l'année 2022.
>> Le journal de la treizième semaine
>> Le journal de la quinzième semaine
L’engrenage
Mercredi 15 décembre. Hier, le président a annoncé que l’audience d’aujourd’hui démarrerait à 14 heures en raison du mouvement de grève des magistrats et des greffiers. La sonnerie retentit et le président prend la parole pour dire son soutien au mouvement de grève : "Je sais depuis quarante ans que je fais ce métier que les conditions de travail dans lesquelles nous exerçons ce métier ne sont pas toujours les meilleures." Le banc des avocats des parties civiles en fait écho à travers la voix de maître Bibal, idem chez les avocats de la défense via maître Vettes.
Aujourd’hui, nous poursuivons l’audition des proches des terroristes. Les deux premiers témoins cités à comparaître sont auditionnés depuis des établissements pénitentiaires et sont parents. Une tonalité de téléphone résonne dans le prétoire lorsque le président lance la visioconférence afin de communiquer avec le premier témoin. Il s’agit de la sœur de deux hommes considérés comme les portes paroles de l’EI et qui ont revendiqué à travers des chants religieux les attentats du 13-Novembre.
C’est une chaise vide qui est projetée sur la toile derrière le président, une voix de femme dit : “Madame la témoin arrive.” Durant ce moment de flottement nous assistons à la bande son d’une prison. Des portes métalliques se claquent, des trousseaux de clés et des bruits de pas résonnent au loin. Quelques minutes après, la témoin prend place. Elle nous raconte la radicalisation de tous les membres de sa famille : “On s’est convertis en 1999. On était en quête de spiritualité. [...] et on cherchait une réponse à 'Pourquoi on était sur Terre'.” La limpidité et l’apparente sincérité qu’elle instille dans chacune des réponses aux questions du président et des parties me surprennent. Jusqu’ici, la plupart des proches témoignant semblaient moins à l’aise et ne s'étalaient pas vraiment sur leurs émotions ou jugements. Mais ici, nous sommes réellement plongés dans la construction radicale et la transformation d’une famille entière. Après plusieurs heures de déposition et de réponses s'ensuit le témoignage de sa fille, également incarcérée pour avoir rejoint Daech de juillet 2014 à fin 2017. Le tableau qu’elles dressent semble être celui d’un abysse infini dans lequel toute la famille s’est plongée, sorte d’engrenage infini. Le témoin suivant est l’ex-petite amie d’un des deux terroristes qui nous a retenus en otage dans le "Couloir" du Bataclan le 13-Novembre. Je déploie tous mes efforts pour rester concentré afin d’écouter sa déposition. Derrière ses mots, nous avons accès à des tranches de sa vie et de sa radicalité. Concernant l’intention de son ex-petit ami de partir rejoindre l’EI, elle dira : “Ils se sont rendus en Syrie par curiosité, de base, mais ils se sont retrouvés dans un engrenage.” A la question d’une des deux assesseures sur les raisons de son départ : "Il n'est clairement pas parti offrir des fleurs.”
L’écoute, toute l’après-midi des témoignages de proches des terroristes me pèse et je préfère arrêter l’écriture là pour aujourd’hui, je range mes affaires et quitte la salle des criées et réalise que l'audience vient de prendre fin. Sur la photographie du jour, la “statue à la main coupée ” qui trône à l’angle de l’un des couloirs du Palais de Justice.
À demain.
Le prétoire
Jeudi 16 décembre. Aujourd’hui, nous retrouvons le Bureau des légendes belge qui accueille les témoins du jour.
À mon arrivée, je croise Alexia, élève avocate stagiaire au secrétariat général du parquet général et de la première présidence, chargé de l'organisation de “V13” avec qui je me lie d’amitié ces dernières semaines. Elle m’explique que je me trompe de mot lorsque je désigne la salle d’audience comme étant le prétoire. Elle me raconte qu’historiquement et dans le jargon dédié, le prétoire démarre là où siège le parquet. En souriant, je prends note de ne plus commettre l’erreur.
À l’écran, un homme est assis au siège habituellement occupé par les enquêteurs belges. L’interrogatoire du président démarre et il semblerait que l’homme ne soit pas très loquace. Je ne prends pratiquement pas de notes. De toute façon, je ne me sens pas très inspiré aujourd’hui. Je ne sais pas si c’est le froid hivernal ou bien le fait que nous arrivons à la fin des quatre premiers mois du procès. Après une suspension et un café fade avalé, je rejoins la salle des criées pour démarrer l’écriture. Un nouveau témoin est assis et répond aux questions des parties. Sa déposition contraste avec la précédentes. L’homme prend peu de pauses et parle très vite en mâchant ses mots, ce qui semble agacer la cour mais amuser certains acteurs du procès. L’homme fait partie de l’entourage et est un habitué du café tenu par deux frères très connus du dossier des attentats du 13-Novembre. Après une longue séance de questions, l'homme est remercié et le représentant du parquet belge prend la parole pour notifier au président que le témoin suivant a finalement décidé de ne pas venir. Le Président, surpris, interroge : “Ah, c'est une réponse définitive ?” “Oui, on a pris acte." Comme le veut la procédure, le président démarre ensuite la lecture du procès-verbal d’audition du témoin absent tandis que la salle des criées se vide autour de moi.
Demain est le dernier jour du premier quadrimestre du procès des attentats du 13-Novembre.
Le temps passe vite.
Auscultare
Vendredi 17 décembre. Les rituels qui au départ rendaient mon quotidien plus stable sont devenus des habitudes. La place Dauphine, un sas de décompression, les cafés, nécessaires. L’audience du procès des attentats du 13-Novembre fait une pause pendant deux semaines et je m’interroge. Nous attendons tous cette pause pour enfin faire le point et se pencher, rétrospectivement, sur les quatre derniers mois. Je me demande si les fantômes du Palais vont se rendre dans la salle d’audience pour y faire l’écho d’une justice passée.
J’ai commencé l’écriture de ce billet tôt ce matin et des morceaux de Birth of Joy, Bandit Bandit ou Nirvana m’accompagnent. J’ai besoin de vider le sac dans lequel j’accumule la tension accumulée au fil des jours. Tension constituée de mots, d’émotions et de pensées qui encombrent mon esprit. Vivre le procès s’avère être un chemin en dents de scie. Il y a des jours comme aujourd’hui où l'excitation se mêle à la hâte que l'audience prenne fin, et puis le temps d'un battement de cils, le soir est là, le silence aussi. D’autres où l'air en suspension de la salle d’audience rend l’écoute impossible. Le temps se contracte et s’étire à la fois dans une parade sans fin. Je sais aujourd’hui que l’inlassable course de la manifestation de la vérité continue et emporte tout sur son passage et surtout, ne nous attend pas. Ce rythme effréné qu’impose le procès à notre quotidien depuis le 8 septembre est difficile à suivre. J’ai beau savoir où m’asseoir, quel couloir emprunter et connaître de plus en plus le Palais, mon cerveau, lui, tente, chaque jour, de trouver du sens à tout ça. La rigueur que je m’impose, pour la bonne tenue de ce journal, me pousse à scruter, dans le creux de chacune des phrases prononcées par les acteurs du procès, un pansement à mon affliction. Ma quête de réponse prendra-t-elle fin à l’issue de l’audience ? Le procès fermera-t-il des portes ? Si oui, seront-elles les bonnes ? Arthur* me disait il y a plusieurs semaines avoir l’impression de manquer de recul pour tenter de comprendre tout ce qui se déroule devant ses yeux, mais alors comment trouver la bonne distance pour comprendre ce qui se passe à l’intérieur de nous ?
Du recul, j’avoue ne plus en avoir non plus mais, au fil des publications, je me rends compte que le journal de bord est aussi devenu une fenêtre sur mon inconscient qui est lui-même devenu un écho fragmentaire du procès. Rétrospectivement, je pense que cette bascule a eu lieu au cœur des “cinq semaines”, le 19 octobre, date à laquelle je déverse méthodiquement mon vécu le soir du 13 novembre 2015. J’ai le sentimentque ces cinq semaines des auditions des parties civiles sont justement devenues, dans l’inconscient collectif, un pinacle de l’expression mémorielle de nos souffrances et que pour la première fois en six ans, la justice tend l’oreille. Depuis 62 jours, elle ausculte, tourne des pages, interroge et s’exprime et nous, nous nous tenons là, éblouis, dans l’attente d’avancer. Finalement, et malgré mes efforts pour continuer d’avoir une vie “normale”, je constate que le procès, sans le vouloir, nous met sur le banc de touche de la société le temps de neuf mois.
Je rejoins le sanctuaire après un déjeuner en compagnie d’Arthur et Philippe**. À la barre aujourd’hui, nous attendons Patrick Calvar, directeur de la DGSI*** au moment des faits. C’est un homme aux cheveux poivre et sel, en costume, qui démarre sa déposition en donnant des détails de son parcours professionnel au sein de la police et de l’antiterrorisme. Après une courte introduction, il poursuit en disant : “Je voudrais dire aux parties civiles qu'elles ne doivent jamais douter de l'engagement total des services. Je sais que les mots n'effacent jamais la douleur mais je voudrais dire ce qu'est notre travail pour qu'elles le comprennent mieux, hors polémique." Plongé dans l’écriture de ce billet, j’écoute parcellairement son court exposé mais prends notes de plusieurs de ses réponses aux avocats des parties civiles, y compris maître Aurélie Coviaux, mon conseil. L’ancien directeur semble cependant être sur la défensive et a même parfois l’air agacé des questions posées. S’ensuit l’exposé d'une technicienne en chef de police technique et scientifique au sujet des faux passeports syriens utilisés par les terroristes du 13-Novembre.
Après une courte audition, le président annonce la levée de l’audience du procès : “Je crois que nous avons tous besoin de respiration. Cette audience va être suspendue un certain temps. Je vous donne rendez-vous le 4 janvier à 12h30 dans cette salle.”
Pour ma part, je tiens à remercier les lecteurs qui chaque jour lisent mes mots et s’engagent à parcourir mes pensées, merci pour votre soutien.
Autour de moi, la salle des criées se vide progressivement et j’avoue que je suis soulagé de clôturer cette première partie du journal.
Merci d’avoir tourné, quotidiennement, les pages virtuelles de ce journal, on se retrouve le mardi 4 janvier.
* Arthur Dénouveaux, président de l'association Life for Paris.
** Philippe Duperron, président de l'association 13onze15.
*** Direction générale de la sécurité intérieure.
Faux départ
Mardi 4 janvier. Le procès mis en pause pendant plus de dix jours était censé reprendre aujourd’hui. Une nouvelle est cependant venue perturber son sommeil il y a une semaine. Ce n’est pas un mystère mais le Covid continue de rythmer nos vies en dehors du Palais et j’ai été peu étonné d’apprendre que le principal accusé avait été testé positif. Nous attendions aujourd’hui le résultat de son second test pour savoir si oui, ou non, les débats pourraient reprendre le jeudi 6 janvier.
Après m’être extrait du microcosme du Palais, mon retour en son sein est brutal, comme si mes repères étaient encore là mais que je ne parvenais pas à réaliser. C’est là-dedans que j’étais plongé ? La journée était annoncée comme express, le président devait annoncer les raisons du report de l’audience et on devait s’arrêter là pour aujourd’hui. Je m’installe dès mon arrivée dans la salle des criées et sa chaleur étouffante pour observer et scruter de loin la foule présente dans la salle principale. Tout le monde discute et, sur le parquet, avocats de la défense et des parties civiles créent une masse informe noire avec des bras qui parfois dépassent. L’attente est longue, et les habitudes commencent à revenir, j’essaye d’avoir des informations pour comprendre d’où vient le retard lorsque je tombe sur le tweet d’une journaliste : l’administration pénitentiaire recherche le résultat du test PCR de l’accusé en question. Pour tuer le temps, je sors prendre un café sur les marches avec Arthur et Gwladys, journaliste à Europe 1. J'apprends peu de temps après que l’audience ne devrait pas tarder à reprendre, avec plus d’une heure et demie de retard. À l’arrivée des avocats généraux, quelques acclamations et applaudissements d’avocats des deux parties se font entendre, ajoutant une touche d’humour et de bizarrerie à cette étrange journée.
La sonnerie retentit et marque un coup d’arrêt à l’ensemble des discussions en cours dans la salle d’audience. La cour prend place. Le président prend la parole : “L'audience est reprise, mais elle ne durera pas très longtemps, même si vous avez attendu très très longtemps (...) je salue votre patience.”. Après des explications sur le contexte autour de la contamination au Covid de l’accusé en question, il ajoute qu’il a laissé son téléphone allumé pour avoir des informations en temps réel au sujet du résultat du test puis termine sa prise de parole en souhaitant les meilleurs vœux de bonne santé à tous tout en rappelant les règles sanitaires en vigueur dans la salle d’audience. Olivia Ronen, avocate de l’accusé absent, prend la parole, vite interrompue par la sonnerie du téléphone portable du président, qui décroche. Le président clos les débats pour aujourd’hui peu après, tout le monde semble être resté sur sa faim.
La courte audience de cet après-midi n’en était finalement pas une. Je quitte le Palais un peu circonspect et surtout le regard tourné vers la journée de jeudi.
Commentaires
Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.