Terrorisme : qui est Tyler Vilus, le premier jihadiste français jugé aujourd'hui aux assises pour des crimes commis en Syrie ?
Ce Français de 30 ans est un cadre éminent de l'organisation terroriste Etat islamique. Accusé de crimes commis en Syrie entre 2013 et 2015, il encourt la réclusion criminelle à perpétuité.
Un procès hors normes s'ouvre, jeudi 25 juin, à Paris, devant la cour d'assises spéciale. Tyler Vilus, alias Abou Hafs, est poursuivi pour "direction d'un groupement terroriste", "association de malfaiteurs" et "meurtres en bande organisée" pour des faits commis en Syrie entre 2013 et 2015. C'est le premier jihadiste français renvoyé aux assises pour des crimes perpétrés dans ce pays.
L'ombre des attentats du 13 novembre 2015 planera sur cette semaine d'audience. Ce Français de 30 ans, originaire de Troyes (Aube), connaît en effet intimement plusieurs auteurs des attaques. A commencer par leur coordinateur, Abdelhamid Abaaoud. La cour va s'efforcer de cerner le parcours, la personnalité et la dangerosité de ce colosse, devenu en quelques années un "émir" du groupe Etat islamique (EI). L'accusé, qui comparaît seul dans son box, n'est pas un "revenant" comme un autre.
Proche du cerveau présumé des attentats du 13-Novembre
Lorsqu'il a été démasqué il y a cinq ans, Tyler Vilus était un cadre éminent de l'EI. Le 2 juillet 2015, quatre mois avant les attaques de Paris et Saint-Denis, il est interpellé à l'aéroport Atatürk d'Istanbul. Vers 9 heures, il est sur le point d'embarquer sur le vol Turkish Airlines 1767 pour Prague. Mais son passeport, qui appartient en réalité à un ressortissant suédois, fait tiquer les policiers turcs.
A peine arrêté, le Français réussit à donner l'alerte depuis son téléphone. Les messages interceptés, à destination d'un numéro turc, sont sans ambiguïté :
"Je me suis fait arrêter. Ils m'ont pris en photo."
"Ils me font rire c mongol ils comprenne rien (…) Je te recontact quand je sort, si je sort (sic)".
"Quand je sors, j'agis."
Qui prévient-il ? Tyler Vilus a fini par l'admettre : son correspondant n'est autre que le jihadiste belge Abdelhamid Abaaoud. A l'époque, ce dernier cherche à rejoindre l'Europe pour coordonner des attentats meurtriers à Paris et à Bruxelles. Les deux hommes sont amis. Au nombre des premiers combattants francophones partis en Syrie, ils ont noué des liens étroits dans le califat proclamé de l'EI.
Dans les premières vagues de départ vers la Syrie
Tyler Vilus s'est en effet installé en Syrie dès mars 2013, après un premier séjour l'année précédente. Ce qui lui donne un ascendant certain dans les rangs de l'organisation terroriste. En Syrie, il a accueilli à plusieurs reprises sa mère, Christine Rivière, convertie elle aussi à l'islam le plus rigoriste, et avec laquelle il entretient une relation fusionnelle. Là-bas, "elle porte une ceinture explosive 'pour sa propre sécurité', pour éviter de tomber dans les mains d’ennemis de l'Etat islamique", relate Mediapart. Cette quinquagénaire, surnommée "Mamie jihad" par les policiers français, a été incarcérée à son retour et condamnée à dix ans de réclusion en appel en juillet 2018.
Tyler Vilus est aussi soupçonné d'être l'un des animateurs du compte Twitter "Si tu veux mon avis", qui invite les musulmans à venir combattre en Syrie et, s'ils ne peuvent le faire, à commettre des attentats dans leur pays d'origine contre des commissariats ou des cibles civiles : "Sors de chez toi, taillade des kafira [mécréants], fais-leur du mal, fais-leur peur… Tue des flics et des femmes de préférence."
Membre des services de renseignement de l'EI
Tyler Vilus est un communicant mais aussi un combattant. Après son expulsion vers Paris, intervenue quelques semaines après son arrestation en Turquie, le juge d'instruction français a retrouvé une photo de faible qualité, un cliché sur lequel, selon l'accusation, on voit l'homme conduire la prière, parmi huit personnes, dont Abdelhamid Abaaoud, à l'arrière-plan dans un champ d'oliviers. Tyler Vilus conteste faire partie du groupe. Mais il reconnaît sa présence à une autre réunion organisée en décembre 2013, immortalisée elle aussi par une photo versée au dossier. Celle-ci a été prise à Hraytan, à une quinzaine de kilomètres d'Alep, dans le nord-ouest de la Syrie. Parmi les membres de l'assemblée, au moins un des futurs kamikazes du Bataclan, Ismaël Omar Mostefaï.
Au printemps 2014, sous la pression des troupes du président syrien Bachar Al-Assad et face aux offensives de groupes rebelles, l'EI reflue vers l'est. Tyler Vilus est désormais cantonné à Al-Chaddadeh, ville carrefour à quatre heures de route de Raqqa, capitale politique de l'EI, et Mossoul (Irak), capitale religieuse du califat. Dans ce bastion du jihad armé, il œuvre dans les rangs de la police. Là, il côtoie les Français Foued Mohamed Aggad, Ismaël Mostefaï et Samy Amimour, les trois futurs kamikazes du Bataclan.
Son aura et ses états de service valent à Tyler Vilus d'être sollicité par les chefs de l'organisation terroriste pour faire partie de l'Amniyat, les services de renseignement de l'EI*.
L'Amniyat dispose d'un éventail étendu de prérogatives : détention, exécution, mise en œuvre de sentences issues de l'application de la charia, détection de tentatives d'infiltration.
Extrait de l'ordonnance de mise en accusation
Il s'agit d'une police secrète, "une sorte de DGSI", reconnaît le jihadiste. A ceci près qu'elle œuvre à l'extérieur pour commettre des attentats, comme viendra l'illustrer la tragédie du 13 novembre 2015. A l'entendre, Tyler Vilus aurait décliné cette cooptation dans le saint des saints de l'organisation : "Je n'ai jamais fait partie des Amnyins. Ni intérieur. Ni extérieur (…) J'étais un combattant parmi les combattants."
"Charismatique et idéologue"
Quelle que soit son appartenance réelle, Tyler Vilus jouit de la confiance d'une organisation qui se rêve en Etat, avec des prérogatives judiciaires. Le Français joue ainsi un rôle central, en avril 2015, dans une exécution publique et filmée, dont la vidéo est mise en ligne. L'assassinat d'une balle dans la tête de deux hommes, présentés comme membres de l'Armée syrienne libre. Sur cette place d'Al-Chaddadi, on voit Tyler Vilus, en uniforme, képi protégeant son crâne rasé du soleil, un talkie-walkie à la main, une arme à la ceinture. A ses côtés, un homme porte… un maillot du PSG. Tyler Vilus n'est pas soupçonné d'être l'un des bourreaux cagoulés mais il contient la foule, levant le bras lorsque les prisonniers sont assassinés. "Je n'ai eu aucun rôle dans cette exécution. Je sortais de la mosquée (…) J'ai été rameuté comme les civils qui sont présents sur ce carrefour", se défend-il devant le juge qui l'interroge au cours de l'instruction.
Arrive l'été 2015. Tyler Vilus explique avoir promis à Abdelhamid Abaaoud de rentrer en Europe pour frapper en solitaire. Aujourd'hui, il soutient qu'il s'agissait d'un prétexte fallacieux pour quitter définitivement le pays et s'installer en famille en Mauritanie.
La réalité, c'est que je ne projetais rien et, surtout, je ne voulais pas être tenu pour responsable de faits commis par d'autres. Je n'ai jamais été missionné pour frapper l'Europe.
Tyler Vilusau juge d'instruction
Voilà cinq ans qu'il attend son procès en prison. Dans les rapports de l'administration pénitentiaire, Tyler Vilus est décrit comme "charismatique et idéologue", ayant un rôle "prépondérant", une "forte personnalité" et une "certaine aura". Mais il ne fait pas preuve de violence. Derrière les barreaux, il a entamé une licence de psychologie. A tel point que son avocat, Louis-Romain Riché, a fait condamner l'Etat pour avoir prolongé inutilement le placement à l'isolement de son client. Refusant de s'exprimer sur le fond du dossier avant l'ouverture de l'audience, le conseil de l'accusé appelle au "respect de la présomption d'innocence". Tyler Vilus encourt la réclusion criminelle à perpétuité. Le verdict de la cour, uniquement composée de magistrats, est attendu le 3 juillet.
* Pour en savoir plus, lire Les Espions de la terreur, de Matthieu Suc, HarperCollins, nouvelle édition augmentée (format poche).
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