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Attentats de Paris : l'amertume des victimes après les conclusions de la commission d'enquête parlementaire

La commission d'enquête sur les attentats de janvier et novembre 2015 à Paris a présenté, mardi 5 juillet, ses conclusions. Les failles révélées indignent les associations de victimes. Francetv info les a rencontrées à l'Assemblée.

Article rédigé par Violaine Jaussent
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 7min
Patricia Correia, administratrice de l'association 13 Novembre : Fraternité et vérité, le 12 janvier 2016 à Paris. (MAXPPP)

"L'attaque du Bataclan aurait pu être évitée, on en est convaincus." Le 13 novembre 2015, Patricia Correia a perdu sa fille de 35 ans. Près de huit mois plus tard, devenue administratrice de l'association 13 Novembre : Fraternité et vérité, elle fait ce constat douloureux à l'Assemblée nationale. Elle est venue pour écouter les conclusions de la commission d'enquête parlementaire sur les attentats commis en France en 2015. Ces conclusions ont été rendues mardi 5 juillet, après avoir été adoptées à l'unanimité, moins deux abstentions.

Et elles ne vont pas vraiment dans bon le sens, selon Patricia Correia. "L'attaque du Bataclan n'aurait pas pu être évitée", d'après Sébastien Pietrasanta, le rapporteur de la commission. Le député socialiste, accompagné du député Georges Fenech (Les Républicains), président de cette commission, a présenté les conclusions mardi matin devant les journalistes.

"La cible Bataclan ne pouvait être une certitude"

"Ce que le rapporteur veut dire, c'est que la cible Bataclan ne pouvait être une certitude", explicite Georges Fenech, qui cherche à éviter tout malentendu. "Evidemment qu'on aurait dû éviter l'attaque du Bataclan, il y a eu des failles des services de renseignement", concède-t-il. Car ces derniers avaient pris connaissance de menaces contre la salle de spectacle parisienne en 2009, quand un Belge, Farouk Ben Abbes, interrogé par les services égyptiens après les attentats au Caire, aurait avoué avoir projeté un attentat.

Puis, en 2015, de nouveaux indices laissaient penser qu'un attentat pouvait être projeté contre "une salle de rock". "Un jeune Français, Reda Hame, interpellé par les autorités françaises à son retour de Syrie et interrogé par l'ancien juge antiterroriste Marc Trévidic, le déclare clairement", révèle Sébastien Pietrasanta. Mais lui estime que "contrecarrer les attaques aurait supposé que les magistrats instructeurs et les agents des services de renseignement aient gardé, personnellement, en mémoire toutes les cibles mentionnées par les terroristes lors de leurs auditions."

"Il y a eu 130 morts, et c'est 130 morts de trop"

"Ce n'est pas ce genre de réponse que l'on peut entendre", rétorque Alexis Lebrun. Rescapé des attentats, il est aujourd'hui porte-parole de l'association Paris For Life. Le 13 novembre 2015, il est resté deux heures dans le Bataclan. Immobile, sans oser décrocher son téléphone portable qui vibrait, par peur d'être exécuté. Alors mardi, dans la salle de l'Assemblée, il ose demander à Sébastien Pietrasanta s'il pense réellement que "l'attaque du Bataclan n'aurait pas pu être évitée". "Je suis étonné de l'entendre, car des éléments précis et forts ont été donnés", explique-t-il à l'issue du point presse.

"[L'attaque de] Charlie Hebdo aurait dû servir d'exemple", renchérit Patricia Correia. "Il y a eu 130 morts, et c'est 130 morts de trop", s'indigne-t-elle. Ses yeux noirs brillent, ses pupilles s'agitent. Il y a de la tristesse, mais surtout de la colère dans les mots de cette femme, qui reste pourtant très digne. "On a un sentiment d'incompétence très fort. On a l'impression que nos enfants sont morts car des personnes habilitées à faire un travail ne l'ont pas fait correctement", lâche-t-elle.

"Des militaires qui font de la figuration"

"Et puis il y a ces militaires qui font de la figuration..." Patricia Correia désigne dans cette formule les soldats de l'opération Sentinelle. Lancée à la suite des attentats de janvier 2015, l'opération a fait passer de 800 à 10 000 le nombre de militaires déployés sur le territoire français. Ils étaient présents le soir de l'attaque au Bataclan. Pourtant, ils ne sont pas intervenus. L'un d'eux a même refusé de prêter son arme à un membre de la Bac, avait déclaré ce policier lors des auditions de la commission.

En réalité, ils n'ont fait que respecter les ordres. Le ministre de la Défense, Jean-Yves Le Drian, l'a confirmé le 1er juin lors de son audition. Il a également rappelé que les membres de l'opération Sentinelle "ne sont pas formés aux interventions en présence d'otages".

Moins piquants que les membres d'associations de victimes, mais tout aussi critiques, les députés recommandent de réduire progressivement le nombre de soldats de Sentinelle et de renforcer en contrepartie le plan Vigipirate avec le recrutement de 2 000 policiers et gendarmes. "Je m'interroge sur la valeur ajoutée réelle de cette opération dans la sécurisation du territoire national", a ainsi déclaré Sébastien Pietrasanta.

Défaillances du contrôle judiciaire et carences du renseignement européen

"Comment Salah Abdeslam a-t-il pu échapper aux contrôles de gendarmerie au lendemain des attentats ?" Cette question resurgit. "On veut toujours préserver les Belges", estime Patricia Correia. Pourtant, Georges Fenech revient sur ce raté sans ambage.

Les carences du renseignement à l'échelon européen sont également manifestes. "Pas à la hauteur", tranche le rapporteur de la commission. "Absent", renchérit son président. Quant au cas de Samy Amimour, assaillant du Bataclan qui a pu se rendre en Syrie en 2013 malgré une interdiction de sortie du territoire, "il est emblématique des défaillances du contrôle judiciaire", estime Sébastien Pietrasanta.

"Forcément, il y a de la frustration"

Résultat : il n'y a "pas eu de gros ratés" dans la gestion des attentats parisiens de 2015, mais la France n'est "pas à la hauteur" face à la menace jihadiste. Les services de renseignement, qui ont "failli", doivent être réorganisés et une agence nationale spécifiquement consacrée à "la lutte contre le terrorisme" doit être créée, avec des "moyens", suggèrent les députés. Ils préconisent aussi l'instauration d'une force unique d'intervention spécialisée.

"Si ces propositions sont suivies d'effets, cela servira à éviter d'autres attentats. Mais la prise de décision vient de l'exécutif. Or c'est le même pouvoir qui était là pendant les attentats", insiste Alexis Lebrun, qui n'est "pas dupe des enjeux politiques". Il regrette aussi de ne pas avoir eu la primeur des conclusions de la commission et de ne pas avoir pu poser davantage de questions. "On a pu poser deux questions en 15 minutes. Forcément, il y a de la frustration."

Le moment est aussi difficile et stressant pour le jeune homme, sollicité par de nombreux journalistes. Un peu perdu, il prend tout de même le temps de répondre. Et glisse dans un sourire qu'il va mieux. Mieux qu'en février par exemple, lorsque les Eagles of Death Metal avaient "fini" leur concert. "C'est réparateur pour les victimes de s'engager, mais elles découvrent avec amertume la difficulté de faire bouger les lignes", constate, quelques mètres plus loin, Stéphane Gicquel, secrétaire général de la Fenvac (Fédération nationale des victimes d'accidents). Pour autant, il juge la détermination des victimes et des familles sans limite : "Elle est puisée dans les drames humains."

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