Se signaler, obtenir réparation, demander justice : le parcours du combattant qui attend les survivants des attentats de Paris
Les blessés ou témoins traumatisés par les événements peuvent demander à être indemnisés par un fonds dédié aux victimes des actes de terrorisme.
"1 289 euros, c'est presque mon salaire !" Julie, 29 ans, a encore du mal à y croire. Cette bibliothécaire parisienne, blessée par balle à la fesse lors de l'attaque du Bataclan, a reçu une facture particulièrement salée après avoir fait remplacer sa serrure, trois jours après les attentats. Elle n'avait pourtant pas vraiment le choix : les clés de son appartement étaient à l'intérieur de son sac, abandonné dans la précipitation sur les lieux du massacre.
Récupérer enfin ses clés de boîte aux lettres et trouver ça dedans. La joie, le bonheur. Cimer les gars. pic.twitter.com/B7DPCV4FVw
— Julie (@joulaye) 23 Novembre 2015
Comme Julie, plus de 350 personnes blessées lors des différents assauts terroristes font face à des dépenses, médicales ou non, directement liées aux attentats. D'autres, difficiles à recenser mais bien plus nombreuses, ont été profondément choquées après avoir assisté à des scènes de guerre en plein Paris.
Comment ces survivants peuvent-ils se reconstruire et obtenir un dédommagement, en attendant la tenue d'un procès en bonne et due forme ? Francetv info a interrogé des spécialistes ainsi que des avocats qui s'apprêtent à les défendre, et recense les étapes de ce parcours du combattant.
Première étape : se faire connaître auprès des associations d'aide aux victimes
Afin de bénéficier d'un accompagnement adéquat, les victimes peuvent se tourner vers des associations spécialisées qui les guideront dans leurs démarches. Pour l'heure, ces structures n'ont apporté leur assistance qu'aux personnes qui en ont fait la demande. Certaines, comme l'Association française d'aide aux victimes du terrorisme (AFVT), précisent à francetv info qu'elles refusent de "faire du démarcharge". Mais d'autres, comme l'association Paris aide aux victimes, indiquent qu'elles prendront contact avec les blessés une fois que la liste définitive sera établie, et leur sera communiquée par la justice.
Une dizaine de jours à peine après les attentats, penser à se faire indemniser n'est pas encore un réflexe pour les survivants. "Je ne suis pas encore entrée en contact avec ces structures", confirme Julie à francetv info. "Pour l'instant, je pense surtout à reprendre le cours d'une vie normale : gérer mes pansements, reprendre le métro, retourner assister à des concerts... Je veux penser aux choses du quotidien avant de m'attaquer aux trucs relous."
"On est encore dans une première phase, qui suit la sidération", explique Stéphane Lacombe, directeur adjoint de l'AFVT. "Les victimes ont surtout besoin de raconter ce qu'elles ont vécu, dans un espace de confiance, à des personnes qui les comprennent." "Ce n'est pas encore la priorité de ceux qui nous ont contactés, qui sont pour la plupart encore sous le choc", abonde Carole Damiani, la directrice de l'association Paris aide aux victimes. "Ces questions se poseront une fois passés l'hommage national et les obsèques."
Deuxième étape : demander des aides d'urgence à un fonds dédié aux victimes du terrorisme
Pour faire face aux dépenses urgentes consécutives aux attentats, les rescapés peuvent solliciter un organisme spécifiquement chargé de leur venir en aide : le Fonds de garantie (lien en PDF) des victimes des actes de terrorisme et d'autres infractions (FGTI). Doté d'une réserve de 1,2 milliard d'euros, prélevés à l'aide d'une taxe sur chaque contrat d'assurance, le FGTI s'attend à traiter 4 000 dossiers directement liés aux attentats de Paris et de Saint-Denis, soit autant que depuis sa création en 1986, rapporte Europe 1.
Dans un premier temps, le Fonds pare au plus urgent en accédant aux "demandes de provisions" : honoraires d'obsèques pour les familles des victimes tuées, frais médicaux ou dépenses "psychologiquement inévitables" pour d'autres. "Pour certaines personnes qui viennent nous consulter, prendre les transports en commun après avoir été témoins d'une telle scène d'horreur est au-dessus de leurs forces", illustre Stéphane Lacombe. "Elles se déplacent donc en taxi pendant quelques temps, ce qui engage des frais qui peuvent être très lourds à supporter."
Pour avoir accès à ces remboursements rapides, il faut prouver au FGTI sa présence au moment des drames. "Cela passe la plupart du temps par des justificatifs, comme un billet d'entrée au Bataclan, des factures d'un bar visé par les attaques, ou un certificat médical qui ne laisse pas de doute sur la nature de la blessure..." énumère Carole Damiani. "Mais ce n'est pas obligatoire : la police peut avoir relevé les identités des personnes présentes sur les lieux. Dans certains cas, une déclaration sur l'honneur d'un ami qui se trouvait sur place peut suffire", ajoute la directrice de l'association Paris aide aux victimes.
Troisième étape : faire reconnaître son préjudice définitif
Une fois la période des dépenses urgentes terminée, les victimes peuvent recevoir une indemnité définitive adaptée à leur situation. "C'est une étape qui peut être très longue, car il faut attendre que la victime soit 'consolidée', c'est-à-dire que son état de santé se soit stabilisé. Cela peut prendre six mois, parfois un an..." détaille Carole Damiani.
Le FGTI entame alors une expertise médicale et psychologique détaillée afin d'évaluer l'ampleur du préjudice des rescapés, et de les dédommager en conséquence. Cette étape est souvent mal vécue par les victimes. "Devoir prouver ses allégations est très douloureux. Se justifier, prouver que l'on a été meurtri est une violence, et pourtant c’est indispensable : on ne peut pas juste se baser sur des mots", explique à francetv info Dominique Attias, vice-bâtonnière du barreau de Paris, qui a mis en place une formation destinée aux avocats qui souhaitent venir en aide aux victimes des attentats.
Difficile d'obtenir une estimation du montant que peuvent espérer toucher les personnes blessées lors des attentats. "Certains chiffres tournent autour de 30 000 euros pour des victimes directes, mais ça n'est jamais immuable", indique Stéphane Lacombe. "Ce qui est certain, c'est que les personnes indemnisées par le Fonds ne s'enrichissent pas."
"Les préjudices corporels varient énormément d’une personne à l’autre, selon la profession… Si vous êtes atteint à la jambe et que votre métier implique de nombreux déplacements, le Fonds vous proposera une somme différente de quelqu'un qui aura été touché de la même manière, mais qui travaille derrière un bureau", confirme Dominique Attias. Les rescapés qui estiment être injustement traités ont également la possibilité de contester la somme proposée par le FGTI devant la justice.
"Concernant les préjudices moraux, c'est encore très différent. Certaines victimes arrivent à vivre tout à fait normalement pendant des mois, avant d'être soudainement prises de crises d'angoisse, ou de revivre les scènes traumatisantes par flashs", continue la vice-bâtonnière de Paris. Afin de permettre à ces rescapés qui ignorent encore la gravité de leur traumatisme de pouvoir tout de même être indemnisés, le Fonds peut être saisi jusqu'à dix ans après les faits.
Quatrième étape : se porter partie civile lors d'un procès
Reste l'étape judiciaire, encore lointaine pour les familles et les victimes des attentats de Paris. En fonction des développements de l'enquête en cours, le procureur pourra ouvrir une information judiciaire et contacter les victimes afin qu'elles se portent parties civiles lors de l'instruction, puis lors d'un éventuel procès.
"J'encourage toujours mes clients à effectuer cette démarche quand ils en ont la possibilité", explique Me Antoine Casubolo Ferro, avocat partenaire de l'AFVT. "Les indemnisations ne permettent ni de faire son deuil ni d'obtenir une réparation totale. Pour répondre aux 'pourquoi' et aux 'comment', il faut qu’il y ait un procès, même par contumace". "En devenant acteur de la procédure judiciaire, les victimes inversent le processus : après avoir subi, elles reprennent l'initiative et réclament réparation. Cela fait partie intégrante du processus de reconstruction", confirme le directeur adjoint de l'AFVT, Stéphane Lacombe.
Julie, la rescapée du Bataclan, amorce tout juste cette réflexion. "Je commence à me dire 'mais quand même, il faut qu’ils paient [devant la justice], ces mecs'. La plupart ont été tués, mais il faut que la justice se prononce. Nous, nous n'avions rien demandé, on kiffait juste notre musique."
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