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Du Doubs à l'Isère, comment Yassin Salhi s'est radicalisé

L'auteur présumé de l'attentat contre le site de la société Air Products à Saint-Quentin-Fallavier a un casier judiciaire vierge. Mais il a attiré l'attention des autorités à plusieurs reprises. Francetv info revient sur son parcours.

Article rédigé par Louis San
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 8min
La brigade de recherche et d'intervention (BRI) lors d'une perquisition effectuée dans l'appartement de Yassin Salhi à Saint-Priest (Rhône), le 26 juin 2015. (MAXPPP)

Sur le papier, il n'a rien du jihadiste en puissance. Une femme, trois enfants, un appartement, un travail en contrat à durée indéterminée... Yassin Salhi, 35 ans, principal suspect dans l'attentat qui a frappé le site industriel de la société Air Products à Saint-Quentin-Fallavier (Isère) et la décapitation de son employeur, ne présentait, a priori, rien d'inquiétant avant de passer à l'acte. Pourtant, il avait attiré l'attention des services de renseignement à plusieurs reprises pour sa proximité avec des milieux islamistes extrémistes. Sans jamais vraiment les alerter.

Il croise la route d'un converti radicalisé en prison

Après une enfance paisible à Pontarlier (Doubs), sa ville natale, ce fils d'un père d'origine algérienne et d'une mère d'origine marocaine est désarçonné par la mort de son père. Youssef est foudroyé par une crise cardiaque, en 2001. Choquée, sa mère, Mina, part peu après au Maroc rejoindre une partie de sa famille, et laisse derrière elle ses quatre enfants, précise L'Est Républicain. Yassin Salhi, 21 ans, commence alors à se transformer. "Le changement était physique. Il s’est mis à porter la djellaba, à se laisser pousser la barbe. On entendait des chants coraniques depuis chez nous", raconte l'un de ses voisins à L'Obs.

Lorsque les autorités françaises s'intéressent pour la première fois à Yassin Salhi, il a déjà effectué deux fois le pèlerinage à La Mecque, précise Le Journal du Dimanche. Nous sommes en 2004. Il est signalé parce qu'il fréquente Frédéric Jean Salvi, identifié comme un "militant intégriste". Cet étudiant en sport de bonne famille s'est converti à l'islam en 2000. Mais il bascule un an plus tard pendant qu'il purge une peine de prison à la maison d'arrêt de Besançon pour trafic de cannabis, raconte L'Est Républicain.

Frédéric Jean Salvi se fait alors surnommer "Ali" voire "Grand Ali". Il mène un groupe de sept à huit personnes, dont Yassin Salhi fait partie, et se fait remarquer pour ses propos radicaux jusqu'à se faire exclure de la mosquée de Pontarlier. Mais un enquêteur, qui a travaillé sur ce groupe, indique à L'Est Républicain que le jeune homme n'est pas un élément moteur : "Quand ses liens avec Salvi ont été rompus, Yassin Salhi était encore un suiveur."

Fiché dès 2006 pour "islamisme radical"

L'auteur présumé de l'attentat de Saint-Quentin-Fallavier est pourtant "fiché pour des faits d'islamisme radical" dès 2006, précise le procureur de Paris, François Molins. Il fait l'objet d'une fiche "S" ("signalé et surveillé"), et est donc surveillé de façon discrète. Sauf que les enquêteurs ne constatent rien d'alarmant et ne renouvellent pas sa fiche deux ans plus tard.

A la même période, en 2006, Yassin Salhi fait connaissance avec Yunes-Sébastien V.-Z., le destinataire du selfie macabre sur lequel il pose avec la tête de son patron. Les deux jeunes hommes se croisent parce qu'ils appartiennent à une même mouvance islamiste implantée entre Vesoul (Haute-Saône), Besançon et Pontarlier. Yunes-Sébastien V.-Z. se trouverait désormais en Syrie, près de Raqqa, et combattrait dans les rangs de l'organisation Etat islamique (EI).

Dans l'entourage de Forsane Alizza

Yassin Salhi sort des radars des services de renseignement français après la suspension de sa fiche. Ce n'est que temporaire. Il est de nouveau repéré "entre 2011 et 2014 pour ses liens avec la mouvance salafiste lyonnaise", selon François Molins. En cause : il est proche des activistes du groupuscule Forsane Alizza, dont quatorze membres ont été jugés du 8 au 23 juin 2015.

Mais encore une fois, il n'est pas inquiété. Il "n'était pas fiché comme ayant voyagé en Syrie ou en Irak", selon le ministre de l'Intérieur, Bernard Cazeneuve. Et de préciser qu'"il n'était pas connu pour être en lien avec des acteurs terroristes".

Un voyage en Syrie ?

Si Yassin Salhi se fait oublier pendant trois ans, il n'abandonne pas pour autant son activisme. "Il m'a raconté qu'il était parti pendant six mois en Syrie, dans les années 2010-2011", indique au Parisien un éducateur qui l'a initié aux sports de combat dans le Doubs. De son côté, Frédéric Jean Salvi gravit les échelons chez Al-Qaïda et est accusé par les autorités indonésiennes, en 2010, d'être impliqué dans un projet d'attentat à Jakarta.

L'entraîneur de sports de combat, qui a côtoyé Yassin Salhi pendant deux ans et demi, rapporte des signes de radicalisation : tee-shirt où il était écrit "Moudjahidine" (combattant, en arabe) porté en cours, discours prosélyte avec un autre élève...

Levée de fonds pour une association salafiste

Yassin Salhi n'est pas toujours resté dans sa ville natale. Il est également passé par Besançon. Là-bas, il fréquente la mosquée Al-Fath, l'une des plus importantes de la ville, dans le quartier de Planoise où il a habité.

L'Est Républicain rapporte que la DGSI est alertée en 2013 à cause de "sa proximité avec plusieurs groupes salafistes locaux". Yassin Salhi attire l'attention car il tente de lever des fonds pour une de leurs associations.

Il "est dénoncé par une voisine inquiète des rassemblements de 'barbus' dans sa cage d'escalier", raconte le JDD. La sécurité intérieure tente alors de surveiller son téléphone. En vain : elle ne trouve aucune ligne à son nom. "En bon islamiste radical, Yassin Salhi a pris soin de ne pas souscrire d’abonnement de portable", écrit L'Est Républicain. Ce qui ne signifie pas qu'il était dépourvu de téléphone puisque les enquêteurs en ont trouvé un sur lui lors de son interpellation. La police et la voisine tentent de fixer un rendez-vous pour identifier les visiteurs qui "venaient tous les mercredis soir". Sauf que la rencontre n'a jamais eu lieu pour des raisons encore floues, relate Le Parisien.

"Un profil hybride, un signal faible"

Si certains repèrent des va-et-vient suspects, l'activiste cultive la discrétion. Une autre voisine explique à L'Obs l’avoir croisé dans l’ascenseur "aussi bien en bermuda, avec ou sans la barbe". Un look passe-partout qu'il a conservé lorsqu'il s'est installé, à la fin 2014 à Saint-Priest, près de Lyon (Rhône). "Survêt-claquettes, plus mal rasé que barbu", résume un adolescent auprès du JDD.

Peut-être est-ce pour cela qu'il a échappé à une surveillance renforcée malgré deux notes d'information des services du Doubs en 2013 et en 2014. RTL rapporte que, dans ces documents, Yassin Salhi et deux de ses amis sont qualifiés de "musulmans durs". Les policiers y évoquent ses "absences régulières et pour des périodes longues estimées à deux ou trois mois". Ils font également état de nombreuses réunions qu'il tenait dans son immeuble de Besançon et des "conversations parfois menées sur le palier de l'appartement faisant référence au jihad et au Mali".

Mais après l'attentat d'Air Products, la discrétion de Yassin Salhi pose question. L'un de ses collègues de travail évoque "un loup déguisé en agneau". La femme du suspect, sortie de garde à vue sans être inquiétée, assure sur Europe 1 n'avoir rien vu venir : "Nous sommes des musulmans normaux. (...) On a trois enfants et une vie de famille normale." Une source proche de l'enquête analyse la situation en ces termes auprès du Monde : "Il s’agit d’un profil hybride, un signal faible : radicalisé mais pas jugé dangereux, fragile psychologiquement, qui s’est peut-être activé tout seul."

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