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Assassinat de Samuel Paty : cinq questions sur les enquêtes pour apologie du terrorisme ouvertes contre des mineurs

Article rédigé par franceinfo
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Hommage à Samuel Paty le jour de la rentrée scolaire, le 2 novembre 2020, dans un établissement à Villers-lès-Nancy (Meurthe-et-Moselle). (ALEXANDRE MARCHI / MAXPPP)

Selon le ministère de la Justice, 14 procédures ont été ouvertes contre des mineurs pour "apologie du terrorisme" en marge de l'hommage au professeur d'histoire-géographie assassiné le 16 octobre. 

Les faits d'apologie du terrorisme ou de menaces sont en hausse depuis l'assassinat de Samuel PatyAu niveau national, près de 200 enquêtes ont été ouvertes au cours de la dernière semaine d'octobre pour "apologie du terrorisme", "menaces de mort", "injures ou provocations à la haine" en lien avec la décapitation du professeur à Conflans-Sainte-Honorine (Yvelines). Parmi elles, 14 concernent des mineurs, selon le ministère de la Justice. Ces procédures ont été ouvertes les 2 et 3 novembre en marge de l'hommage au professeur dans les établissements scolaires.

>> Assassinat de Samuel Paty : comment en parler à son enfant, avant l'hommage du 2 novembre dans les établissements scolaires ?

Lundi, l'Education nationale a recensé "environ 400 violations de la minute de silence, dans des formes parfois légères, parfois lourdes", a affirmé sur RTL le ministre Jean-Michel Blanquer. "Chacune de ces violations est suivie de poursuites disciplinaires", et parfois de "poursuites pénales", a-t-il précisé. Agés de 8 à 17 ans, certains mineurs ont refusé de faire la minute de silence, d'autres ont justifié l'assassinat du professeur. Que risquent-ils ? Comment se déroulent les enquêtes ? Explications.

Quels sont les faits reprochés à ces mineurs ?

Le 2 novembre, le parquet de Strasbourg a ouvert une enquête pour apologie du terrorisme contre deux collégiens âgés de 12 ans qui auraient laissé entendre que Samuel Paty avait mérité d'être décapité parce qu'il avait montré à ses élèves des caricatures de Mahomet, relèvent les Dernières Nouvelles d'Alsace

A Bourges (Cher), un adolescent de 15 ans est soupçonné d'avoir diffusé à un groupe de camarades via un réseau social, des vidéos montrant des scènes de décapitation. Il a été placé en garde à vue et sera convoqué devant un juge des enfants pour être mis en examen pour apologie du terrorisme, rapporte Le Berry républicainA Marseille, un garçon de 14 ans a déclaré qu'il "aurait fait pareil" concernant l'assassinat de Samuel Paty. Il a été placé en garde à vue. A Miramas (Bouches-du-Rhône), deux lycéens de 16 ans ont également été placés en garde à vue, relate La Provence

Dans un lycée de Caluire-et-Cuire (Rhône), un élève de 15 ans a menacé un professeur de lui "couper la tête". A Conflans-Sainte-Honorine (Yvelines), une collégienne de 13 ans a été mise en examen pour apologie de terrorisme après avoir diffusé sur WhatsApp une capture d'écran de la tête décapitée de Samuel Paty, rapporte Le ParisienA Cambrai (Nord), trois lycéens ont été mis en examen pour avoir tenu des propos faisant l’apologie du terrorisme ou menaçant d'un crime. A Quimper (Finistère), un adolescent de 17 ans a été déféré devant un juge des enfants et sera jugé pour apologie du terrorisme. Lors d'un échange en classe sur l'attentat, il a déclaré "on comprend pourquoi certains profs se font décapiter", cite Ouest-France.

A Albertville (Savoie), quatre enfants de 10 ans ont été interpellés et une enquête pour "apologie du terrorisme, complicité et menaces de mort" a été ouverte pour des faits qui ont eu lieu lors des cérémonies d'hommages, précise Libération. "Plusieurs enfants ont eu des propos inquiétants", déclare le procureur de Chambéry. Une lettre a été déposée dans la boîte aux lettres d'un professeur de CM2 où il est écrit "Toi aussi, on va te tuer".

Que risquent-ils ?

Selon le site service-public.fr, le délit d'apologie du terrorisme "consiste à présenter ou commenter favorablement soit les actes terroristes en général, soit des actes terroristes précis déjà commis." Il est passible de cinq ans de prison et 75 000 euros d'amende, et jusqu'à sept ans de prison et 100 000 euros d'amende si les faits ont été commis sur internet. "La peine est divisée par deux pour les mineurs, mais en pratique des peines d'emprisonnement sont très rarement prononcées à leur encontre", explique à franceinfo Sophie Legrand, juge pour enfants et secrétaire nationale du Syndicat de la magistrature.

Les mineurs de moins de 13 ans n'encourent aucune peine, "seules des mesures éducatives peuvent être prononcées, ils ne pourront pas aller en prison, mais ils pourront avoir un casier judiciaire", précise la juge. 

Comment se déroulent les enquêtes ?

Comme pour tous les délits, les enquêteurs et magistrats vont évaluer s'il y avait une intention derrière les faits. "Y a-t-il une adhésion à une idéologie terroriste, une volonté de la diffuser ? Dans le cas des mineurs, il va falloir faire encore plus attention et évaluer s'ils avaient la maturité, le discernement nécessaire, qui permettraient de caractériser réellement l’'apologie du terrorisme'", explique Sophie Legrand.

La magistrate évoque deux cas de figure. "Dans le cas d'un mineur qui a tenu des propos pour provoquer, la répression pénale n'est pas idéale. Comme il y a toujours une dimension éducative dans le suivi pénal des mineurs, il faudra plutôt essayer de comprendre pourquoi ce jeune a tenu ces propos, est-ce qu'il comprend pourquoi c'est répréhensible...", illustre-t-elle.

Des enfants vont prononcer ces propos parce que ça fait réagir les adultes, parce qu’ils veulent choquer un professeur qu’il n’aime pas… Ca ne traduit pas une adhésion à une idéologie terroriste, mais il faudra en comprendre les tenants et aboutissants.

Sophie Legrand, juge des enfants

à franceinfo

Dans le cas d'un mineur considéré comme radicalisé, la réponse répressive n'est a priori "pas non plus idéale". "Cela peut avoir l'effet inverse et inciter le jeune à se cacher davantage, et on verra moins qu'il est en train de se radicaliser, et cela pourra même accentuer son ressenti", estime-t-elle.

Les magistrats disposent de plusieurs outils pour mener ces évaluations. "On va d'abord poser des questions au mineur : 'est-ce-qu'il sait ce qu'est Daech', 'Pourquoi il dit être d'accord avec eux'... Parfois, il suffit de quelques questions pour voir que le mineur est à court d'argument", reprend Sophie Legrand. Des mesures de suivi mené par un psychologue, un sociologue, peuvent ensuite être ordonnées pour étudier le mineur et sa famille. Ces professionnels vont se réunir sur plusieurs mois pour se faire un avis. "Et puis il y a aussi le travail des services de renseignement, qui vont voir si un jeune est en contact avec d'autres personnes potentiellement radicalisées", poursuit la juge.

En quoi consistent les mesures éducatives ?

En fonction de l'âge, des antécédents, ou du "degré d'ancrage dans l'idéologie terroriste", le juge pourra prendre plusieurs mesures éducatives. "La plus commune est celle du rappel à la loi", reprend Sophie Legrand. Le magistrat peut également demander à ce que la protection judiciaire de la jeunesse fasse une action avec le mineur autour du délit d'apologie du terrorisme. "Ça peut être de faire voir un film, faire lire quelque chose, parler du sujet avec le jeune, rédiger un écrit...", explique-t-elle. Le but à ce stade est "d'arriver à modifier le comportement d'un mineur qui ne respecte pas la loi", résume sur Europe 1 Marie-Pierre Hourcade, présidente de l'association française des magistrats de la jeunesse et de la famille. 

Par exemple, dans le cas des mineurs interpellés à Alberville, le parquet envisage de faire un rappel à la loi auprès des enfants, de leur demander de rédiger une lettre d'excuse et de faire un suivi éducatif, précise Le ParisienD'autres mesures peuvent être prises si les faits sont considérés comme en lien avec l'environnement du mineur. "On peut ordonner un placement pour couper le jeune de son entourage", poursuit Sophie Legrand. 

Y a-t-il eu des précédents ?

En 2015, après l'attentat contre Charlie Hebdo, un enfant de 8 ans a été entendu par la police à Nice après qu'il eut refusé de faire une minute de silence en hommage aux victimes et affirmé être "du côté des terroristes". A Nantes, en janvier 2015, une mineure de 14 ans a également été mise en examen pour "apologie du terrorisme" après avoir déclaré "On est les sœurs Kouachi, on va sortir les kalachnikovs", lors d'un contrôle dans le tramway.

Après chaque attentat, depuis 2015, "les parquets reçoivent des directives de la part du ministère de la Justice demandant d'être fermes et de sévir", assure Sophie Legrand. Au lendemain de la mort de Samuel Paty, le ministre de la Justice Eric Dupont-Moretti a demandé aux procureurs généraux la plus grande fermeté dans le traitement des comportements incitant à la haine ou appelant à commettre des crimes ou délit. "Avant, quand une personne criait 'Allah akbar', on ne remontait pas forcément parce que cela dépendait du contexte. Désormais, on remonte tout. Il y a une attention accrue, même face à des choses qui ne sont pas forcément caractérisées", relate un parquet francilien auprès de l'AFP.

"La demande de fermeté, c'est la réponse la plus simple. Après, il faut se poser la question de savoir si c'est la plus adaptée", nuance Sophie Legrand. Dans le cas des mineurs, "la réponse pénale seule risque de ne pas être suffisante. Il vaut avoir une réponse plus complexe et se demander pourquoi des jeunes Français insérés tiennent de tels propos. Quelque part, c'est un échec de notre société qu'il faut questionner", estime la magistrate. 

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