"J’étais fermé au dialogue" : au procès de l'assassinat de Samuel Paty, les remords d'un ancien collègue qui s'était "désolidarisé"

Plusieurs anciens collègues de Samuel Paty ont été entendus mercredi par la cour d’assises spéciale de Paris et notamment un ex-collègue qui n'avait pas soutenu, avant l'attentat, le professeur menacé par des islamistes.
Article rédigé par Margaux Stive
Radio France
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Temps de lecture : 4min
La cour d’assises spéciale de Paris où se tient le procès de l'assassinat de Samuel Paty, le 4 novembre 2024. (ARNAUD DUMONTIER / MAXPPP)

Ils ont tous vécu aux premières loges la polémique sur le cours de Samuel Paty sur la liberté d'expression. Le point de départ de l'engrenage qui va mener jusqu'à l'attentat contre le professeur du collège du Bois-d'Aulne à Conflans-Sainte-Honorine (Yvelines). Tous ont raconté devant la cour d’assises spéciale de Paris, les débats qui agitaient à l'époque la salle des professeurs. D'un côté, ceux qui ont accompagné et soutenu leur collègue. De l'autre, deux professeurs qui s'étaient à l'époque "désolidarisés" de Samuel Paty et notamment un professeur d'histoire particulièrement marqué.

Il arrive à la barre en se tordant les mains presque à reculons et l'assume à la barre. S'il est là mercredi, c'est parce qu'il n'a pas le choix. Il n'a jamais parlé de l'affaire depuis l'attentat et il compte bien ne jamais en reparler une fois parti d'ici. La dernière fois que cet enseignant s'est exprimé sur cette histoire c'était le 10 octobre 2020, dans un mail envoyé à ses collègues six jours avant l'attentat. Dans ce message, dans une boucle dédiée à la polémique qui montait alors déjà sur le cours de Samuel Paty, le professeur d'histoire affirme qu'il "ne soutien[t] pas [son] collègue". "Je refuse, écrit-il dans ce mail, de me rendre complice par mon silence, notre collègue a desservi la cause de laïcité et a commis une discrimination."

"J'aurais dû parler avec Samuel"

Devant la cour, ce professeur regrette aujourd'hui la forme de ce message : "Si Samuel était là, je lui demanderais pardon d'avoir été aussi dur." Il dit aujourd'hui regretter notamment le mot "désolidariser". "Mais sur le fond, je n'ai pas changé de position", affirme l'enseignant quatre ans plus tard. "Pour moi, proposer aux élèves de sortir du cours, c'était une erreur. J'aurais dû parler avec Samuel mais j'étais fermé au dialogue avec tout le monde", poursuit l'enseignant.

Le lendemain de ce mail, il apprend que Samuel Paty est menacé physiquement par des islamistes locaux. "À partir de là je me suis tu, j'évitais la salle des profs pour ne pas alimenter la machine à rumeurs", raconte le professeur qui dit être victime depuis quatre ans de suspicions. "Une collègue m'a dit plus tard que j'avais armé le bras du terroriste", raconte-t-il tête baissée avant de quitter la salle sans un regard pour ses anciens collègues qui font bloc sur le banc des parties civiles.

"Le contenu du cours, ce n'est plus le sujet"

Quatre ans après, cette profonde fracture entre les professeurs du collège du Bois-d'Aulne semble encore très marquée. Un autre enseignant, qui a défendu Samuel Paty, a ensuite été entendu. Il donnait cours dans la salle voisine de celle de Samuel Paty. Le 5 octobre, son collègue vient le voir pour lui demander conseil sur ce fameux cours. "C'était assez inhabituel, il m'a parlé des caricatures et il m'a expliqué ne pas comprendre que certains élèves réagissent mal", raconte cet enseignant.

Devant la cour, il le reconnaît, lui n'utilisait pas ces images avec ses élèves. Mais avec d'autres collègues, il fait très vite le choix de soutenir Samuel Paty. "Dès que l'on a su qu'il était menacé physiquement, le contenu du cours ce n'était plus le sujet", tranche le professeur, comme un tacle à celui qui l'a précédé à la barre.

Avec d'autres collègues, il décide alors de s'organiser pour raccompagner Samuel Paty après les cours. "À ce moment-là, la peur commence à s'installer dans le collège", raconte-t-il. "Des collègues femmes ne mettaient plus de talons mais des baskets pour pouvoir courir au cas où il se passerait quelque chose. D'autres fermaient à clé la porte de leur classe au moindre bruit suspect", poursuit cet enseignant qui a changé de métier.

Un mois après l'attentat, il entend un élève menacer une autre de "lui faire une Samuel Paty". "Je n'étais plus sûr de pouvoir contrôler mes mots devant les élèves et je ne peux plus être prof si je ne suis pas capable de me contrôler en toutes circonstances", conclut-il.

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