Attentat du marché de Noël de Strasbourg : quels sont les enjeux du procès qui s'ouvre jeudi, plus de cinq ans après l'attaque ?

Article rédigé par Clara Lainé
France Télévisions
Publié
Temps de lecture : 8min
Un policier barre une rue de Strasbourg après un attentat terroriste, le 11 décembre 2018. (SEBASTIEN BOZON / AFP)
La qualification terroriste n'a été retenue que pour un seul des quatre accusés qui vont comparaître. L'assaillant, qui avait fait cinq morts et onze blessés, avait été tué deux jours après les faits.

Le procès d'un acte terroriste s'ouvre, une nouvelle fois, sans son auteur. Plus de cinq ans après l'attentat perpétré par Chérif Chekatt à Strasbourg (Bas-Rhin), quatre hommes comparaissent devant la cour d'assises spécialement composée, à Paris, à partir du jeudi 29 février et jusqu'au 5 avril. Cinq personnes avaient été tuées, et onze blessées. L'assaillant ne sera pas dans le box des accusés : la police l'a abattu deux jours après les faits.

Le 11 décembre 2018, en début de soirée, il était entré dans le centre historique de la ville alsacienne, où se tenait le plus grand marché de Noël de France. Armé d'un revolver et d'un couteau, ce délinquant multirécidiviste de 29 ans, fiché S pour radicalisation islamiste, avait ouvert le feu à plusieurs reprises et poignardé des passants. Parvenant à s'échapper en taxi, après avoir été blessé par des militaires, Chérif Chekatt avait été retrouvé et tué par la police à l'issue de 48 heures de traque. Une vidéo d'allégeance au groupe jihadiste Etat islamique avait été retrouvée dans ses effets personnels.

Au terme de quatre années d'enquête, les magistrats instructeurs ont ordonné le renvoi de cinq personnes soupçonnées d'avoir aidé Chérif Chekatt à concrétiser son projet d'attentat, dont quatre seront jugées à partir de jeudi. En parallèle, des dizaines de parties civiles se sont constituées. Franceinfo résume les enjeux de ce procès d'envergure.

Quatre accusés sur cinq attendus dans le box

Parmi les cinq hommes renvoyés devant la cour d'assises, Audrey Mondjehi est le seul poursuivi pour des actes à caractère terroriste. Il est jugé pour "complicité d'assassinats et de tentatives [d'assassinats] en relation avec une entreprise terroriste". Selon les magistrats instructeurs, il a pris part à tous les stades de la préparation de l'attentat. Ils affirment que ce Strasbourgeois de 43 ans, de nationalité ivoirienne, était en contact très régulier avec Chérif Chekatt durant les mois qui ont précédé la tuerie. Il est notamment suspecté d'avoir aidé le terroriste à se procurer les armes utilisées le 11 décembre 2018.

A ses côtés, les frères Frédéric et Stéphane Bodein, ainsi que Christian Hoffmann. Ils sont tous trois accusés d'"association de malfaiteurs en vue de la préparation d'un ou plusieurs crimes". L'enquête n'a pas pu établir s'ils avaient connaissance de la radicalisation de Chérif Chekatt et de son projet meurtrier. Christian Hoffmann est soupçonné d'avoir vendu deux armes (dont une factice) au terroriste. Les frères Bodein, eux, sont avant tout poursuivis pour leurs liens avec le dernier mis en cause, leur oncle Albert Bodein, qui ne sera pas présent dans le box des accusés.

Lui aussi est pourtant mis en examen, soupçonné d'avoir fourni un revolver de modèle 1892 à Audrey Mondjehi, l'une des deux armes dont s'est servi Chérif Chekatt lors de l'attaque. Mais la présidente de la cour d'assises a considéré l'état de santé de cet homme de 83 ans incompatible avec une audience, s'appuyant sur une expertise médicale qui pointe un risque élevé de malaise. La magistrate a ordonné la disjonction de la procédure, ce qui signifie que le cas d'Albert Bodein sera examiné au cours d'une session ultérieure. Une déception pour les parties civiles, même si Claude Lienhard, avocat d'une trentaine d'entre elles, reconnaît que "c'était la moins mauvaise décision".

Les deux autres membres de la famille Bodein, en revanche, seront bien jugés à partir de jeudi. La justice reproche à Frédéric d'avoir permis la rencontre entre son oncle et Chérif Chekatt, facilitant ainsi la vente du revolver. Stéphane Bodein est lui soupçonné d'avoir dissimulé des informations. "Mon client attend de ce procès que les responsabilités soient bien déterminées", réagit son avocate, Amandine Sbidian, auprès de franceinfo.

Une vingtaine de parties civiles entendues

Lors de son échappée meurtrière d'une dizaine de minutes, Chérif Chekatt a assassiné cinq personnes, manifestement frappées au hasard : un journaliste italien de 29 ans, un musicien strasbourgeois de 36 ans, une touriste thaïlandaise de 45 ans, un retraité de 61 ans et un garagiste de 45 ans, tué devant sa femme et ses trois enfants. L'assaillant a également blessé onze personnes, à des degrés différents. Outre ces victimes atteintes physiquement, il en existe des dizaines d'autres, traumatisées psychologiquement : "Officiellement, au 12 décembre 2023, il y avait une soixantaine de parties civiles constituées, déclarées recevables", détaille Maître Emmanuel Spano, avocat d'une dizaine d'entre elles.

Certaines n'assisteront pas à l'audience, parce que "c'est trop" et qu'elles veulent "passer l'éponge". Ce n'est pas le cas de Mostafa Salhane, qui a créé une association d'aide aux victimes après avoir réchappé à l'attentat. Cet ex-chauffeur de taxi, braqué et pris en otage par Chérif Chekatt, sera présent tout au long du procès, et attend avec impatience les témoignages des parties civiles : "Ce sont des vies qui ont volé en éclats. Les divorces, les tentatives de suicide, les gens qui ont perdu leurs vies professionnelles, ils vont pouvoir le dire." Selon l'avocat Claude Lienhard, "au moins une vingtaine de victimes seront entendues."

"Si je veux me reconstruire, je dois assister à l'intégralité de ce procès. Il n'y a pas d'autres possibilités."

Mostafa Salhane, rescapé de l'attentat

à franceinfo

Au-delà de la possibilité de s'exprimer, les victimes attendent surtout des réponses, notamment au sujet de la préparation de l'attentat. "Elles ont un besoin de compréhension sur ce qui s'est passé autour de l'entourage de Chérif Chekatt", reconnaît Claude Lienhard. Le père et le frère de l'assaillant devraient notamment être auditionnés.

Mostafa Salhane suivra aussi attentivement les témoignages des enquêteurs. Il veut savoir si l'attentat aurait pu être évité. Il admet "attendre beaucoup" de ces cinq semaines, et décortique régulièrement le dossier "afin de poser les bonnes questions". D'une voix assurée, il ajoute : "Le procès, c'est une étape dans la reconstruction, dans la vérité, dans la réparation."

Un procès dépaysé à Paris

Le procès de cet attentat qui a meurtri Strasbourg se déroulera loin du Bas-Rhin. La nature terroriste des faits requiert la compétence de la cour d'assises spéciale, où siègent non pas des jurés, mais des magistrats professionnels, et celle-ci est située à Paris. Un choix qui n'a pas fait consensus, selon Arnaud Friederich, représentant d'une dizaine de parties civiles : "Quelques-unes le déplorent, parce que [c'est une source] de complication évidente, que ce soit en termes d'accessibilité, de logement ou de transport". Il souligne cependant que "les services de la justice spécialisée en matière de terrorisme font vraiment tout pour faciliter l'avance de frais aux parties civiles".

"Mes clients ont globalement compris la nécessité de la tenue du procès à Paris, notamment en termes de sécurité."

Arnaud Friederich, avocat d'une dizaine de parties civiles

à franceinfo

Pour Emmanuel Spano, ce choix semble logique : "On ne peut pas tout avoir, l'importance, les grands moyens, la compétence des magistrats de la cour spécialisée, un dispositif sécuritaire au top, et que le procès se tienne à Strasbourg." Des arguments que Mostafa Salhane, l'ex-chauffeur de taxi pris en otage par Chérif Chekatt, comprend lui aussi : "Eloigner, ça permet de faire un procès plus serein. Et puis, Strasbourg vient se positionner après [les procès des attentats de] Paris et Nice... Donc, maintenant, ils sont rodés." Une différence demeure néanmoins : contrairement à d'autres procès d'envergure, celui de l'attentat de Strasbourg ne sera pas retransmis pour les personnes ne pouvant pas se rendre à l'audience, ont appris les avocats des parties civiles lors de la réunion de préparation du procès, le 18 décembre. "Trop coûteux", leur a-t-on expliqué selon Emmanuel Spano.

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