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"J'étais abattu quand je l'ai appris" : quand des responsables de clubs sportifs sont confrontés à la radicalisation

Un colloque est organisé jeudi par la région Île-de-France pour sécuriser le mouvement sportif face au risque de radicalisation. Les clubs et associations sportives arrivent en tête des lieux où l'on constate des tentatives d'emprise. 

Article rédigé par Cécilia Arbona
Radio France
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 7min
L'équipe seniors de l'US Lagny-Messagers. (CECILIA ARBONA / RADIO FRANCE)

"Sécuriser le mouvement sportif face au risque de radicalisation" : c'est le thème d'un colloque organisé jeudi 30 novembre par la région Île-de-France. Elle tire la sonnette d'alarme sur ce phénomène inquiétant. En effet, les clubs et les associations du secteur sportif arrivent en tête des lieux dans lesquels on constate des tentatives d'emprise, de dérives et de basculements. La commune de Lagny-sur-Marne, située à 45 kilomètres à l'est de Paris en Seine-et-Marne, y est confrontée puisque le profil des deux entraîneurs de l'équipe de football de départementale 2 pose problème. 

Ils ramènent le calme dans les tribunes

En 2016, quand l'équipe seniors de l'US Lagny-Messagers propose aux dirigeants du club de recruter deux anciens du quartier pour entraîner le groupe des adultes, le président du club accepte sans hésiter. "On avait quelques soucis sur le terrain avec les spectateurs qui venaient systématiquement insulter ou embêter les arbitres, même les joueurs y compris moi parfois", raconte Manuel Da Silva. Les deux hommes, qui ont joué au club quand ils étaient petits, reprennent donc une licence de joueurs. L'effet est immédiat :

Ils ont fait le ménage dans les tribunes et la paix autour du terrain est revenue. Depuis l'année dernière, tout se passe bien.

Manuel Da Silva, président de l'US Lagny-Messagers

à franceinfo

Les arbitres, qui hésitaient à venir ou qui n'étaient pas rassurés quand ils venaient, encadrent désormais les matchs en tout sérénité. "Il ne se passe plus rien et c'est tant mieux, je suis content de ça. Pour le club, c'était tout bénéfice !", reconnaît Manuel Da Silva. 

Les entraîneurs prient sur le terrain

Au moment où Manuel Da Silva recrute ces deux coachs, il ignore qu'ils sont connus des services de police et suspectés de radicalisation. Aux alentours du 25 octobre, il reçoit un appel du président du district. "Il y a peut-être un souci avec ton équipe de seniors parce qu'ils auraient prié sur un terrain, à l'extérieur", lui explique l'homme. "J'étais abattu quand je l'ai appris", se souvient le président de l'US Lagny-Messagers. Celui qui fait partie du club depuis plus de 30 ans s'inquiète pour la réputation de sa formation sportive.

Je ne veux pas qu'on fasse d'amalgames parce que j'aime ce club.

Manuel Da Silva, président de l'US Lagny-Messagers

à franceinfo

Il estime n'avoir eu aucun moyen de savoir que les deux hommes étaient suspectés de radicalisation. "Je demande une licence au niveau de la fédération, on envoie tous les papiers qu'il faut", justifie-t-il. Manuel Da Silva espère que ce cas particulier va faire évoluer les pratiques : "Ça pourrait peut-être faire jurisprudence. S'il y a des choses à reprocher, effectivement, que l'Etat se mette en relation avec la fédération, les licences ne sont pas éditées et sont bloquées. À partir de là, en tant que bénévoles dans les clubs, ça sera beaucoup plus simple pour nous."

La Ville n'était pas informée de cette radicalisation

Les deux encadrants de l'équipe seniors auraient été en contact avec l'ancien imam de la mosquée de Lagny-sur-Marne, Mohamed Hamoumi. Depuis la fermeture de cette mosquée par l'Etat, en décembre 2015, il est en fuite. Cet homme est soupçonné d'avoir participé à une filière de recrutements pour le jihad en Syrie. "Ces deux entraîneurs étaient fichés S et faisaient l'objet de sanctions administratives voire judiciaires", détaille le maire UDI de la ville de 20 000 habitants, Jean-Paul Michel.

Il n'a pas été très étonné quand il a été informé des suspicions qui pesaient sur les deux hommes. "Nous n'avons pas été si surpris que cela en ce sens qu'il y a une histoire de radicalisation sur Lagny mais en tant que Ville nous ne sommes pas systématiquement informés de ça." Il estime que le système ne permet pas d'entrevoir ce genre de risques : "Il n'y a pas de méthodologie qui nous permette de détecter que certains radicaux sont déjà infiltrés dans des clubs sportifs."

Clubs, mosquées, prison : lieux de radicalisation

Si les clubs et les municipalités sont démunis face à la radicalisation dans le monde sportif, un ancien gendarme alerte les pouvoirs publics sur ce phénomène souterrain. "Le sport et les associations sont placés, au même titre que la prison et les lieux de culte, dans les risques de radicalisation", explique ainsi Médéric Chapitaux, ancien directeur technique national de la fédération française de kick-boxing.

Médéric Chapitaux, ancien directeur technique national de la Fédération française de kick boxing. Il sillonne la France pour donner des conférences sur la radicalisation dans le sport. (CECILIA ARBONA / RADIOFRANCE)

Il sillonne la France pour donner des conférences sur ce thème et alerter sur ce qu'il estime être une forme de déni. "Le sport est un lieu d'intégration et on a des réussites d'intégration fabuleuses par le sport mais ça ne doit pas masquer qu'aujourd'hui le sport est attaqué par cette menace sociétale, représentée par la radicalisation. Il est nécessaire, pour préserver les valeurs du sport, de prendre conscience de ce phénomène et accompagner les forces de l'ordre dans leur mission de sécurisation du pays."

Apporter un soutien aux structures sportives

Salles de boxe, clubs d'arts martiaux, stands de tir, futsal, judo... Aucune discipline ne serait à l'abri selon Patrick Karam, vice-président de la région Île-de-France et inspecteur de la Jeunesse et des Sports. "Si tous les radicalisés ne sont pas sportifs, tous ceux qui sont en revanche passés à l'acte, quasiment tous ceux qui ont commis des attentats, étaient dans un club sportif." Selon lui, cela signifie que les pouvoirs publics ont les moyens de faire de la veille et éviter le basculement en cas de prémices de radicalisation.

Notre sujet, ce n'est pas de jouer les petits délateurs, c'est de faire en sorte que les clubs sportifs, qui ont un véritable poids et une mission éducative, puissent, sur cette question l'assumer.

Patrick Karam, inspecteur de la jeunesse et des sports

à franceinfo

Il estime qu'il ne faut pas abandonner les clubs à leur sort. "Aujourd'hui, ils ne savent pas gérer des phénomènes déviants pour prendre en main des personnes qui posent un problème. Si c'est un mineur, ça se fait en lien avec la famille et le club. Si c'est un éducateur, la question est plus grave." Une véritable réflexion est donc essentielle "pour éviter que d'autres gamins ne soient contaminés parce qu'un éducateur, c'est Dieu le Père pour un gamin".

Il s'agit donc pour lui de "faire en sorte d'apporter des réponses". Pour cela, Patrick Karam veut former des référents dans les 19 300 clubs franciliens. Ils pourront être saisis par les dirigeants, les entraineurs et les licenciés, en cas de comportement préoccupant dans un vestiaire, sur un ring ou dans un stade.

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