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Le grand blues des surveillants de prison face aux détenus radicalisés

Ils ont manifesté lundi matin à la prison d'Osny (Val-d'Oise), deux semaines après l'agression de deux de leurs collègues dans la toute nouvelle unité de prévention de la radicalisation.

Article rédigé par Catherine Fournier
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 13min
Des détenus marchent dans la cour de la prison de Fleury-Merogis (Essonne), le 29 octobre 2015. (ERIC FEFERBERG / AFP)

Il est un peu plus de 20h30, mercredi 14 septembre, dans le bâtiment D3 de la prison de Fleury-Mérogis (Essonne). Une équipe du personnel pénitentiaire débarque à l'improviste dans plusieurs cellules de l'une des deux unités dédiées de la maison d'arrêt, qui accueille une quinzaine de détenus radicalisés ou en voie de radicalisation. Bilan de cette fouille impromptue : la saisie de plusieurs téléphones portables, pourtant interdits. Quelques jours plus tôt, le ministre de la Justice, Jean-Jacques Urvoas, avait annoncé la multiplication des "fouilles sectorielles" dans les Upra, le nouveau nom des cinq Unités de prévention de la radicalisation. 

Deux semaines après l'agression de deux surveillants dans l'unité d'Osny (Val-d'Oise), le gouvernement rectifie le tir sur le régime de détention de ces individus. Déplacements individuels encadrés, changements de cellules réguliers, effets personnels limités... L'isolement et la dispersion semblent désormais privilégiés face au regroupement, initié fin 2014 à la prison de Fresnes (Val-de-Marne). Objectif : répondre à l'inquiétude grandissante du personnel pénitentiaire, qui a manifesté lundi 19 septembre pour dénoncer l'échec de la prise en charge des personnes incarcérées dans des affaires de terrorisme lié à l’islam radical. 

Des matons devenus cibles

"On savait qu’on était visés depuis l’assassinat du couple de policiers. Mais depuis l'agression d'Osny, on vient travailler la boule au ventre, témoigne Cédric Boyer, responsable FO à la prison de Fresnes. On ne sait jamais si on va rentrer le soir." Après son attentat à Magnanville (Yvelines) en juin, le terroriste Larossi Abballa s'était filmé en appelant à tuer, entre autres, des surveillants de prison. A Osny, le détenu Bilal Taghi est fortement soupçonné d'avoir répondu à cet appel en poignardant à deux reprises un des surveillants de l'unité dédiée. La lame de son arme artisanale est passée à quelques millimètres de la carotide et d'un poumon. "Le collègue va rester sur le carreau, il est out", confie Gaël Fournier, moniteur de sport dans l'Upra de cette prison et représentant local Ufap-Unsa. 

Il a fallu que deux collègues soient blessés pour que l'administration réagisse.

Gaël Fournier

à franceinfo

A Osny, des mesures de sécurité ont été prises dans la foulée. Les repas sont servis avec des couverts en plastique, les miroirs ont été enlevés des cellules ainsi que les battants avec charnières des WC. Quid des autres unités ? A Fresnes, "un pic de 10-15 cm fabriqué avec un ustensile de cuisine a été retrouvé dans une cellule" après les évènements d'Osny, indique Cédric Boyer. Sans parler des "menaces de mort et de représailles" quotidiennes dont font l'objet les surveillants. 

Selon Jean-François Forget, secrétaire général de l'Ufap-Unsa, "neuf projets de tentatives d'assassinats liés à la mouvance terroriste ont été déjoués dans des établissements, dans le Nord, en Normandie, en Lorraine ou en Paca". Parmi ceux-ci figurent, outre Osny, la maison d'arrêt de Villeneuve-lès-Maguelone (Hérault), où deux détenus ont été mis en examen. Le parquet antiterroriste n'a toutefois pas été saisi de l'enquête, l'inspiration radicale n'ayant pas été établie.

Un phénomène nouveau et complexe

Le personnel pénitentiaire s'avoue démuni face au phénomène de la radicalisation en prison. "La population pénale a changé. Avant, il y avait le bandit, respectueux d'un certain code d'honneur. Puis on a accueilli une vague de délinquants issus des cités, plus virulents. Et là, on a un nouveau public avec ces détenus radicalisés", explique Thibault Capelle, délégué SLP-FO à Fleury-Mérogis. Les surveillants affectés dans les unités ont reçu une formation, d'une durée d'un mois la plupart du temps. Mais la pratique de la "taqiya", cette dissimulation des intentions jihadistes, rend la détection du danger difficile.

On est arrivé à un stade où tout le monde est dangereux. Ils vous font miroiter qu’ils sont réinsérables.

Cédric Boyer

à franceinfo

Et les syndicats de pointer que l'agression la plus violente a justement eu lieu dans l'unité d'Osny, où sont redirigés les détenus les plus ouverts à un travail de groupe. "Il y a eu une erreur sur le cas de Bilal Taghi", reconnaît une source pénitentiaire. Ce détenu, "repéré comme très instable, influençable et impulsif", a été affecté dans cette Upra sans passer par la phase d'évaluation (à Fresnes ou Fleury). Mais "il ne s'agit pas forcément de dissimulation, ajoute cette source. Bilal Taghi était plutôt réceptif à certains moments à la prise en charge. C'est le profil typique d'un individu constamment en balance, comme dans un processus d'addiction, avec des rechutes."

A l'Administration pénitentiaire (AP), on met en avant le manque de recul sur l'efficacité de ces unités, lancées en janvier : "La prise en charge prend du temps. A Osny, on a vu des changements intervenir au bout d'un an pour ceux qui sont passés les premiers en 2015 [dans le cadre de l'expérimentation]. C'est un travail de longue haleine."

La surpopulation au cœur du problème

En attendant, les surveillants estiment ne pas avoir les moyens nécessaires pour travailler dans de bonnes conditions. "Il faut répondre à l’opinion publique, donc on crée des unités sans moyens, sans effectifs. Un pansement sur une jambe de bois", déplore Thibault Capelle. Si les agents affectés dans ces unités font partie des plus chevronnés, le manque d'effectifs dans le personnel pénitentiaire fait qu'ils sont régulièrement remplacés par des collègues non formés, notamment la nuit.

A Fresnes, l'Upra compte un seul surveillant, chargé de gérer d'autres détenus de droit commun au même étage. Les syndicats en réclament deux, ainsi que la présence d'un gradé. A Osny, ils n'étaient que cinq, sans gradé, pour surveiller 18 détenus. Ils ont obtenu trois agents de plus. A Lille-Annoeullin (Nord), où les conditions de sécurité sont davantage respectées en raison de la modernité du bâtiment et du profil plus dur des détenus, "les 21 surveillants volontaires sont très déçus", selon David Lacroix, délégué FO.

On leur a dit : 'Vous êtes le dernier rempart contre la radicalisation' mais ils n'ont aucune contrepartie au niveau des horaires ou du salaire.

David Lacroix

à franceinfo

Le problème de la radicalisation islamiste vient s'imbriquer dans celui de la surpopulation carcérale. Un nouveau record a été battu cet été avec 69 375 détenus pour 58 311 places. Dans les trois prisons franciliennes qui accueillent quatre des cinq unités, le taux d'occupation avoisine les 200%. Or, la majorité des écroués pour incrimination terroriste le sont dans ces établissements, du fait de la présence du pôle judiciaire antiterroriste à Paris. L'expérience du regroupement des détenus radicalisées est "subie", reconnaît une source pénitentiaire. Elle permet, dans ce contexte de surpopulation, de mieux surveiller les intéressés et vise à "éviter le prosélytisme et à protéger les plus faibles en détention ordinaire".  

Une étanchéité illusoire

Sauf que l'étanchéité des unités en question est illusoire, à l'exception de Lille-Annœullin, où l'Upra se situe dans un bâtiment à part. Même si les détenus radicalisés sont regroupés pour leurs activités ou dans leur cour de promenade, le phénomène de contagion ne peut être tout à fait enrayé. "La nuit, les fenêtres s’ouvrent et ça communique. On ne va pas les calfeutrer", témoigne Thibault Capelle. "Les portables rentrent dans les cellules via les parloirs et des complicités internes. Les familles peuvent aussi échanger des informations dans la file d'attente", poursuit-il.

Une prison, en termes de communication, n’est pas hermétique.

Thibault Capelle

à franceinfo

Non seulement les détenus peuvent toujours communiquer avec le reste de la prison mais leur regroupement fait craindre aux surveillants un effet d'émulation entre eux. "Il faut les désarmer, les isoler et les couper de leur réseau, sinon on va en faire des bêtes féroces", prévient Gaël Fournier.

Un grand nombre de détenus écroués pour des affaires de terrorisme sont tout de même placés à l'isolement, oppose l'Administration pénitentiaire sans fournir de chiffres. Beaucoup sont aussi en détention classique. Dans les 188 prisons françaises, 1 400 détenus sont repérés comme étant des radicaux et 325 sont incarcérés pour des faits de terrorisme. Parmi ces 325 personnes, 89 étaient placées dans l'une des cinq unités, selon les chiffres du ministre de la Justice fournis le 11 septembre. Depuis, quatre détenus de l'unité d'Osny ont été dispersés en raison de menaces à l'encontre du personnel.

Quid des femmes et des mineurs ? 

En détention normale, "on finit par mettre ensemble des retraits de permis et d'autres qui reviennent de Syrie, (...) des fumeurs avec des non-fumeurs", souligne un représentant du syndicat pénitentiaire Ufap-Unsa de Fleury. Face à l'explosion de la population pénale et du nombre d'écroués pour terrorisme, "il faut s'interroger. Est-ce que ça vaut le coup de continuer à incarcérer pour une infraction routière ?" s'interroge une source pénitentiaire.

Tous les experts s'accordent sur ce point : le phénomène ne va pas aller en diminuant. "Notre pays va être confronté à un enjeu important dans les mois à venir : le retour de centaines d’individus ayant séjourné plus ou moins longtemps dans la zone irako-syrienne", s'alarme dans une tribune le député socialiste Joaquim Pueyo, ancien directeur de prison et président d’un groupe d'étude parlementaire sur les prisons. 

Sans préparation, nous courons à la catastrophe.

Joaquim Pueyo

dans une tribune

Loin de se limiter aux Upra, réservées aux personnes majeures de sexe masculin, le problème se pose également dans les prisons pour femmes et les établissements pour mineurs. "Ce public n’est pas pris en compte, pourtant il est tout aussi dangereux", souligne Thibault Capelle. L'arrivée d'une des trois femmes arrêtées dans l'enquête sur les bonbonnes de gaz dans la prison pour femmes de Fleury-Mérogis a soulevé des questions. "Là-bas aussi, on trouve des tags sur les murs à la gloire de Daech et des armes artisanales dans les cellules", indique le syndicaliste.

"Un Guantanamo à la française ?"

Face à ces difficultés, les syndicats demandent quasi unanimement la suppression des unités dédiées et la création d'établissements sécurisés réservés à ce type de détenus. Pour le secrétaire général de FO Pénitentiaire, Emmanuel Gauthrin, "il faut revenir aux quartiers de haute sécurité", supprimés en 1982. "Le personnel a déjà du mal à tenir le rapport de force dans des maisons centrales avec des longues peines. Alors dans une prison remplie de jihadistes..." ironise un membre des services pénitentiaires.

Cette hypothèse d'établissements dédiés est rejetée pour l'instant par l'exécutif, qui craint des "poudrières". Un avis partagé par certains, au sein même de Force ouvrière. "Un Guantanamo à la française ? La construction prendra combien de temps ? Et pendant ce temps-là, on fait quoi ? Si on éclatait tous les détenus avec de la formation et des moyens, ce serait mieux pour le renseignement pénitentiaire", estime Thibault Capelle.

C'est l'option qui semble privilégiée pour le moment au sein de la hiérarchie pénitentiaire. "Le mieux serait de créer de petites unités, disséminées dans un grand nombre d'établissements et réparties sur toute la France", y indique-t-on. Le Premier ministre, Manuel Valls, a estimé à "10 000" le nombre de places à créer en dix ans pour permettre la création de cellules individuelles et d'autres unités dédiées. Un chiffre qui pourrait être retenu dans les annonces qui doivent être faites, mardi 20 septembre, par le ministre de la Justice.

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