Policiers tués à Magnanville : "Le terrorisme jihadiste ne disparaîtra pas brutalement, les attaques vont continuer"
Après l'assassinat d'un couple de policiers dans les Yvelines, revendiqué par l'Etat islamique, un ancien patron de la lutte anti-terroriste livre son analyse.
Un couple de policiers a été assassiné par un homme qui a revendiqué son action au nom du groupe Etat islamique, dans la soirée du lundi 13 juin, à Magnanville (Yvelines). Le tueur, Larossi Abballa, a été abattu par le Raid. Ce Français de 25 ans était connu des services de renseignement pour des faits de radicalisation.
Francetv info a demandé à Louis Caprioli, ancien patron de la lutte anti-terroriste, d'analyser ce nouvel attentat.
Francetv info : Faut-il voir dans le double assassinat de Magnanville le signe d’un changement de stratégie du groupe Etat islamique, qui enverrait des soldats solitaires parce qu’il serait affaibli en Irak, en Syrie ou en Libye?
Louis Caprioli : Si les jihadistes n’avaient pas frappé chez nous depuis un certain temps, c’est parce que le démantèlement du réseau belge et surtout l'arrestation de Reda Kriket ont causé un énorme préjudice chez les terroristes. Reda Kriket, arrêté à Boulogne-Billancourt (Hauts-de-Seine) au mois de mars, disposait à son domicile de 30 kilos d’explosifs, de cinq kalachnikovs et d'armes de poing. Son projet terroriste était très probablement de s’en prendre à l'Euro 2016. Nous avions donc deux réseaux, l’un bien organisé en Belgique autour d'Abdelhamid Abaaoud, et l’autre en cours de structuration en France, et ils ont été stoppés.
Et vous comprenez bien que Daesh ne peut pas comme cela "inventer" des réseaux nouveaux les uns après les autres. Cela demande un travail de précaution extrême car les jihadistes se savent plus ou moins surveillés. Malgré tout, Abou Mohammed Al-Adnani, le porte-parole de l’organisation Etat islamique (EI), a lancé un appel afin de "frapper tout le monde par tous les moyens", et surtout pendant la période du ramadan. On est toujours dans cette phase, et toujours dans un mode opératoire qui aurait pu se produire à n’importe quel moment. D’ailleurs, nous avons déjà eu des attaques à l’arme blanche à Toulon ou à Nice. Pour moi, nous sommes face à une continuité des opérations. Je ne crois pas que les jihadistes aient changé de stratégie parce qu’ils seraient affaiblis.
Le recul du groupe Etat islamique en Irak, en Syrie ou en Libye n’aurait donc pas de conséquences sur les opérations jihadistes conduites en France ou ailleurs ?
C’est vrai qu’ils prennent des coups à Mossoul ou à Syrte, mais la stratégie de l'EI n’a pas varié. L'organisation l’a dit par l’entremise d’Al-Adnani, son porte-parole : "On va peut-être perdre des villes sur le terrain des combats, mais on continue la lutte." Alors, disons qu’avec Larossi Abballa, on "réveille" les gens qui ne peuvent pas venir sur les zones de combats du Proche-Orient, puis quand vient le moment de rédiger le texte de revendication, l'EI se livre à une certaine subtilité pour parler de ce type d’individus, il utilise ou pas le terme de "combattants"… Dans le cas présent [l'assassinat du couple de policiers à Magnanville], l'EI parle de "soldat" dans son texte de revendication, le terme de "soldat" signifiant que Larossi Abballa n’a peut-être pas été dans les zones de combats. C’est un peu comme Omar Mateen, le tueur d’Orlando. Son seul déplacement connu est un séjour en Arabie saoudite pour faire le hadj [pèlerinage dans les lieux saints musulmans].
Cette revendication par le groupe Etat islamique a été très rapide...
Je crois qu’il faut la mettre en parallèle avec la revendication de la tuerie d’Orlando. Elle est passée par le web et a été émise par le même canal, l’agence de presse jihadiste Amak. Et cela dans des délais très rapides. On voit donc bien que l'EI est aux aguets, prêt à exploiter au plus vite un acte terroriste pour en faire un maximum de publicité. Même si les médias traditionnels occidentaux n’en parlaient pas, l'EI le ferait.
L’homme impliqué dans l’assassinat du couple de policiers de Magnanville avait été repéré par les policiers français...
Larossi Abballa était dans la mouvance Al-Qaïda en 2011, à une époque où l’Etat islamique était embryonnaire. Et puis il a fait l’objet de tout un suivi judiciaire puisqu’il avait été condamné à de la prison en 2013. Mais, lui aussi, comme son alter ego américain, il vivait en dissimulant ses activités, malgré la surveillance dont il pouvait faire l’objet.
Y a-t-il eu un raté dans cette affaire tragique ?
Le nombre d’objectifs à surveiller est infernal. Et cela pour tous les services, la sécurité intérieure de la DGSI, la PJ (police judiciaire) ou encore la direction du renseignement de la préfecture de police. En fait, Larossi Abballa a pris le mode opératoire le plus simple, à savoir le couteau, et cela avec l’absolution du tireur de ficelles de l'EI, Al-Adnani. Alors oui, on va accuser les services d’avoir mal fait leur travail.
Mais ces services sont à saturation. Récemment, le procureur de Paris, François Molins, avait parlé de plus de 1 500 objectifs à surveiller dans la région parisienne. Et vous savez que surveiller un individu, c’est mobiliser une vingtaine d’hommes. Et s’il en rencontre un autre, il faut identifier ce nouvel homme et de nouveau mettre le personnel nécessaire en surveillance, c’est affolant. On voit bien que dans ce double assassinat, deux services ont été saisis par la justice, à savoir la Direction générale de sécurité intérieure (DGSI) et la PJ. Alors je comprends que l’on fasse ces doubles saisines pour mobiliser le renseignement et la police. Mais les charges de travail sont excessives. Je vous l’ai dit, nous sommes à saturation, on est en train de mettre à plat tous les services.
Quelles conclusions tirez-vous de tout cela ?
Hélas, je crois que ces attaques vont continuer. Depuis les années 1990, le terrorisme jihadiste n’a cessé de monter en puissance. Ce phénomène ne peut pas disparaître brutalement. Ayons toujours conscience que l’on est passé, en France, de quelques dizaines de combattants jihadistes à plusieurs milliers.
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