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"Je vais bien, façon de dire…" : à Saint-Etienne-du-Rouvray, un an après, "la plaie est encore ouverte"

Article rédigé par Raphaël Godet - franceinfo
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L'entrée de l'église de Saint-Etienne-du-Rouvray (Seine-Maritime), le 19 juillet 2017. (RAPHAEL GODET / FRANCEINFO)

Dans cette ville populaire de la banlieue de Rouen, le père Jacques Hamel a été assassiné, le 26 juillet 2016, lors d’un attentat revendiqué par l’Etat islamique. Quelques jours avant le premier anniversaire de l'attaque, franceinfo est retourné sur place.

Il serait bien resté dix minutes de plus, mais il y a le travail. Tant pis si la pause déjeuner est plus courte : Yves se sent "mieux". Ces quelques instants posé sur le banc de l’église, ce mercredi 19 juillet, lui ont fait "un bien fou". Sac à l'épaule, cet habitant de la région raconte qu'il prie pour la première fois "ici", à Saint-Etienne-du-Rouvray (Seine-Maritime). Il n'avait jamais osé jusque-là, même s'il en avait envie. Parce que, dit-il, ce n’est pas sa paroisse. Et parce que "ça pourrait faire voyeur après ce qui s’est passé il y a un an".

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Avant de repartir, en baissant la tête sous peine de se cogner contre la charpente en bois, il s'arrête un instant au fond de l'église. A droite précisément, là où respire encore la mémoire du père Jacques Hamel, assassiné le 26 juillet 2016 pendant un office, dans un attentat revendiqué par le groupe Etat islamique. Au mur, son portrait en peinture. Sur une table, un livret pour qui veut bien coucher quelques mots en hommage. Une trentaine de pages sont remplies, recto-verso.

Des témoignages de tous pays

Une certaine Joëlle et un certain Patrick évoquent la "tristesse" qu’ils ont éprouvée en rentrant dans l'édifice. Il y a aussi Claudine qui s’adresse directement au défunt : "Je ne vous connais pas mais je vous aime pour tout ce que vous avez fait sur Terre." On a aussi lu de l’espagnol et du portugais.

Un tableau représentant le père Jacques Hamel a été accroché au mur de l'glise de Saint-Etienne-du-Rouvray (Seine-Maritime), le 19 juillet 2017. (RAPHAEL GODET / FRANCEINFO)

En sortant, une dame d'un certain âge nous interpelle. Elle nous raconte qu’elle a aussi croisé des Italiens, des Japonais et même une bande de motards venue spécialement d’Angleterre. Elle se rappelle très bien : il pleuvait des cordes ce jour-là. Pace, c'est son nom, ne peut pas être mieux placée pour assister à ces allées et venues : elle habite à dix mètres de l’entrée de l’église.

Il y a des périodes où il y a plus de monde. J’en vois certains qui n’osent pas rentrer, d’autres à l’inverse qui se croient à la maison.

Pace

à franceinfo

A 82 ans, elle continue d'aller à la messe chaque dimanche dans l'église. Son église. "Bon, au début, il y a de l’appréhension, c’est clair. Ça fait quelque chose de voir la photo de notre père Hamel accrochée au mur..." Comme sa maison donne directement sur le parvis, elle dit avoir été "aux premières loges de cet épouvantable drame". Elle rentrait avec ses sacs de courses quand des gendarmes lui ont crié dessus pour qu’elle s’enferme chez elle. "'Allez, rentrez, madame, rentrez !', qu'ils me disaient." Et puis il y a le bruit des armes. "Ça faisait tac ! Tac ! Tac ! Et ça s’est arrêté." Les deux terroristes, Adel Kermiche et Abdel Malik Petitjean, venaient d'être abattus par les forces de l'ordre.

"Je vais bien, façon de dire"

Tous les habitants du quartier se souviennent de ce qu'ils faisaient, où ils étaient, où ils allaient, quand la BRI a débarqué ce matin-là. Claire, une autre riveraine, était sous la douche lorsqu'elle a entendu des cris. L’actuel maire, Joachim Moyse, était en vacances quand "un coup de fil de ma mère m'a informé qu'il se passait quelque chose de grave et d'important".

Joachim Moyse, maire de Saint-Etienne-du-Rouvray (Seine-Maritime), le 19 juillet 2017. (RAPHAEL GODET / FRANCEINFO)

Un an après, où en est la commune ? L'élu lève les yeux au ciel. Difficile à dire, mais "il est clair que la plaie est encore ouverte". Pour tout le monde. Mais surtout, évidemment, pour les victimes. "J’ai une attention toute particulière pour les époux Coponet et les trois sœurs présentes dans l’église ce jour-là."

A une vingtaine de minutes à pied du centre, la maison de Guy et Janine Coponet est un peu à l’écart de la ville. Sur le pas de porte, l’homme de 88 ans, qui a reçu quatre coups de couteau dont un à la gorge, nous explique ne plus vouloir "ressasser ça". Il lâche juste : "Je vais bien, façon de dire. On a envie de passer à autre chose, c'est tout." La conversation s’arrête là. Les voisins, certains de longue date, sont plus enclin à parler, à l'instar de Michel. Dix-sept ans que sa maison est collée à celle des Coponet :

Je passe les voir tous les jours. Un petit signe, un petit geste… S'ils ont besoin, ils savent qu'on est ici.

Michel

à franceinfo

Sur le trottoir d’en face, Patrick s’arrête aussi "régulièrement" pour prendre des nouvelles. Les sœurs ont aussi fait le choix du silence face aux médias. Pas de micros, pas de caméras. La paix, point. Au bout du fil, elles expliquent à franceinfo vouloir tourner la page, avant de s’excuser de ne pas être plus bavardes. Ce mardi 26 juillet 2016 a ravagé leurs vies.

Un traumatisme pour les employés de la ville

Après avoir connu des "nuits difficiles", Joachim Moyse a fini par retrouver le sommeil et le sourire. Mais tout n'est pas réglé, loin de là. Une partie du personnel municipal est encore très affectée. "Cela se traduit par des absences, des arrêts maladies, de l’accompagnement psychologique." Un policier municipal n'a toujours pas repris le travail : "Il était en service ce matin-là, le traumatisme n'est pas effacé." Une de ses collègues a aussi indiqué au maire ne plus pouvoir revenir dans son corps de métier initial. Il travaille donc sur une nouvelle affectation, "dans un service d'accueil sûrement". Entre décembre à avril, il a reçu un par un les 700 agents municipaux de la ville. Il y a eu beaucoup de questions posées, notamment sur le travail isolé, sur les effectifs, ou encore sur les moyens de protection qu'on pouvait envisager pour l'avenir.

Aucun élu n’est préparé à cela. Encore moins dans une petite commune.

Joachim Moyse

à franceinfo

Et aujourd'hui, la moindre festivité organisée par la commune devient un casse-tête. "Le soir du 14-Juillet, il a fallu installer des blocs de bétons dans certaines artères de la rue pour empêcher les potentiels véhicules fous, détaille l'élu. J'habite ici depuis vingt ans. C’était impensable de voir cela il y a encore quelques années."

Assis dans son bureau du diocèse de Rouen, Dominique Lebrun admet que des choses ont changé, oui. "Dans un diocèse, il y a un centre et la périphérie. Et là, un coin de la périphérie est devenu le centre", essaie de résumer l'archevêque pour expliquer la place importante que prend désormais la paroisse de Saint-Etienne-du-Rouvray. Un an après, des fidèles mais aussi quelques prêtres se posent encore la question de leur avenir. "Est-ce que je reste ? Est-ce que je pars ? Est-ce que je fréquente une autre communauté ? Pour certains, c'est très dur. Ils vivent des hauts et des bas."

Monseigneur Dominique Lebrun, archevêque du diocèse de Rouen (Seine-Maritime), le 19 juillet 2017. (RAPHAEL GODET / FRANCEINFO)

Alors, on se serre les coudes pour avancer. On se voit, on se parle. "Mon portable est toujours allumé et ma porte toujours ouverte", insiste-t-il. Et on répète à l'unisson l’importance du vivre ensemble. "J’ai entendu quelques personnes se mettre en colère, explique Auguste Moanda-Phuati, le curé de la paroisse. Mais c’est vraiment très marginalDes gens qui ne sont pas dans la paroisse, qui ne comprennent pas comment, après avoir subi cela, nous puissions nous rapprocher des musulmans." Avant de répéter que "c’est très marginal".

Des fidèles toujours au rendez-vous

Il y a aussi des indices, des signes qui montrent que la vie religieuse reprend. D'abord, l’église : elle n’a pas désempli. Au contraire, le prêtre sent même qu’il y a plus de monde qu’avant. Surtout, personne n’a demandé à changer la disposition des chaises ou des bancs parce que la configuration actuelle lui rappellerait trop de mauvais souvenirs. Au diocèse, ce sont les centaines de lettres reçues ces derniers mois qui réchauffent les cœurs. Le matin de notre visite, un courrier arrive justement de Reims. Une personne souhaite avoir une photo du père Hamel pour la mettre sur les cartes que sa paroisse locale offre aux parents qui viennent de baptiser leur enfant. La demande va être traitée, comme toutes les autres. Avant de nous raccompagner, Dominique Lebrun nous raconte avoir ordonné il y a quelque temps un jeune prêtre. Son nom : Julien Hamel. "Aucun lien de famille avec le père Hamel. Mais Dieu, lui, y voit peut-être un lien", sourit-il. 

L'église de Saint-Etienne-du-Rouvray (Seine-Maritime), le 19 juillet 2017. (RAPHAEL GODET / FRANCEINFO)

En ce moment, l'archevêque de Rouen passe beaucoup de son temps à la préparation du premier anniversaire du drame. Il croise souvent la route de monsieur le maire. Pour Joachim Moyse aussi, c'est un gros dossier. Clairement son premier dossier de poids depuis qu'il est devenu édile au mois de juin. Son prédecesseur, Hubert Wulfranc, ayant rejoint les rangs de l'Assemblée nationale.

Il n'a pas encore finalisé son intervention, mais il a envie d'insister sur l'importance des valeurs républicaines, "le socle de notre société". Plusieurs personnalités sont attendues. Peut-être le président de la République, peut-être des ministres. Guy et Janine Coponet, eux, ne seront pas là. C'est leur choix. Mais leur fille devrait lire un texte. Pace, elle, pourra encore tout voir depuis sa fenêtre. Comme ce matin du 26 juillet 2016, un peu avant 10 heures, lorsqu'elle rentrait du supermarché.

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