L'étoile de Cannes (8/14). Un ange passe sur la Croisette
"Heureux comme Lazzaro" d'Alice Rohrwacher est un conte humaniste qui est aussi un hommage à la grande époque du cinéma italien.
Nous nous sommes tant aimés avec ce cinéma qui fait rire et pleurer, qu'on attend toujours de revivre les émotions de la grande vague néo-réaliste. Partir du réel, le dépasser, le poétiser, pour le rendre supportable, comme dans cette campagne lunaire, coupée du monde, où vit une tribu paysanne, miséreuse, qui ne sait pas que le métayage imposée par la marquise Alfonsina de Luna est hors la loi. Ils sont rustres, mais rient d'un rien et avec Lazzaro jeune homme au regard gris-vert angélique, ils ont leur souffre-douleur. C'est celui qui dit toujours oui, qui aime aider. Ils ne réalisent pas qu'il est un saint. Cet univers sauvage, clos, disparaît quand la marquise est rattrapée par la patrouille. Les paysans s'éparpillent dans les villes, passent d'un esclavage à l'autre. Lazzaro lui, laissé pour mort revient tel un ange, ni mystique, ni faiseur de miracles. Sa seule bonté révèle l'absurdité de l'époque. De son pas lent, Lazzaro se mêle aux migrants. Il retrouve ses anciens compagnons d'infortune qui le prennent pour un fantôme.Alice Rohrwacher affirme son style
On pense évidemment aux personnages picaresques de Fellini, aux Affreux, sales et méchants d'Ettore Scola, à la paysannerie d'Ermanno Olmi dans L'Arbre aux sabots, à la lumière sèche de Pasolini, mais Alice Rohrwacher a son propre univers. Elle n'en fait pas trop. Son image argentique en format Super 16 impose sa simplicité, une beauté naturelle qui n'a rien à voir par exemple avec le clinquant d'un Paolo Sorrentino.
Surtout, en passant par cette poésie, elle a une réflexion très claire sur l'Italie actuelle : cupide, en mal de valeurs, violente. Elle ne tombe jamais dans l'angélisme, même si son Lazzaro est un ange et qu'il évoque évidemment le Lazare ressuscité des Évangiles. La spiritualité d'Alice Rohrwacher est profane. Elle apparaît dans le réel et d'ailleurs, le début du film, cet esclavage moderne imposé à des victimes enfermées dans l'ignorance, est inspirée d'une histoire vraie. La réalisatrice a déjà été primée à Cannes, par un Grand prix, en 2014, pour Les Merveilles. Alice Rohrwacher n'a que 36 ans. Après Nanni Moretti, après Roberto Benigni présent d'ailleurs dimanche soir, la relève est assurée.
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