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A Dannemarie, "on défend nos silhouettes pour défendre notre commune"

Dans ce village du Haut-Rhin, les habitants ont "recueilli" dans leurs jardins et sur leurs balcons les silhouettes féminines stéréotypées et controversées, dont le tribunal administratif avait demandé le retrait. 

Article rédigé par Camille Caldini
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 6min
Philippe Brayé, dans son magasin, avec les silhouettes féminines "adoptées", à Dannemarie (Haut-Rhin), le 9 août 2017. (SEBASTIEN BOZON / AFP)

"J'ai choisi une petite mamie, une femme enceinte, une autre qui présentait bien", détaille Philippe Brayé. Alors que le Conseil d'Etat a examiné, mercredi 30 août, l'affaire des silhouettes féminines stéréotypées de Dannemarie (Haut-Rhin), le commerçant s'enorgueillit d'avoir "mis en situation cinq silhouettes", dans les différentes boutiques d'ameublement qu'il possède dans la ville.

Dans son magasin, trône désormais une silhouette que l'on suppose être celle d'une dame âgée, "et comme elle tient une laisse et que nous avons un luminaire en forme de chien, c'est parfait". A franceinfo, il explique vouloir "défendre les silhouettes pour défendre la commune et une initiative attaquée injustement", sans compter que, quelque part, "on se marre" et "on parle de nous".

Ce n'est quand même pas tous les jours qu'on parle de Dannemarie dans la presse. Ce matin, ma mère était même en une du 'Standard', au Royaume-Uni !

Philippe Brayé

à franceinfo

Le 9 août, le tribunal administratif de Strasbourg avait ordonné à cette commune de 2 300 habitants de retirer les 65 silhouettes en contreplaqué de femmes et 60 autres représentant divers accessoires, installées dans le cadre de son "année de la femme", et perçues comme stéréotypées, "dénigrantes et humiliantes pour les femmes" par l'association féministe Les Effronté-e-s.

La municipalité avait fait appel de cette décision, et le maire Paul Mumbach avait proposé, sur Facebook, aux habitants de "recueillir" les "silhouettes orphelines", afin de "leur octroyer des vacances bien méritées avec la réserve que leur lieu de villégiature soit au centre de Dannemarie, en propriété privée et pour des raisons pratiques, proche d’une voie de circulation".

"Il y a d'autres façons de représenter les femmes qu'à poil avec des talons aiguilles"

Depuis, "on les voit toujours autant, dans les jardins et sur les balcons, alors que le but était de les enlever totalement", constate Marthe Nussbaumer. Cette retraitée "préfère les fleurs", et trouve les silhouettes "laides, de mauvais goût, et certaines sont carrément limites". L'une d'elles, notamment, représente une femme assise à cheval sur une chaise, les cuisses écartées. "Il y a quand même d'autres façons de représenter les femmes qu'à poil avec des talons aiguilles", renchérit une jeune femme qui travaille à Dannemarie mais n'y vit pas. "Dans ma tête, c'était Patricia Kaas" interprétant une chanson "de cabaret", se défend précisément Dominique Stroh, première adjointe de Dannemarie et conceptrice du projet, devant le Conseil d'Etat.

"Je peux comprendre qu'une ou deux puissent gêner des gens, mais faire enlever toutes les silhouettes, c'est aller trop loin", tempère Arnaud Nussbaumer, le fils de Marthe, également contacté par franceinfo. Sur les réseaux sociaux, cet animateur radio est l'un des défenseurs les plus actifs des silhouettes. Il entend les critiques, et les accusations de sexisme à l'égard de certaines silhouettes, mais en a fait une affaire personnelle. 

Ce sont des gens de Strasbourg, de Paris, qui n'ont rien à voir avec Dannemarie, qui nous attaquent.

Arnaud Nussbaumer

à franceinfo

"On attaque Dannemarie, on m'attaque moi", résume-t-il. Sur le site de sa radio, Sound-Go (détournement de Sundgau, qui désigne le sud de l'Alsace), et sur Facebook, il relaie les appels du maire à défendre les silhouettes de la discorde. Il a même lancé une pétition qui a recueilli 330 signatures, mais il n'en a "pas adopté" lui-même, car il "habite trop loin de la route, on ne les verrait pas". Dommage, "il y en avait une ou deux qui me plaisaient bien, mais pas les sexistes, hein !"

Capture d'écran de la page "Touche pas à ma silhouette", le 30 août 2017. (TOUCHE PAS A MA SILHOUETTE / FACEBOOK)

Arnaud Nussbaumer considère tout de même que "l'affaire va un peu trop loin", en remontant jusqu'au Conseil d'Etat. "Moi-même, j'en ai marre, j'ai envie qu'on passe à autre chose", glisse-t-il. Et "il y a des images que je ne partage pas sur les réseaux", ajoute Arnaud Nussbaumer. Comme ce logo "Je suis la silhouette de Dannemarie", calqué sur le modèle de "Je suis Charlie". "Il n'y a pas de morts dans cette affaire, donc c'est trop."

Verdict le 1er septembre

C'est Maxime Zisswiller, qui dirige une société de communication installée à Mulhouse, à quelques kilomètres de Dannemarie, qui a crée cette image, et des dizaines d'autres, plus "humoristiques". Il n'a "aucun lien avec la commune", mais quand il a vu enfler la polémique, il s'est inquiété d'une possible décision du Conseil d'Etat favorable aux revendications féministes. "Cela aurait des conséquences aussi pour les entreprises de la communication, pour la publicité", estime-t-il, redoutant déjà que ses prises de position lui coûtent des clients.

Justement, c'est ce que défend Lorraine Questiaux, l'avocate qui représente le collectif des Effronté-e-s, devant le Conseil d'Etat. Elle plaide le "lien entre la violence symbolique qui est omniprésente dans l'espace public" et les violences physiques, dont les femmes sont victimes. Elle appelle donc le Conseil d'Etat à faire évoluer sa jurisprudence, en élevant le principe de l'égalité entre les hommes et les femmes au rang des "libertés fondamentales"

Pour Bertrand Périer, avocat de la municipalité, les fameuses silhouettes relèvent de la "liberté artistique", et la plus haute juridiction administrative n'est pas "l'arbitre des élégances et du bon goût"En effet, le Conseil d'Etat a été saisi dans le cadre d'une procédure d'urgence bien particulière, dite de "référé-liberté". Il doit examiner à la fois s'il y a "urgence" à agir, et s'il est confronté à une atteinte "grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale". La décision doit être rendue d'ici vendredi 1er septembre.

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