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Après les inondations, les habitants de Morlaix en ont plein les bottes

Bienvenue à Morlaix (Finistère), 15 500 habitants. Son kiosque, son viaduc, son musée... et ses centaines de sacs de sable, qui jalonnent les boutiques et les immeubles du centre-ville, frappé par les crues à répétition. Reportage.

Article rédigé par Fabien Magnenou
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 8min
A Morlaix (Finistère), les habitants s'étaient préparés à la crue annoncée, jeudi 6 février. (  MAXPPP)

Ce matin-là, il pleut des trombes sur Morlaix. Quatre employés municipaux font signe aux voitures de s'arrêter, quai du Léon. Puis ils soulèvent une plaque d'égout et glissent un œil. "On vérifie les conséquences de la pluie, mais là, ça va." Ici, plus qu'ailleurs, les averses n'ont rien d'anodin. Depuis le 24 décembre, la ville a été frappée par des crues à répétition. Pour en retracer l'historique, il suffit de suivre le chemin dessiné par des centaines de sacs de sable, disséminés dans tout le centre-ville. Au total, 350 logements et une centaine de commerces se trouvent dans une zone inondable (en bleu), sur les rives du Jarlot et du Queffleuth. Francetv info a rencontré les sinistrés.

"J'ai presque tout sauvé au sèche-cheveux"

Rendez-vous à La Terrasse, élégante brasserie située devant la mairie. L'un des points chauds des inondations. Tout débute dans la nuit du 23 au 24 décembre. "On m'appelle chez moi vers 3h30 du matin", se souvient Jean-Marie Lambel, l'un des trois patrons. "J'arrive sur la place. La maire veut prévenir tout le monde par téléphone, mais dans un premier temps, il n'y a plus de réseau." Il parvient à entrer dans son restaurant vers midi, avec la décrue. La terrasse et la salle du restaurant sont touchées. Le lave-verres, la machine à glaçons, la sono sont hors service. Un court-jus met à mal la friteuse et la plaque à induction. "J'ai presque tout sauvé au sèche-cheveux."

Jean-Marie Lambel, l'un des trois patrons du restaurant La Terrasse, a connu sept inondations en 40 jours. Il garde les sacs de sable à portée, au cas où. (F. MAGNENOU / FRANCETV INFO)

Rebelote le 1er janvier, sur la terrasse. Puis quatre matins d'affilée, un peu plus tard dans le mois. "Deux heures de ménage à chaque fois." Ainsi de suite, jusqu'à la dernière crue en date, le 6 février. Les experts ont chiffré les dégâts à 40 000 euros. Il faut refaire le carrelage, la peinture. Sous la menace permanente d'une crue, il est difficile de savoir quand débuter les travaux. "Je n'ai jamais autant regardé les coefficients de marée. Là, ça fait un bon mois et demi, ça devient fatigant."

Les commerçants n'ont pas toujours apprécié d'être sous le feu des projecteurs. "Maintenant, dès que les gens voient de la pluie, ils prennent la voiture et s'en vont !", explique Jean-Marie Lambel. "Les chaînes d'info en continu ont exagéré. En regardant la télé, on avait l'impression d'être à Venise ! A chaque fois, c'était limité et ça ne durait que six heures." Dehors, la pluie redouble d'intensité et le vent souffle fort. Direction la rue de Brest, déjà noyée à deux reprises cet hiver.

"Le parquet flottant flottait. Littéralement"

Après avoir passé la mairie, le salon d'une tatoueuse est fermé "en raison des intempéries des dernières semaines". Puis il faut tourner à droite. Après quelques mètres, un panneau déconseille l'usage d'un parking souterrain. Une poubelle y trempe encore à l'horizontale, échouée contre un mur. Serge Uguen, patron de Motor'cycles, se gare devant sa boutique, pour déposer des vélos mis au sec. "L'expert a dit qu'on était dans le top 3 des sinistrés. Génial, je suis super content !", ironise-t-il. Un brin amer, il explique que des clients indélicats sont venus lui demander des réductions, deux heures seulement après la décrue du 6 février. "Si ça se trouve, ça va recommencer dans quelques jours. Vous repasserez et vous me filerez un coup de main, pour passer la raclette."

Bernadette Kerrain a pris l'habitude de surveiller l'entrée de la cave de son immeuble, du haut du premier étage.  (F. MAGNENOU / FRANCETV INFO)

"La voyante de l'étage en dessous n'a rien vu venir", s'amuse Bernadette Kerrain, une voisine au caractère bien trempé. Les jours de crue, cette octogénaire règne sur un appartement pareil à une île. Elle reste très marquée par les inondations du 24 décembre et du 6 février. Moralement et financièrement. "La GMF m'a donné 6 890 euros pour ma voiture engloutie. J'ai dû débourser 5 000 euros pour en avoir une neuve." Elle est aux abois depuis un mois : "En ce moment, c'est presque une manie. Je n'arrête pas de regarder l'entrée de la cave depuis la fenêtre." Y compris la nuit, à l'aide d'une lampe 1 000 watts. Dans son annexe dévastée, les bouteilles de bourgogne sont toujours recouvertes de boue. Après la crue de Noël, cette pièce a pourtant été nettoyée par une entreprise spécialisée, pour un montant de 1 395 euros. "Tout est à refaire, c'est navrant."

Par chance, l'assureur d'en face est bien assuré. "Ici, pendant la crue, le parquet flottant flottait. Littéralement", explique une salariée de l'agence Generali, qui travaille désormais au premier étage. Un déshumidificateur tourne à plein régime pour tenter de sécher les murs en torchis. La base des cloisons a été démontée. Morlaix est fatiguée et la répétition des crues suscite des tensions. "Au service indemnisations, les gens sont de moins en moins patients", explique Marie. "Ils sont fatigués, agressifs."

Hervé Ronné s'est offert quelques balades en kayak, lors des crues. Son atelier est équipé de trois déshumidificateurs qui fonctionnent en permanence. (F. MAGNENOU / FRANCETV INFO)

"L'hiver, il n'y a plus de végétation pour retenir l'eau"

Après quelques mètres, une fenêtre est barrée d'un batardeau sommaire. Le photographe Hervé Ronné a posé cette plaque de protection en vain. Les gouttières continuent de vomir leur eau, mais la pluie s'est un peu calmée. Tant mieux. "C'est vraiment flippant, dès qu'il y a une grosse averse comme aujourd'hui." Son atelier a été ravagé. Il a perdu 21 000 euros de matériel et les couleurs de centaines de diapositives ont bavé. "Je pourrais peut-être faire une expo d'art contemporain", lâche-t-il avec humour. Les portes ferment mal, l'odeur d'humidité prend la gorge. Trois déshumidificateurs tournent en continu. Ils permettent de capturer une cinquantaine de litres d'eau, toutes les 24 heures. "Il faut continuellement vider les cuves, c'est l'enfer."

Il vit à l'étage, avec sa famille, mais il est parfois difficile de trouver le sommeil. "L'autre soir, je me suis réveillé à 4 heures du matin pour aller déplacer ma voiture." Il pensait pourtant être préparé à un tel événement. "En s'installant ici, on savait qu'on était en zone inondable, mais ce qui est surprenant, c'est de ne pas avoir pu anticiper, la nuit du 23 au 24." Hervé Ronné en veut un peu au secteur agricole. "Les exploitants ont l'obligation de laisser un couvert agricole, mais à Plourin-les-Morlaix, ils font tous du lait et donc du maïs. L'hiver, il n'y a plus rien sur les champs. Et donc, pas de végétation pour retenir l'eau." Comme lui, la plupart des habitants redoutent la prochaine inondation.

"Les habitants n'en peuvent plus", reconnaît Agnès Le Brun, la maire UMP de Morlaix. Sur son bureau, quelque 157 dossiers de catastrophe naturelle déposés par les administrés. C'est sans compter la dernière crue, qui pourrait encore corser l'addition. La mairie va aussi devoir traiter des dizaines de travaux de voirie, qui représentent "un coût énorme pour la commune". Elle dénonce un "dumping immobilier" de la part des communes situées en amont. Et déplore le manque de concertation sur le problème de la gestion de l'eau, malgré une étude publiée en 2004 par le syndicat mixte pour la gestion des cours d'eau du Trégor et du pays de Morlaix. "Les inondations sont morlaisiennes, mais l'eau est territoriale." Cette nuit-là, la maire peut dormir tranquille. En fin de journée, le soleil a enfin inondé la ville. Une nouvelle journée de gagnée, les pieds au sec.

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