Les chauffeurs de VTC ne veulent plus reculer face aux taxis
Pour la première fois dans le conflit qui les opposent aux taxis, les chauffeurs de VTC ont manifesté leur mécontentement lors d'un "rassemblement éclair" à Paris contre un nouvel amendement qui menace un peu plus leur profession.
Ni slogan, ni banderole. Pour immortaliser l'évènement et surtout envoyer une image forte au gouvernement, les chauffeurs ont préféré faire une photo. Veste de costume ouverte ou posée sur l'avant-bras, les 200 chauffeurs présents ont pris la pose tout sourire, lundi 21 juillet, sur le terre-plein central de la place Vauban, à Paris. Tout autour, autant de voitures noires aux vitres teintées : BMW, Peugeot 508, Citroën C5, garées sur le bord des trottoirs ou en double file, de façon à ne pas gêner la circulation.
Leur première manifestation depuis le début du conflit entre les taxis et les VTC, organisée à l’appel de cinq entreprises (Chauffeur-Privé, SnapCar, LeCab, AlloCab et Supershuttle), les chauffeurs l’ont souhaitée "pacifique et dans la bonne humeur", selon les mots du fondateur et PDG de Chauffeur-Privé, Yan Hascoet. Une façon de marquer leur différence avec les taxis.
L’objet de leur mécontentement : un amendement qui vient d’être ajouté à la proposition de loi Thévenoud au dernier moment alors qu'elle doit être discutée mercredi 23 juillet en séance publique au Sénat. Il impose aux chauffeurs de VTC "de retourner au lieu d’établissement de l’exploitant de cette voiture ou dans un lieu, hors de la chaussée, où le stationnement est autorisé" après chaque course. Concrètement, pour la majorité de ces chauffeurs qui ont le statut d’autoentrepreneur ou d’indépendant, il s’agira de retourner chez eux.
Chauffeur, un métier de services
"Si l'amendement est adopté, je ne pourrai plus travailler comme chauffeur : j’habite en banlieue, dans les Yvelines, ce ne sera pas possible de faire les aller-retours", explique Patrick Chipaux qui participe à une manifestation pour la toute première fois. La soixantaine, le chauffeur porte comme ses collègues une cravate rouge et une chemise blanche. "C’est la seule chose que nous demande Chauffeur-Privé", explique-t-il. Depuis 6 mois, il parcourt les rues de Paris, fidèle à cette entreprise.
L’intérieur de sa voiture est recouvert de cuir noir, on n’entend pas le bruit de la circulation au dehors. A peine a-t-il démarré que l’application sur son téléphone lui propose une course. Sur la carte affichée à l’écran, on aperçoit les autres véhicules disponibles. "Le fonctionnement est très transparent, explique Patrick. L’application permet de récapituler toutes les courses que j’ai réalisées mais aussi mes frais, etc." Dans la proposition de loi, il est prévu d’interdire les systèmes de géolocalisation aux VTC accusés de maraude, ce dont ils se défendent. Le chauffeur pointe du doigt un retour en arrière du point de vue technologique.
Patrick accepte la course. Le compteur affiche : "5:00". Ce qui signifie qu'il a 5 minutes pour se rendre jusqu'au lieu de rendez-vous. Le décompte se met en marche et la carte indique le trajet jusqu’à la cliente dont le nom apparaît à l'écran. Arrivé à destination, l'homme sort de sa voiture pour ouvrir la portière. Pour lui, être chauffeur est un métier de services et il faut avant tout mettre le client à l’aise. "Souhaitez-vous que je mette en marche la climatisation ?", propose-t-il en ajoutant que de l’eau se trouve sur la banquette arrière.
Des taxis qui vivent sur leurs acquis
Julie est déjà au courant, elle est une grande adepte des VTC qu’elle prend deux à trois fois par jour depuis un an. Professionnelle dans l'hôtellerie, elle reconnaît utiliser plus souvent les VTC qu’auparavant les taxis. "Dans les taxis, ça sent parfois le kebab ou la cigarette et surtout les chauffeurs ne sont pas forcément agréables, estime Julie. Bien sûr, je ne veux pas faire de généralités, mais je trouve qu’on est mieux accueilli dans les VTC." Pour Patrick, le problème des taxis est qu’ils vivent sur leurs acquis et ne proposent pas assez de services aux clients.
Si l’amendement n’est pas retiré, les chauffeurs de VTC sont prêts à tous les recours juridiques. En février, le Conseil d’Etat avait déjà suspendu le décret qui forçait les VTC à attendre 15 minutes entre la réservation d'une course et la montée du client. Pour la mobilisation du 21 juillet, les VTC n’ont eu que deux jours pour envoyer des mails et prévenir tous les chauffeurs d’un rassemblement. Mais ils assurent être prêts à s’investir davantage s’ils sentent, comme l'affirme Othmane Bouhlal, le numéro 2 de Chauffeur-Privé, que "le gouvernement cède au chantage des taxis".
Cet amendement, c'est un peu la mesure de trop pour les VTC qui estiment avoir déjà fait beaucoup de compromis : une formation payante est désormais obligatoire, les contrôles des véhicules sont plus fréquents, les voitures sont normées… "Ça fait plus de quatre mois qu’on discute avec le gouvernement, qu’on se montre ouvert au dialogue et il n’a jamais été question de cet amendement", s’irrite Yan Hascoet, le PDG de Chauffeur-Privé.
"Cet amendement va tuer la profession !"
"Pour l’instant, nous n’avions pas manifesté parce que les propositions nous semblaient encore acceptables, continue Yan Hascoet. Mais avec cet amendement, ils veulent tuer la profession !" Et l'entrepreneur de dénoncer : "C'est une aberration sur le plan économique, puisque les courses ne seront plus du tout rentables et nous ne serons plus concurrentiels. Mais aussi sur le plan écologique et urbanistique, parce que cet amendement entraîne davantage de circulation et de pollution avec des voitures qui tournent à vide."
Othmane Bouhlal complète : "Il y aura deux conséquences directes sur les clients : beaucoup moins de véhicules disponibles et un temps d’attente plus important mais surtout des tarifs plus élevés puisqu’il nous faudra compenser les pertes de ces aller-retours à vide." En faisant une photo collective, les chauffeurs souhaitent interpeller les sénateurs, "on veut leur montrer que s’ils acceptent cet amendement, toutes ces personnes réunies aujourd’hui se retrouveront au chômage", explique Othmane Bouhlal.
Selon les entreprises du secteur, près de 4 000 chauffeurs privés circuleraient à Paris. Ils seraient 10 000 dans toute la France. Avec une croissance hebdomadaire à deux chiffres, l’entreprise Chauffeur-Privé estime que ce nombre pourrait atteindre 30 000 à 40 000 dans dix ans. "Il y a de la place pour tout le monde, s’exclame Othmane Bouhlal. A New York, taxis et VTC cohabitent très bien, pourquoi ça ne serait pas possible en France ?"
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