Calais : bénévole devenue passeuse, une Britannique exprime ses "regrets" lors de son procès
En première instance, en novembre, Roisin B. avait été condamnée à un an de prison ferme. Elle a été rejugée, lundi, en appel. La décision sera rendue mercredi.
A l’issue des débats, le président de la cour d’appel de Rouen donne, une dernière fois, la parole à la prévenue. Cela fait des jours, peut-être même des semaines, que Roisin B. attend ce moment. La Britannique de 41 ans vient de passer deux mois en prison, en Seine-Maritime, loin de sa famille, sans proche à qui dire sa souffrance. D’une main tremblante, elle déplie une feuille de papier A4 et s’adresse enfin à la cour. "Je vous ai écrit quelque chose qui me vient du cœur."
Le texte, traduit en français par un enseignant de la maison d’arrêt, est lu par une interprète. "Je regrette profondément ce que j’ai fait." Les phrases s’enchaînent et rebondissent contre les boiseries de la salle d’audience, sans que Roisin B. n’ait besoin d’en saisir le sens. Elle a chaque mot de la version anglaise en tête. Les yeux de la grande blonde débordent de larmes à l’évocation de son fils de 14 ans, resté en Angleterre. "Je l’ai élevé seule, nous partageons un lien fort, j’espère que vous me permettrez de rentrer à la maison", lit l’interprète.
"Je voulais agir"
En ce lundi 18 janvier, le retour de Roisin B. dans la banlieue de Londres n’est pas prévu avant de longs mois. Le 12 novembre, en première instance, la prévenue a été condamnée par le tribunal correctionnel de Dieppe à un an de prison ferme pour "aide à la circulation irrégulière d’un étranger". Il lui est reproché d’avoir dissimulé un mineur syrien dans son coffre, le 10 novembre, pour lui permettre de quitter la "jungle" de Calais et le conduire en Angleterre. Reconnaissant les faits, mais dénonçant la sévérité du jugement, elle a fait appel.
Les déboires de cette serveuse sont nés d’une rencontre, en octobre, dans le camp calaisien. Bénévole depuis peu, Roisin B. se lie avec "Shwan", un migrant irakien. L’homme réussit à rejoindre l’Angleterre et à retrouver la trace de Roisin, son "amie", avec qui il entretient des "relations intimes", selon l’expression du président de la cour. C’est là que "Shwan" la convainc d’aller chercher un migrant syrien à Calais. Il lui donne 500 livres (655 euros) pour la défrayer et lui conseille de passer par Dieppe, où les contrôles de sécurité sont "moins nombreux".
- "Estimez-vous avoir été utilisée par cet ami ?" demande le président.
- "Je ne sais pas, répond la prévenue. Je pensais vraiment que c’était une bonne personne, qui voulait aider. Mon jugement a été guidé par l’émotion. Je voulais agir, tant j’avais été touchée par la situation à Calais."
"Sa motivation pose question"
Devant Roisin B., l’avocate générale fait part de ses doutes. "Ce qui pose question, c’est la motivation de cette jeune femme, qui vient de soutenir qu’elle a agi par souci d’autrui, expose-t-elle. L’argument n’est pas recevable, car tout milite en sens contraire dans le dossier." Comme pour démontrer que la prévenue a agi par intérêt financier, la représentante du parquet rappelle que la prévenue "boucle ses fins de mois" en exerçant l’activité d’escort-girl, autrement dit de prostituée de luxe, à Londres.
Autre reproche adressé à la bénévole : le Syrien de 15 ans a été caché pendant plusieurs heures dans le coffre de la voiture, avec une bouteille d’eau et une bouteille vide pour uriner. "Elle a eu peu d’égards pour ce jeune", dénonce mollement l’avocate générale, qui requiert une confirmation de la peine de première instance.
"Une peine disproportionnée"
Tandis que sa cliente avale péniblement une gorgée d’eau, l’avocate de la Britannique monte au créneau pour détruire le portrait brossé par le parquet. "Vous doutez de ses motivations humanitaires ? Elle a dépensé ses économies pour les migrants de Calais, elle leur a donné des vêtements et leur a servi des repas, ses derniers sous lui ont même servi à acheter du pain à Carrefour", livre-t-elle, témoignage d’une autre bénévole à l’appui.
Selon l’avocate, la peine d’un an d’emprisonnement est "disproportionnée, incompréhensible", plus lourde que certaines sanctions déjà réservées à Dieppe à des passeurs "ordinaires". Soulignant que la mère divorcée n’a aucun antécédent judiciaire, elle "demande la plus grande clémence de la cour".
Le président de la cour annonce que sa décision, mise en délibéré, sera rendue mercredi. Tandis que les magistrats quittent la salle, Roisin B. s’assoit lourdement sur un banc, devant la barre. Ses tremblements redoublent d’intensité, des sanglots résonnent. Encore deux nuits, au moins, à passer en prison.
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